Chapitre XXIII : Enfant du Tourment, Partie 2

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 Il régnait dans la caverne une atmosphère moite, l'air était, tel que je l'imaginais, gorgé d'odeurs souffrières. Les parois et le sol rocailleux étaient scarifiés de larges et profondes entailles, que le Dragon avait dû laisser lors de ses nombreux passages ici. Le gouffre semblait s'enfoncer vers les entrailles du Pic du Temps, et plus je descendais, plus il faisait chaud. Je m'étais résignée à ne pas me préparer à lancer un assaut frontal, peu importe ce que l'hôte de ces lieux tenterait contre moi, je pouvais m'en protéger, quoi qu'il advienne.

 Bientôt, le tunnel terrestre dans lequel je progressais s'agrandissait davantage, et semblait m'amener vers une immense cavité souterraine. Je le pressentais, j'allais rapidement faire face au saurien.

 Tel que je m'y attendais, à peine eus-je posé un pied hors de ce corridor pétré, qu'une bourrasque incendiaire me fondit dessus, sans me prendre au dépourvu pour autant. Je fis immédiatement tournoyer mes quatre lames autour de moi, à une vitesse phénoménale, ces dernières, dans leur rotation infernale me protégeaient du souffle ardent, m'entourant d'un cocon de vent. Après avoir maintenu son geyser enflammé quelques instants, le Dragon, estimant sûrement m'avoir réduite en cendres, cessa son assaut.

 Je libérais alors mes épées, et les faisais flotter autour de moi. Face à moi, l'animal fabuleux semblait être surpris de me voir encore entière. Ce dernier possédait deux immenses paires d'ailes qu'il avait déployées, sa gueule gigantesque était ornée de cinq cornes : une frontale, deux recourbées autour de sa mâchoire, et celles restantes sur le sommet de son crâne. Des nuages de vapeur s'enfuyaient par ses narines. Il avait l'air agacé.

 "Vénérable Senroc'Sed'Semurb, je ne suis pas venue vous chercher querelle. Lançais-je en m'inclinant respectueusement. Je suis ici, afin de solliciter votre sagesse. En gage de ma bonne foi, veuillez accepter ce modeste présent. Je faisais flotter mon baluchon enchanté, et en extirpais quelques grenliots, que je lui transmettais en les faisant léviter par télékinésie. Il tendait une de ses énormes pattes inférieures griffues et les réceptionnais.

- Parle, Enfant du Tourment. Mugissait-il d'une voix puissante, tout en se posant sur son immense croupe, tout en gobant les fruits exotiques.

- Seigneur Dragon. Je me redressais. Si je me trouve maintenant, face à vous, c'est que, j'ai eu beau interroger tous les ouvrages de notre Monde, je reste sans réponse quant à la raison de ma présence sur Mithreïlid.

- Poursuis. Soufflait-il, d'un ton impatient.

- Aussi, pensais-je que vous pourriez m'en dire plus sur la funeste nuit qui avait eu lieu, il y a de cela trente huit cycles. Soit treize cycles avant ma naissance. Cette soirée où une seconde Lune avait pris place dans notre ciel étoilé. Cela aurait-il un rapport avec ma venue sur Mithreïlid ?

- Hmmmm. Le vénérable semblait dubitatif. Hul. C'est bien ainsi que tu te nommes ? Ou est-ce un subterfuge pour me tromper ?

- Je ne comprends pas. Bien sûr que c'est mon nom. Attendez, vous lisez dans les pensées ?

- Non, je ne lis pas dans les songes. Mais tu es célèbre, Hul. Tristement célèbre, même. Si j'en crois les jugements que l'on te porte. Cela ne doit pas être simple, d'être condamnée à devoir se justifier de sa présence en toute occasion, n'est-ce-pas ?

- Non. Vous avez raison. C'est ainsi que je vis mon quotidien. Soufflais-je.

- Bien sûr que j'ai raison. Grognait-il. Cependant, Hul, tu es bien loin d'être aussi seule que tu ne le penses.

- Si vous parlez de ma famille...

- Je n'en parle pas. Ton esprit rationnel ne pourrait pas se rassasier d'une réponse aussi simple, n'est-ce-pas ?

- Je suppose que oui, sinon je ne serais pas là.

- Écoute-moi bien, Enfant du Tourment. Tu es loin d'être la seule à se demander quelle est sa place sur Mithreïlid. Je félicite cependant ton intelligence, tu as su faire le lien entre ta naissance et la nuit tragique qui scella le sort de notre Monde, de ses règles et de sa pérennité.

- Tout ça à cause de moi ?

- Non. Bien que l'on t'ait souvent attribuée tous les torts de cette Terre, tu n'y es pour rien. C'est une épreuve à laquelle tu es confrontée. Un défi, afin de tester ton droit à la possession de tes dons. Mais tu n'es pas seule.

- Pourriez-vous épépiner vos propos ? J'aime bien les devinettes, mais je suis impatiente.

- Si je te dis que vous êtes treize. Treize Enfants du Tourment. Treize problèmes pour Mithreïlid.

- Treize personnes exactement comme moi ?

- Cela te plairait, Hul ?

- Non pas exactement.

- Rassure-toi alors, car dans vos similitudes, vous êtes tous Uniques. Cependant, vous treize, n'êtes pas arrivés seuls sur Mithreïlid. Un Mal insidieux vous a précédé. Un Mal qui finira par corrompre vos aptitudes. Telle une maladie, il ronge la volonté de ceux qui se laissent envahir par la haine, il amplifie leur force, les convainc d'avoir les idées claires, tandis qu'il prend leur contrôle peu à peu. Si cette calamité venait à s'emparer d'un réceptable tout-puissant, Mithreïlid courrait à sa perte.

- Les douze autres sont... Je cherchais à obtenir des précisions. Physiquement dotés des mêmes attributs que moi ?

- Absolument pas. Vous représentez chacun une qualité, un trait d'esprit, un élément naturel, une philosophie de vie. Néanmoins, tel que je te le disais, vous n'êtes pas incorruptibles, et le Tourment que j'évoquais, le sait pertinemment.

- Cela signifie-t-il que nous allons entraîner la mort de Mithreïlid ? Est-ce pour cela que vous m'appelez l'Enfant du Tourment ?

- Tu es digne de ton don, je le conçois. Oui, c'est pour cela. Parmi tes frères et sœurs, certains vont se laisser berner par leur Puissance, et par leur Avarice. Sa voix grinçait. Ils vont vouloir dominer, asservir... Les humains comme la Nature, ils voudront tout posséder.

- Mais, nos pouvoirs sont égaux ? Sans quoi, il est clair que le monde court à la catastrophe.

- Cela va bien plus loin que cela Hul. Je ne voulais pas te révéler le fin mot de l'histoire, néanmoins, ta perspicacité aura raison du flou que je cultive. Je dois m'y résoudre, tu es bien l'incarnation de la Sagesse.

- Que... Quoi ?

- Je te l'ai dit. Vous représentez tous un aspect ou un trait vital, fondamental à toute vie. Vous êtes co-dépendants. Bien sûr, parmi tes frères et sœurs, certains deviendront tes alliés, tandis que d'autres, que tu exècreras, finiront par devenir tes némésis.

- Je ne comprends pas comment cela pourrait se produire... Je ne pourrais laisser cela se produire.

- Tu as confiance en tes dons, Hul, je le sais et je le sens. Cependant, bien que ta puissance puisse te conforter d'une certaine tranquillité quant à l'avenir, ton esprit si fort deviendra un jour une faiblesse. Lorsque ta raison se confrontera à ce qui ne s'explique pas, tu sombreras dans une tempête interne terrible et qui te sera fatale. C'est là, la fin prévisible à tous les êtres trop intelligents.

- Je pense comprendre le paradoxe que vous soulevez.

- Ce n'est pas si simple que cela y parait. Aussi, j'appelle ta capacité à méditer, et je te demande de rester humble. Parmi tes vrais semblables, parmi les Enfants du Tourment, seuls trois d'entre-eux possédent ou possédaient, les clefs de l'avenir du Continent entre les mains.

- Possédaient ? Ai-je raté des évènements cruciaux dans le dénouement à venir ? Vous soulevez encore un paradoxe...

- Es-tu certaine qu'il s'agisse d'un paradoxe ?

- Hé bien... Si cette crise est en cours de création, qu'elle est à venir, mais que ledit individu ne fait plus partie de l'équation... Je ne vois pas comment pourrait-il intervenir sur le futur et en même temps... Je m'interrompais.

- Tu as compris, n'est-ce-pas ? Semblait fier le Dragon.

- Vivre dans le futur et dans le passé est impossible... Sauf si l'un des miens possède le pouvoir de tordre le Temps...

- Ne trouves-tu pas ce don incroyablement effrayant ?

- Si... Je comparais mes attributs et mes talents, à ce pouvoir juste énoncé. J'étais bien loin de faire le poids...

- Cependant, tel que je te le contais. Ce dernier ne fera pas partie de ce terrible conflit. C'est à la fois rassurant, et en même temps une très mauvaise nouvelle, car...

- Car le principe d'une trinité est de s'auto-réguler. Dès lorsque l'un des protagonistes de cet équilibre prend trop de place, les deux autres le limitent, puis se réguleront à leur tour. De ce fait, la balance ne bascule jamais en faveur de l'un d'eux. Mais si il n'en reste plus que deux... Alors, c'est une guerre perpétuelle qui éclatera.

- Il va te falloir durant ta longue vie, Hul, être prudente et avisée. La dualité qui scindera Mithreïlid en deux camps repose, elle aussi, sur un paradoxe. Le Mal ténébreux naît parfois du Bien immaculé, et inversement. Sais-tu ce qu'il te reste à faire ?

- Partir à la recherche des autres Enfants du Tourment. Si je me suis vue dotée de ces ailes c'était pour épurer les cieux, jusqu'à tous les trouver. Je dois parvenir à les convaincre de ne pas se laisser séduire par la facilité...

- Ai-je donc répondu à ta question ?

- Oui, vénérable Senroc'Sed'Semurb.

- Alors va, Hul. Envole-toi, et peut-être. Il ricanait sombrement. Peut-être sauveras-tu Mithreïlid."

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