Chapitre XXXI : Chacun le sien, Partie 3

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Cette maudite brume venait de me séparer de Teïnelyore. J'avais eu beau user de mon habilité naturelle à mieux percevoir les sons, mais j'avais beau me concentrer, je ne décelais plus la présence de ma compagne de voyage, je me retrouvais seule, entourée par l'épais brouillard.

 Tous mes sens étaient aux aguets, je guettais le moindre son, traquais la moindre ombre qui aurait pu se faufiler dans l'écran pâle. Je me décidais à poursuivre mon chemin, errant dans la lueur morne m'englobant. Seules les feuilles et les touffes d'herbe murmuraient sous mes pas. Étais-je traquée ? Une drôle de sensation me parcourait les veines.

 Je pestais contre le battement de mon cœur, qui s'emballait puissamment, il brouillait mes sens et m'empêchait de me focaliser sur ce qui m'entourait. Je ne pouvais pas rester immobile, car cela pourrait sûrement me porter préjudice. Je me mis à courir, toujours tout droit, j'atteignais finalement l'orée du bois que nous avions perdu de vue lorsque l'épaisse nappe de brume nous avait surprises. Mon regard distinguait désormais plus clairement ce qui se trouvait à proximité de moi. Le tapis de brindilles et de feuilles mortes crépitait sous mes pas. Je voyais désormais distinctement tous les arbres qui m'encerclaient. Mon tambour s'apaisait, je retrouvais l'usage complet de mes oreilles.


 Instinctivement, je me mettais à la place de celui qui aurait pu me traquer, il ou elle devait attendre que je me déplace pour ne pas être repéré. Aussi feignais-je de poursuivre ma marche, et avant que mon pied ne retouche le sol, je stoppai immédiatement mon mouvement. J'entendis alors des branches éclater sous les pas peu discrets de mon prédateur. Par réflexe, je bondissais en direction d'un tronc, toutes griffes sorties, et m'y accrochais. Je me retournais vers l'endroit d'où le craquement provenait. Rien.

 Plus aucun bruit ne perturbait alors le calme de la forêt, pas un sifflement d'oiseau, pas le moindre murmure du vent. Tout était calme, j'interprétais cette situation différemment d'une simple quiétude. Ce qui me pourchassait, avait du faire fuir toutes les bestioles de la sylve. J'admirais le silence, jusqu'à ce que des bruissements de feuillage se fassent percevoir. La chasse pouvait alors s'inverser.

 Tout en me projetant habilement et discrètement en direction d'un autre arbre, je me métamorphosais. Je défiais ainsi les lois de la gravité, et je passais désormais d'écorce en écorce avec légèreté et puissance. Je savais que ma proie pouvait elle aussi se déplacer de branche en branche, j'accélérais la cadence de mes bonds. Mes poignards se plantaient dans les cimes, inlassablement, rapidement. Ma cible était désormais clairement perceptible. C'était à son tour elle qui me fuyait.

 Les géants sylvestres devenaient de plus en plus imposants, l'espace au sol était moins restreint, je tombais lourdement sur le sol moussu, et me mettais à courir à quatre pattes. Je pouvais désormais apercevoir une forme noire virevoltant au-dessus de moi. Quelques instants s'écoulèrent, et j'étais désormais au pied des feuillus qui abritaient l'animal au pelage obscur, se réfugiant en hauteur.

 Sans me poser davantage de questions, je fonçais droit dans le pied du refuge arboricole. L'impact remua suffisamment le tronc pour qu'enfin, je vis un immense félin, au pelage noir touffu et à la gueule immense, dégringoler et se rattraper sur ses quatre pattes avant qu'il n'heurte la terre. Je découvrais alors une immense panthère, qui me faisait désormais face, je m'étais dressée sur mes pattes arrière, toutes griffes sorties, et poussais un féroce rugissement.

 La sombre chasseresse devait m'arriver à hauteur de buste, alors que j'étais sous ma forme bestiale, cette créature était particulièrement belle, bien que foncièrement menaçante. Nous nous scrutions l'une et l'autre, immobiles, nous affrontant par le biais de nos regards. Je constatais en plantant mes yeux fendus dans les siens, qu'ils scintillaient d'un bleu éclatant. L'attitude de mon opposante changea, elle battait désormais l'air à l'aide de deux queues laineuses, virevoltant farouchement. Cependant, malgré sa posture qui aurait pu indiquer qu'elle allait me fondre dessus à tout instant, elle n'en fit rien et resta de marbre. J'avais l'étrange impression de déceler ce qu'elle envisageait de faire, et je ne sentais en rien une volonté d'engager un combat avec moi.

 À moitié convaincue qu'elle ne m'agresse pas, je reprenais alors mon apparence humaine, puis m'asseyais en tailleur face à elle. L'imposante reine de la nuit en fit tout autant, se posant sur sa croupe, et se décontractant immédiatement.

 « Tu ne comptes pas m'attaquer, n'est-ce-pas ? Lui susurrais-je, tentant de me faire comprendre en employant un ton doux.

Non, en effet. Je ne suis pas là pour ça. Me répondait-elle, d'une voix féminine et puissante, tout en entamant la toilette de son museau à l'aide d'une de ses pattes antérieures.

— Cela me rassure... Hé mais. Tu parles ?

— Oui, je parle. Heureusement n'est-ce-pas ? Pour communiquer ensemble et nous comprendre, c'est plus simple.

— C'est certain, mais. C'est improbable aussi !

— Pourquoi cela, parce que les animaux ne parlent pas d'ordinaire ?

— Non je n'ai pas dit ça, il est clair qu'entre eux ils doivent discuter, mais je ne comprends pas ce qu'ils se disent... Alors...

— C'est une réflexion plutôt sensée.

— Merci... Mais toi, alors, comment se fait-il que tu aies une voix ?

— Sûrement car je ne suis pas un simple animal, et qu’il ne s’agit pas d’une voix. Un Mithreïlidien ordinaire ne m’entendrait pas, seule toi, ou presque, peut capter mes pensées, et vice-versa.

— Je m'en serais un peu doutée que tu n'étais pas ordinaire, tu es immense et tu as deux queues.

— Ce n'est pas tout.

— Oui, et bien entendu, tu es dotée de la parole, ça commence à en faire des particularités. Qu'es-tu ?

— La bonne et vraie question, c'est, qui sommes-nous, Félicie.

— Tu connais mon nom aussi... Étrange. Donc. Moi je suis une semie-humaine, et toi tu es une... Panthère dont je peux entendre les pensées, géante, avec deux queues. Je prenais mon air ignare. Je suis certaine qu'il y a quelque chose d'autre, n'est-ce-pas ?

— Oui, nous sommes sœurs, et pas n'importe quelles frangines, non plus. Figure-toi, que je ne suis pas seulement une panthère, par ailleurs !

— Ah bon, comment cela ?

— Regarde. Mon interlocutrice effectuait un saut périlleux arrière, apparaissait alors un nuage de fumée noire, une fois ce dernier dissipé, un chat noir toujours muni de deux queues se profilait devant moi. Voilà, c’est encore moi.

— Ooooooh ! Mais tu es donc adorable et redoutable à la fois. J'adore !

— Comme toi Félicie.

— Oh. Toi je vais t'adorer. Je saisissais le félin aux poils longs dans mes bras. Euh. Excuse-moi, peut-être que c'est un peu précipité comme contact.

— Cela ne me dérange pas. Lâchait-elle avant de se hisser sur mes épaules et de s’y poser.

— Ah tant mieux, je pourrais te câliner comme ça ! Tu as un nom, toi ?

— Non, j'attendais que tu me le donnes !

— Mais, pourquoi moi particulièrement ? Selon toi, nous sommes sœurs, mais, pour quoi ? Quel lien nous unit réellement ?

— Je suis un Léviathan, je suis venue à la vie en même temps que toi, mais nous avons été séparées l’une de l’autre, afin que je découvre et que j'apprenne comment fonctionne ce monde. Puis, j’ai erré, c’est ainsi que j'ai alors croisé un autre de mes confrères.

— Ce qui m'étonne, c'est que je dois bien avoir un statut particulier pour que tu sois à mes côtés. Non ?

— Bien sûr, mais tu sais déjà qui tu es, n'est-ce-pas ?

— Bah... Je réfléchissais.

— Ne réfléchis pas trop. Fie-toi à ce que tu as vécu.

— Hé bien... Oh mais, tu lis dans mes pensées !

— Oui, et tu y parviendras aussi avec les miennes et sur une longue distance… Quand tu seras suffisamment entraînée.

— Ah ! C'est bien pratique ça ! Pour traquer...

— Tu as saisi l'idée, et encore. Je suis convaincue que nous trouverons d'autres utilités à notre communication télépathique !

— Je sais ! J'ai trouvé comment j'allais t'appeler.

— J'aime bien ce nom.

— Mais... Laisse-moi te le dire avant de le deviner !

— Si cela te fait plaisir.

— Désormais, tu seras Laïnala !

— Voilà qui est dit.

— Tu disais qu'un autre Léviathan cheminait avec toi. Êtes-vous belliqueux de nature ?

— Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Comme tu me traquais...

— Si l'on nous provoque, oui. Mais pour ma part, je ne traquais pas, je ne faisais que jouer à chat avec toi. Je trouve ça drôle !

— Moi aussi... Même si j'étais un peu inquiète, quand même. Je voulais savoir cela car j'étais avec Teïnelyore, une... Je ne savais pas comment la qualifier.

— Je sais que votre relation est spéciale, tu n'as pas à mettre de mots là-dessus.

— Oui, bon... Toujours est-il qu'elle a disparu.

— Sauf qu’à sa manière elle est exactement comme toi, Félicie.

— Que veux-tu dire par là ?

— Elle aussi a accompli de grandes choses, elle aussi possède un don. Elle aussi est une Déesse.

— Hahahaha ! Une Dée... Je prenais conscience de ce mot. Une Déesse ?! Mais...

— Oui, bien entendu que toi aussi, tu es une Déesse.

— Bah voyons. Mais de quoi au juste ?

— Ça... Seule la route qui t'attend pourra y répondre. Tu verras bien de quoi demain sera fait, et le chemin que tu emprunteras. À ce moment-là, tu auras surement les réponses aux questions que tu te poses.

— Bon d'accord. J'imagine que Teïnelyore ne doit pas être très loin... Partons à sa recherche.

— Cela me va, nous n'avons qu'à faire la course, afin de lier l’utile à l’agréable, qu'en penses-tu Félicie ?

— Très bien Laïnala ! Trois, deux... »


 Mon léviathan usa de la même ruse que moi, s’élançant au un. Tout en s'extirpant de mes épaules d’un bond, elle reprit instantanément sa forme de panthère, je me métamorphosai moi aussi. Nous galopions désormais toutes deux à grande vitesse à travers la sylve. Slalomant entre les feuillus, nous foulions à peine le sol, rebondissant à toute allure, usant des troncs encore debout ou abattus pour rebondir et nous rediriger.

 J'entendais Laïnala me charrier par le biais de mes songes, cela me motivait à accélérer mon rythme. Je n'avais jamais été aussi rapide, pas même le jour où j’avais été pourchassée par le Dragon. Des pas plus lourds me parvenaient aux oreilles, tandis que même les vibrations de la terre, me confirmaient le fruit de ma perception auditive.

 Nous modifions nos trajectoires, une allée plus éparse semblait percer la forêt, s'illuminant aux alentours du sentier, par de nombreux rayons dorés et iridescents. Nous allions nous y engouffrer avec Laïnala, mais nous nous arrêtions brusquement. Un cerf gigantesque baigné de la lumière solaire arrivait au grand galop, ses quatre bois pâles gorgés des reflets multicolores scintillaient du même éclat. Je reconnus immédiatement la longue chevelure mauve de Teïnelyore, virevoltant au gré du vent, chevauchant le cervidé sorti tout droit d’un rêve.

 Elle dut me voir aussi, car je vis son imposante monture faire demi-tour, enfin, nous nous retrouvions. Après que nos nouveaux alliés s’étaient reconnus et salués, nous prenions le temps d'inspecter nos léviathans respectifs, puis finalement, nous décidions de repartir en direction du sud de Mithreïlid, sans destination précise.

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