Chapitre XXXII : Une rencontre mal avisée, Partie 1

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Après avoir épuré les cieux durant de nombreuses semaines, je ne parvenais pas à déceler d'activité particulièrement suspecte. Cela aurait pourtant pu m'amener à croiser le chemin d'autres membres de cette fratrie malveillante, destinée à ensevelir Mithreïlid sous un voile de mort. Malgré toute l'énergie que j'étais apte à déployer, j'étais forcée de constater que retrouver mes pairs allait s'avérer être une tâche complexe... Ne serait-ce qu'en considérant que leurs attributs et apparences physiques m'étaient totalement inconnus. Je partais de zéro.

 J'ai songé à la façon dont les Mithreïlidiens avaient commencé à me connaître, plus précisément à "entendre" parler de moi. Afin de faciliter cette traque, je devais donc être plus attentive aux rumeurs et aux racontars clamés par les héraults. Il m'était donc nécessaire de me fondre au mieux possible parmi la population et d'épier le plus de conversations que je pourrais. J'avais bien entendu pris soin de ne pas quadriller le sud-ouest de Mithreïlid où je résidais, et j'entrepris plutôt de longer toute la côte ouest du continent afin de commencer mes investigations au sein des cités portuaires.


 En partant de la Baie où je vivais, Draconica fut la première ville que je croisais durant mon périple. Il ne me fallut pas longtemps pour rencontrer la première représentante de ma lignée apocalyptique. Sauf que je ne rencontrais pas la fameuse Félicie, mais plutôt sa statue, aux pieds de laquelle étaient disposées diverses offrandes. À première vue, cette jeune femme mi-humaine mi-féline devait donc être grandement appréciée par ici. Mon apparence si particulière ne me valut pas de remarques désobligeantes, bien au contraire. Cela sûrement grâce à l'admiration témoignée envers la Déesse locale, car bien que mes attributs physiques fussent différents de ceux de l'Héroïne de Draconica, rapidement les enfants m'accueillirent en me posant mille questions. D'où je venais, si j'avais toujours été un oiseau, si je connaissais Félicie car moi aussi j'étais "différente"... Et j'en passe.


 Certains adultes venaient aussi à ma rencontre, et bientôt un grand nombre de personnes se languissaient d'entendre mes réponses à leurs interrogations. On me demanda de voler, et bien d'autres choses encore... Tout cette curiosité bienveillante à mon égard me donna alors l'impression de retrouver les autochtones de mon village : sans apriori, ni jugement à mon égard. Cela me mit en joie, aussi me laissais-je aller à ce bain de foule. J'avais une seconde fois l'impression dans ma vie d'être appréciée pour qui j'étais. Moi qui étais très curieuse, je prenais du plaisir à ce qu'on le soit en retour vis-à-vis de moi.

 Cette première journée se termina dans l'une des tavernes de Draconica, où je pus enfin commencer à poser les questions qui auraient pu guider ma quête, et peut-être espérer par la-même en apprendre davantage sur Félicie. Aussi, on me conta son histoire et ses débuts. Son triomphe, ses instants de douleur, la délivrance et la prospérité que sa présence et son aide avaient permis de préserver. À l'unanimité, sa statue était un bien maigre présent compte tenu de tout ce qu'elle avait accompli pour la cité et ses environs.


 Malheureusement, j'avais beau avoir appris à connaître qui était-elle, personne ne fut en mesure de me dire où pouvait-elle bien se trouver actuellement. Selon la plupart de mes interlocuteurs, elle était partie il y a de cela douze cycles à la chasse au Dragon... Depuis lors, plus jamais elle n'était revenue par ici. Or, des sauriens qui sont traqués, il y en a - d'après ce que j'ai compris - toujours eu, et la quasi-totalité sont toujours en vie, tandis que leurs assaillants demeurent éternellement à l'état de cendres, ou morts, sans tenir compte de la manière employée. Cette nouvelle ne me rassura guère. La première de mes consœurs pouvait potentiellement être déjà décédée à cet instant-là.


 L'alcool n'aida pas mes songes à se délier, aussi me sentis-je d'humeur à partir m'isoler dans une des chambres de l'auberge. J'étendais mes ailes à ma vue, je délogeais une plume par le biais de la pensée, et la fis virevolter dans l'air. Je philosophais bêtement et comparais sa chute, avec l'actuelle recherche que je venais tout juste d'entreprendre : on peut espérer connaître l'endroit où elle va se poser, mais on ne pas imaginer tout ce qu'il peut se passer durant sa descente ; la plume tangue sans cesse au gré de la moindre brise. J'espérais alors qu'aucune bourrasque ne souffle sur moi, pendant que je me décarcasserai à chercher mes semblables.


 Bien qu'étant légèrement éméchée, je ne parvenais quand même pas à trouver le sommeil. Mon esprit était bien trop occupé à trouver des réponses, et pourtant, je savais bien que veiller ne me servirait en rien, tout du moins, ce n'était pas en scrutant le plafond de ma chambre que j'allais avancer dans ma quête. En ayant marre de flâner perdue dans mes pensées, je décidais de passer le bec par la fenêtre. Cette dernière m'offrait une vue sur l'océan agité qui bordait le roc sur lequel trônait Draconica. Je pouvais admirer le reflet troublé des deux Lunes de Mithreïlid, illuminant les vagues farouches qui venaient frapper les parois érodées de la côte. Bien que je fusse habituée à l'air maritime, je devais reconnaître que l'iode était nettement plus perceptible ici que dans le village où je réside d'accoutumée.

 Après avoir hésité quelques instants, je me motivais finalement à me promener dans le ciel nocturne au-dessus de la fière citée. Je me glissais par la fenêtre que j'avais au préalable ouvert pour me rafraîchir, et sans hésiter, me laissais chuter tête la première. Les courants d'air chauds de la ville s'engouffraient sous mes ailes, et sans accroc, je me retrouvais au-dessus des toits. Malgré l'heure avancée, je constatais que beaucoup de marchands, habitants et touristes étaient encore en train de circuler dans les allées joliment pavées de Draconica. N'ayant jamais pris le temps de faire de halte ici, je me disais qu'il faisait finalement bon vivre dans la capitale de l'Ouest de Mithreïlid.


  Je me retrouvais presque bec-à-truffe avec l'immense statue et me disais que la paix et la tranquillité qui régnaient ici, devaient en grande partie être dues aux exploits de la Déesse locale. Cela remettait grandement en question le sobriquet que nous attribuait Senroc'Sed'Semurb, Félicie ne me semblait en rien être une "Enfant du Tourment", bien au contraire même.


 Après avoir plané quelques minutes supplémentaires, j'atterrissais sur le chemin de ronde au sommet des remparts, ces derniers bien caractéristiques à Draconica, étant pourvus et ornés d'ossements de Dragon. Le manque de surprise des gardes présents me confortait quant à l'impact positif que pouvait avoir une personne si "différente" pour sa communauté environnante. Les quelques soldats patrouillant sur la muraille, que l'on pouvait distinguer à leurs armures constituées de plaques d'ardoise, luisant d'un léger éclat carmin, s'avançaient sans crainte vers moi.

 Je repliais mes ailes autour de mes épaules et inclinais mon bec vers le sol. Étonnamment, ils en faisaient tout autant. La plus jeune des recrues effectuant sa ronde, s'approchait de moi et engageait la discussion en me fixant :


  « J'aime les nuits claires comme celles-ci. Il détournait son regard et contemplait désormais l'immensité aqueuse. Où les halos lunaires font scintiller la surface de l'océan. Il se rapprochait alors des créneaux et inspectait la mer. Je me demande bien ce qu'il y a... Ce qu'il y a au-delà de ce que je peux apercevoir. Vous savez, vous ?

— J'ai déjà voulu savoir moi aussi s'il ne s'agissait pas d'un très large bras d'eau, et qu'un autre continent existait par-delà la houle qui s'étend sous nos yeux.

— Et alors ? Qu'avez-vous vu ? Il s'était retourné vers moi afin de m'interroger.

— Et bien. Je le rejoignais. Depuis Sable-Étoile, en volant deux heures vers l'Ouest, je n'ai rien survolé ni aperçu d'autre que de l'eau. À perte de vue. - Quelle déception...

— Oui. J'espérais aussi découvrir quelque chose. J'escaladais d'un bond le créneau et m'asseyais au-dessus des vagues s'écrasant contre le pied rocheux de Draconica. Hélas, rien. Un jour peut-être persévérais-je et essaierais-je d'aller plus loin.

— Comment est-ce ?

— Quoi ? M'étonnais-je de cette question vide, qui aurait dû s'avérer sûrement évidente.

De pouvoir voler.

— Ah... On ne m'avait jamais demandé cela. C'est... C'est incroyable et indescriptible. Toute petite j'étais déjà curieuse de pouvoir observer tout Mithreïlid mais je ne savais pas encore voler. Le jour où cela m'est devenu possible. Je suis partie le plus vite possible à la découverte du continent.

— Vous avez déjà vu tout Mithreïlid ?

— Je ne me suis pas arrêtée partout, mais j'ai survolé tout notre continent.

— Quelle chance, j'adorerais pouvoir faire ça.

— Je te comprends. Tu peux tout de même voyager, même sans voler.

— Oui mais en volant, ça serait mieux.

— Je ne sais pas quoi te dire. Tu as raison, le ciel se parcourt rapidement, les paysages s'allongent devant les yeux et défilent comme un long pan de tissu, composé d'une multitude de différents motifs. Mithreïlid est une terre magnifique vue d'en-haut.

— Et Draconica, qu'en pensez-vous ?

— J'adore cette ville. Je l'avais visitée lors de mon premier grand voyage. Bien que cela remonte à une grande dizaine de cycles, car la statue n'était pas encore érigée. Mais elle est très réussie et Félicie doit être une personne formidable.

— Elle a en effet contribué plus que quiconque pour Draconica. Un messager de Bourg-en-Or nous a fait parvenir qu'un Dragon avait d'ailleurs été abattu il y a quelques jours au pied des remparts de la cité marchande. Ce dernier menaçait de détruire la bourgade. - Quelle catastrophe... Félicie y aurait-elle été par tout hasard aperçue ?

— Figurez-vous que oui, mais en sale état. Fort heureusement, elle était surtout épuisée d'après nos informations.

— C'est ma chance alors. Je suis désolée de te fausser si subitement compagnie... Je le regardais attendant qu'il me donne son nom.

Vik.

— Et bien, je te prie d'accepter mes excuses Vik. Mais je dois rencontrer Félicie coûte que coûte. Sans le savoir, tu m'as grandement aidée. Ce n'est pas grand-chose mais… »


 Je me hissais sur les remparts, me retournais vers mon interlocuteur, puis me laissais tomber en arrière. Je filais à toute vitesse en direction des vagues et quelques mètres avant d'heurter la surface de l'eau, je repérais le puissant souffle iodé et me laissais porter. J'effectuais une multitude de vrilles, revenant à hauteur des créneaux de l'enceinte fortifiée sous les applaudissements du garde, je fendais l'air et quittais finalement l'espace aérien de Draconica, pour me rendre le plus vite possible en direction de Bourg-En-Or.

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