Chapitre XXXXI : Une rencontre mal avisée, Partie 4

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 Tandis que je tractais Hul vers le sol tant bien que mal, en maintenant toujours fermement la garde de mon arme, je la voyais et la sentais réfléchir, comme s’il lui fallait trouver rapidement une solution pour me vaincre. Cela me rendait furieuse, car malgré la méditation évidente qu'elle effectuait, il m'était clairement impossible de déceler la moindre de ses pensées, comme si son esprit était emmuré. Ma télépathie qui jusque-là m'avait toujours permis de déceler au-delà de ce que je souhaitais entendre, ne parvenait actuellement pas à s'accaparer les songes de mon adversaire. Je me concentrai davantage afin de pénétrer sa carapace mentale, j'eus alors l'impression qu'une infinité de mots allaient s'abattre sur moi, comme si son âme était plus lourde qu'une montagne. Je laissais de côté mon don de perception, et me disais que j'allais donc devoir seulement avoir recours à mon instinct pour me débarrasser d'Elle. Je la sentais peu à l'aise au combat, ou facilement surprenable, je devais en profiter.


 Le battement d'ailes de mon opposante devint subitement frénétique et saccadé, et je ne pouvais que constater que nous nous dirigions désormais vers les airs, si nous montions davantage, j'allais bientôt me retrouver incapable de lutter et une chute d'une telle hauteur pourrait s'avérer fatale, revint alors se loger dans mon estomac un fort sentiment d'impuissance. Peut-être était-ce ma solution : je laissais le désespoir et cette douleur abdominale emplir tout mon être. Je sentis alors la pression de mon sang augmenter dans mes veines, aussitôt des marques sombres recouvrirent ma peau pâle, tandis qu'une formidable puissance inondait mon corps. Peut-être Hul avait pressenti mon regain de force, car sans hésiter, elle venait de relâcher son étreinte invisible qui enserrait mon arme, aussi je m'agrippais à mon espadon et plongeais droit vers la tourbe. J'atterris bruyamment dans la mélasse et me retournai face au ciel, pour constater qu'Hul me fondit immédiatement dessus. Je parai quatre des cinq épées volantes qu'elle avait élancées dans ma direction, tandis que la dernière vint se loger en plein dans ma poitrine.


 Étonnamment, la sensation de la lame me transperçant le buste me parut diffuse, mais je n'avais pas un instant de répit pour y penser, j'avais clairement sous-estimé Hul, qui filait désormais à vive allure en slalomant entre les arbres, et enfin, elle relançait un prompt assaut. Elle chercha une fois de plus le corps-à-corps, je me préparais à bloquer son attaque mais arrivée à portée de ma frappe, elle bifurquait nerveusement dans l'air et esquivait sans le moindre effort le coup que je lui assénais. Je déviais deux des glaives lévitant d'un mouvement de poignet, mais deux supplémentaires arrivant d'autres directions, vinrent à leur tour pénétrer d'une part mon dos et d'autre part mon bas-ventre. Bien que le supplice semblât ne pas envahir mon esprit, mes articulations et mes muscles du haut du corps se retrouvèrent, eux, contraints et restreints par l'acier traversant ma chair et s'étant logés entre mes os.


 Dans mon crâne, les émotions se mélangèrent alors à toute vitesse. J'étais partagée entre l'envie de mourir de rire ou de fondre en larmes ; mon corps était aussi en proie à une étrange et nouvelle dualité qui secouait mes entrailles et mes ressentis : une extase intense et une souffrance aigue s'entrechoquaient en moi. Mes jambes vacillaient, mon souffle s'accélérait, puis soudainement se tarissait. Je tremblais comme une feuille prise dans une tempête, et pourtant, la peur n'était pas de la partie, j'arrivais à rester sereine. En baissant les yeux, je ne pus me retenir de pouffer à la vue de mon abdomen percé de part en part, tout en sentant au même instant des larmes acides ruisseler sur mes joues, agglomérant la boue et le sang de dragon dans leur sillon.

 Toujours animée par un fou-rire malvenu et après avoir planté tant bien que mal mon espadon dans la substance vaseuse pour me maintenir droite, j'essayais d'extirper l'un des projectiles de ma chair. Néanmoins, mes convulsions euphoriques m'ôtaient toute possibilité de saisir fermement la garde de l'épée qui trônait dans ma poitrine. Cet échec déclencha une importante coulée de pleurs, et un ricanement que je n'arrivais pas à contrôler, tandis qu'en essayant une fois de plus de me déplacer, je me rendais bien compte que je ne pouvais absolument plus me mouvoir du tout, mes jambes s'étant embourbées à cause des gigotements nerveux qui m'animaient.


 « Que veux-tu prouver de plus Hérylisandre ?! Criait Hul, qui faisait du surplace à quelques pas de moi. Regarde-toi, tu ne pourrais même pas ramper dans ton état actuel, pourquoi ne juste pas engager une conversation raisonnable ?

– Mais arrête Hul, arrête de parler. Tu m'agaces. Une fois de plus je perdais mon sérieux, et me mettais à rire. Comme si j'étais incapable de m'en tirer, comme si l'issue de cette rencontre était déjà toute tracée. Là, tu fais la maline, mais si je t'attrape, gare à toi car je vais te déplumer. J'essayais en vain de trouver une solution pour m'en sortir.

Je pense que c'est ça ton problème, tu ne sais pas encore quand t'arrêter. Je ne critique pas ta force ni ta détermination. Mais...

– Mais, mais, mais. Je t'ai déjà dit que je ne voulais plus t'entendre, j'en ai assez que l'on essaye de penser à ma place !

Hérylisandre, concentre-toi, j'insiste sur le mot concentration.

– Ah non, tu ne vas pas t'y mettre toi non plus. Cette situation commençait à me courroucer farouchement, j'aurais souhaité être seule pour davantage me focaliser sur les options qui s'offraient à moi. J'en ai marre de toute cette boue, et de ce marais, et de tout le monde.

– Cela recommence... Semblait-elle s'indigner. Tu te remets à parler toute seule.

La concentration, cela revient à s'imaginer soi, comme le centre de sa réflexion, comme l'épicentre de tous ses ressentis. Hérylisandre, comment comptes-tu changer le monde, si tu meurs dans ce marais ?

– Je ne dois pas, je ne peux pas... Tout redevenait confus dans mon esprit.

Qu'est-ce que tu ne dois ou ne peux pas faire ?

– Mourir dans la tourbe contre ce piaf de malheur. Lâchais-je, en désignant Hul du regard. J'ai promis à Teïnelyore de la retrouver, et d'être forte pour qu'elle puisse m'aimer sans avoir peur.

J'en ai marre, moi aussi. Mon opposante ailée faisait rapidement tournoyer autour d'elle les deux dernières épées en sa possession. Je comprends pourquoi Senroc nous définit comme les enfants du tourment. Je ne peux qu'améliorer le futur de Mithreïlid en te tuant. Tu as une dernière chose à bafouiller ?

C'est le moment. Cesse de sous-estimer tes adversaires Hérylisandre, sois meilleure qu'eux. Tu apprendras à te faire confiance. Mais ne cherche pas ta force ailleurs qu'en toi.

– Je n'ai pas peur de toi, Hul. Je ne pense pas non plus que tu sois si forte que ça, ni que ta vie vaille mieux que la mienne. Je ne perdrai pas contre toi, quoi qu'il en soit, j'ai fait une promesse, je la tiendrai. Si je ne peux pas te vaincre toi, jamais je ne pourrais être à sa hauteur.

– Je ne sais pas de qui tu parles, et cela m'est totalement égal. »


 Hul n'attendit pas une seconde de plus pour propulser ses armes dans ma direction. Comme lorsque j'avais affronté Enielah, je cessais subitement de penser à toutes mes émotions et sensations. Je devais être moi, complètement vide, prête à encaisser une fois de plus la fatalité du destin, je devais me résigner à devoir souffrir. Une furieuse migraine agressa alors mon cerveau, tandis que mon cœur se mit à battre lourdement et pesamment dans ma poitrine, j'avais l'impression que mes tempes allaient se rompre et mon crâne exploser de l'intérieur. La voix de la dracène résonna dans mon esprit, se liant à des murmures que Teïnelyore aurait pu me chuchoter directement à mes songes, ces deux confuses clameurs se mélangeaient mollement aux gargouillis du marais et au tambourinement furieux qui faisait valser mon buste.

 C'est alors qu'une douleur encore plus intense semblait bien décidée à me déchirer de l'intérieur. J'aurais pu attribuer cette dernière aux ultimes lames qui venaient toutes deux de se planter sous ma clavicule et dans mon abdomen, mais les bouts d'acier n'étaient pas les responsables de cette affliction. Une souffrance absurdement plus aigüe tourmentait mon corps, comme si à l'instar de ma tête quelques secondes plus tôt, c'était désormais mon enveloppe charnelle qui allait se fendre et éclater en lambeaux. Remuée par ce ressenti qui m'agressait toute entière, je vomissais du sang noir, mélangé aux morceaux mastiqués que j'avais arrachés de la carcasse de la dragonne ; et bien que j'aurais dû être en train de trembler de toute part, les épées plantées au sein de ma chair m'en empêchaient. Allais-je finalement mourir ici ? Incapable de bouger, ne serait-ce que d'un pouce ? Devais-je m'éteindre dans la tourbe, affligée d'une peine dont l'origine même me paraissait diffuse ?

 Mes larmes se remirent à couler de plus belle, j'étais consumée à l'idée de ne plus jamais revoir Teïnelyore, de n'avoir pas réussi à devenir plus forte comme je le désirais tant, d'avoir eu une vie sans importance ni d'avoir profité d'une quelconque retombée positive. J'enrageais en me disant que je n'avais, et n'aurais été qu'impuissante durant toute mon existence. Cela était peut-être ma destinée, peut-être étais-je condamnée de naissance à demeurer une faiblarde ? Ma vue se troubla, et après avoir intérieurement ressassé tout ce qui me chagrinait, je sentis alors une chaleur commencer à envahir mon bas-ventre : timide en premier lieu, puis réconfortante, et enfin, volcanique. Cette fièvre charnelle était si ardente que j'avais désormais la sensation d'avoir les entrailles qui brûlaient et fondaient. Néanmoins, il ne s'agissait pas de mes viscères qui se dissolvaient, mais des épées plantées dans ma chair.


 Après quelques instants où je ne savais plus quoi penser, les divers morceaux d'acier enclavés dans mon corps se décomposèrent en poussière noire, tandis que je retrouvais une fébrile mobilité. Me réhaussant du mieux que je le pus à l'aide de mon espadon auquel je m'étais accrochée tant bien que mal jusqu'alors, j'allais pour refaire face à Hul, dont le regard s'était grisé d'une incompréhension qu'elle semblait subir pour la première fois. Quelque chose lui échappait. Je brandissais mon arme comme si j'allais pouvoir charger et fondre sur mon adversaire, je levais un pied, mais une fois de plus, un séisme interne à ma peau me fit lâcher la lame sombre dans la boue, je trébuchais face la première dans la tourbe. Désormais, la déchirure qui m'avait quelques instants auparavant traversé le corps s'intensifia brusquement.


 Affolée par la violence de cette sensation, je me mis à frapper la vase comme pour essayer d'y échapper, j'hurlais à gorge déployée, tandis que des effrayantes vagues douloureuses déferlaient dans mon dos, se heurtant aux parois osseuses de mon corps. Mes cris de rage étaient coupés par un autre vomissement, je n'avais même plus la force de déverser ma rage dans la substance poisseuse et m'affalais en convulsant dans le marais. J'extirpais difficilement mon visage hors de l'eau croupie et sirupeuse du marécage, pour ne pas m'en remplir les poumons, cependant, je n'arrivais plus à contenir ma détresse, tandis que ma colonne vertébrale semblait se tordre sur elle-même, disloquant tous les maillons composant mon squelette. J'essayais de chasser mes sentiments et ressentis, mais j'étais en proie à un brasier qui dévorait mon être.


 Tandis que je pensais m'effondrer et cesser de vivre, et enfin être apaisée de la peine qui m'accablait, un bruit innommable emplit subitement la lagune pourrissante. Comme lorsque j'étais tourmentée par les effets hallucinogènes, le grésillement d'un millier d'insectes parvint à mes oreilles, comme si une infinité de nuées de nuisibles à élytres, tournoyaient actuellement autour de moi brisant l'air d'une mélodie disharmonieuse, caractérisée par des oscillations de volume et des vibrations faisant grincer les dents. Malgré ce brouhaha tonitruant faisant siffler mes tympans, j'étais libérée de ma souffrance, et presque sans effort, je me relevais. Après avoir essuyé du mieux que je le pus mon visage, mes yeux croisèrent ceux d'Hul, qui restait coite, impassible face à moi. Ce n'est qu'après avoir détourné mon regard de mon opposante, que je pus apercevoir la lueur écarlate et sombre émanant d'une aile qui se trouvait à ma gauche, à ma droite, je découvrais sa jumelle pourpre et obscure.


 Outre le réconfort que j'obtenais en constatant que ma douleur n'avait pas été vaine, je me sentais d'une légèreté indicible, j'essayais maladroitement de mouvoir mes deux nouveaux membres, je soulevais alors une gerbe de vase du marais. Bien que je n'éprouve pas plus de peine ni de rancœur, je constatais que mon bras droit était strié par une large marque noire, qui semblait ne pas vouloir se résorber malgré l'absence complète de sensation négative, comme d'accoutumée elle l'aurait fait. Si j'avais oublié ce qu'il s'était passé durant cette terne journée, j'aurais pu croire que j'étais en pleine balade, je ne souffrais d'aucun mal, je me sentais même incroyablement bien, détendue, apaisée. J'élançais ma main dans la direction de mon espadon qui commençait à se noyer dans la boue, et le tractais au creux de ma paume, comme lors de mon affrontement avec Enielah. La garde rayonna d'un éclat pareil à celui de mes ailes, lorsque qu'elle se logea entre mes doigts, faisant scintiller de la même lueur la lame d'ordinaire si morne. J'avais l'impression de brandir un couteau, tant le poids de mon arme massive semblait désormais dérisoire.


 Je m'élançai dans la direction d'Hul, et en moins du seconde, mon nez faisait face à son bec, mes ailes pourpres et grésillant, teintaient les plumes blanches de mon adversaire de leur chatoiement, tandis que mes iris pâles se confrontaient à ses grands yeux.


 « Tu l'auras compris Hul, nous n'avons plus rien à nous dire. Ses songes, toujours flous et incommensurablement pesants me parvenaient néanmoins à l'esprit. Je sais que tu es totalement désarmée et noyée par la peur. Je ressens le désespoir qui s'enroule autour de toi, comme un serpent qui aurait finalement trouvé l'oisillon qu'il allait dévorer. Mais. Je faisais un signe de la main, interdisant à ma sœur reptilienne de prendre mes mots aux pieds de la lettre. Je sais que désormais, tu considères notre rencontre comme bien mal avisée.

– Je... Au fond d'elle une voix très faible semblait désirer jauger elle-même ce dont j'étais capable, aussi j'accompagnais mon arme d'un mouvement vif de poignet, les arbres à ma droite se retrouvaient fendus. Cette force est terrifiante, que va-t-il m'arriver désormais ? Avais-je été trop curieuse, allais-je mourir ?

– Nous échangeons nos rôles Hul, au premier abord, c'est moi qui pensais cela. Néanmoins, je vais te prouver que tu avais tort me concernant. Soufflais-je.

– Je ne veux pas... Je ne veux pas mourir, j'ai tant à découvrir encore, sommes-nous sensés entretuer ? Épargne-moi, je reconnais ma défaite, je t'en supplie. Faut-il que je trouve une solution de dernier recours, que va-t-il m'arriver ?

– Je ne comptais pas te tuer, calme-toi. Je dois retrouver celle que j'aime, et si tel que tu le dis, nous sommes similaires, alors, le destin nous amènera forcément à nous retrouver, un jour. Néanmoins, et à l'avenir, ne me sous-estime plus Hul. Cela pourrait t'être fatal. Envole-toi, Hul.

– Je... À mes mots elle faisait quelques pas en arrière, sans ne jamais me quitter des yeux, imaginant le pire. Adieu Hérylisandre.

– Adieu, Hul. »


 La femme aux ailes et au visage de hibou s'envola promptement dans les cieux, déjà nappés de leur plus scintillante robe nocturne, tandis qu'à mon tour, j'allais moi aussi quitter ce marécage infecte, afin de découvrir ce que la nue pouvait m'offrir. Rassurée par l'idée que j'avais enfin la force nécessaire pour que Teïnelyore puisse m'aimer sans craindre d'en souffrir.

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