Chapitre I (Bis) : Sérénade de l'Ombre, Partie 2

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 Parfois il m'arrivait de rêver. De revoir le soleil, de vivre, de m'épanouir, mais l'obscurité m'emmenait loin de mes rêves et me ramenait à cette cruelle réalité. Je continuais de subir régulièrement, les sévices sexuels de ces malades, parfois, je n'en étais même plus consciente : mon âme était épuisée, j'avais cessé d'espérer, peut-être même avais-je cessé d’exister. J'allais mourir, je le voulais et le devais ; j'étais souillée, mon âme errait dans un corps démuni de toute volonté de survie. Malgré cette envie d'abandonner, de ne plus penser et de ne plus être, je sentais crépiter en moi, une énergie acculée, comme une voix sourde, dont l’écho appelait ce qui restait d’encore vivant en moi à s’insurger. Ce murmur émanant de la haine virulente qui n'avait jamais cessé de croître en moi, était farouchement lové autour d’une volonté que je croyais éteinte depuis longtemps, et c'était ce même chuchotement, qui finirait par avoir totalement raison de ma lumière intérieure.

 Un jour, tandis que mes songes se perdaient dans l'obscurité de ma cellule, l'un des criminels qui était venu à son tour pour abuser de ma chair, chercha à me tirer de ma torpeur en m'assénant une gifle ; je chérissais plus que tout ces absences dans lesquelles je me réfugiais pour ne pas avoir à subir consciente ces viols répétés. Constatant que l’impact ne me fit pas réagir, le pervers se plaça derrière moi, et retira son bas. C’est l'écho strident de la boucle de la ceinture qui, en heurtant le sol, se transforma en un farouche frisson sillonnant mon dos. Cette rage quasi-muette, semblait soudainement bourdonner et grésiller en moi, un effroyable sentiment de vengeance dévorait ma chair de l’intérieur, je ne pouvais plus supporter ces abus une seconde de plus.

  Tandis que ce porc allait profaner une énième fois mon corps innocent et briser davantage mon âme, je fis violemment éclater les chaînes me restreignant les jambes. Je balayais sans difficulté cette ordure d’une frappe violente, puis, comme si cette force avait toujours été en moi, j’arrachai les encoches plafonnières à l'aide de mes liens métalliques. Sans perdre la moindre seconde, je fonçai droit sur le soldat abasourdi, puis le plaquai contre un mur de ma cellule.

 « Alors comme ça, tu me veux, c’est ça ? »

 Je malaxai son crâne en envoyant mon front contre le sien, sonné, je le saisis et le projetai de toutes mes forces dans les grilles, volant à leur tour en éclats. Je cherchais frénétiquement de quoi me vêtir, mais je ne trouvais rien pour me couvrir. Cela n'importait plus désormais, plus rien n’importait de toute manière. Je massacrerai qui me retiendrait, nue s’il le faut. L’heure de ma vengeance était venue, tandis que le murmure qui était né en moi, hurlait intérieurement que j’allais adorer ça. Je prenais délicieusement possession de cette puissance parcourant sauvagement mes veines, faisant fulminer mes songes, me rappelant cruellement tout ce que j’avais enduré et ce que h'avais voulu oublier. Apparut alors une longue épée à la teinte crémeuse dans ma main. Cette dernière était scintillante, immaculée, de laquelle émanait une aura apaisante.

 Alors que j’allais gravir les escaliers qui avaient durant tout ce temps gardé mon malheur à l’abri des regards, une douleur intense parcourut mon dos et m'arrêta nette dans mon élan. Je m'affaissai, convulsant dans l’obscurité et sur le pavage froid, tandis que j'eus l'impression que mon épine dorsale se déformait. J’hurlais accablée par la douleur de mes os qui semblaient se déloger de mon corps. Je ne pouvais pas mourir comme ça, pas maintenant, pas avant de m’être repue d’une bonne et due vengeance. Cependant, ma mort n’était heureusement pas au rendez-vous : dans un déluge de sang, deux ailes desquelles émanaient une lueur écarlate et un grésillement abominable, venaient d'éclore de cette souffrance aiguë.

 Que s'était-il subitement passé pour que cela se produise ? Quel était ce puissant sentiment, dont la brutalité me donnait l’impression d’être consumée de l'intérieur ? Pourquoi avais-je l'impression que tout mon corps s'effondrait sur lui-même ? J’en revenais alors à m'interroger quant à la vraie raison de ma présence ici, et du pourquoi m'avait-on fait subir toutes ces horreurs ? J'étais la victime d'une infâme injustice. Mère et toutes ses histoires de Dieu de la Justice s’était finalement bien foutue de moi. Je me mettais à rire, diaboliquement, désespérée, depuis ces cachots qui n’avaient que trop longtemps retenu ma fureur.

 Je n'avais plus envie de penser, ni de réfléchir. Je souhaitais simplement noyer mon chagrin et ma peine dans le sang de ces criminels, je le désirais ardemment. Cette haine qui inondait désormais ma chair comme un poison virulent, faisait miroiter bien plus de plaisir à mon esprit que nul autre souvenir que j’avais pu engranger durant mes treize premiers cycles d’existence. Il n'y avait dans ma tête plus aucune place pour la pitié ou le pardon, pour la joie ou la compassion. Je ne pouvais plus qu'entrevoir tout le mal que l'on m'avait fait, toutes les crasses que j’avais endurées. Dans un hurlement qui ne semblait même pas porté par ma voix, je laissai exploser ma haine, une onde de choc fit alors sauter tous les murs m’entourant, tandis que je m’extirpai à tire d’aile de la prison en ruines, avant d’être ensevelie par l’effondrement que j’avais moi-même provoqué. Les gardes aux alentours s'attroupèrent sans délai pour me faire face, tandis que je m'extrayais, l'esprit fulminant, des décombres. Les hommes et femmes en armure semblaient à la fois surpris et paniqués, tourmentés par le tumulte de mon improbable évasion. Certains s’écroulaient même sous le grésillement qui émanait de moi. Je laissais mon courroux être guidé par la lame lumineuse, dont l'éclat pâle s'était désormais harmonisé cependant avec celui de mes ailes, virant à l’écarlate.

 À chacun de mes pas les pavés tremblaient et se soulevaient, je courais et bondissais frénétiquement sur chaque personne se trouvant dans mon champ de vision. Chacune des âmes de cette ville était à mes yeux, responsable de mon malheur. Ce n'est qu'après avoir occis sans discernement plusieurs centaines de miliciens et habitants, puis être arrivée sur une large esplanade, ornée d’un imposant obélisque, que je finissais par retrouver parmi les troupes affolées, les visages vicieux des deux premiers couards à m’avoir violée, comme si je n’avais été qu’un tas de chair, sans sentiment, ni pensée.

  Je stoppai ma course effrénée et m'approchai d'eux lentement, mon arme pourpre s’évanouissait à ma demande. Dans leurs yeux, luisait alors l’éclat d’une émotion qui, étrangement, m’excita alors au plus haut point : une terreur incommensurable. Ces lâches, qui plusieurs semaines, mois, ou cycles plus tôt n’avaient pas hésité une seule seconde à me souiller, se retrouvaient enfin à ma merci. Ils étaient terrifiés à ma vue, écrasés par le bourdonnement malsain qui accompagnait chacune de mes foulées. Enfin à portée d’eux, mon corps se souvint de plus belle, ma haine s'amplifia d’un bond. Leurs expressions faciales devinrent livides comme la mort, tandis que je plantai ma main dans le torse de l'un des deux, transperçant sans le moindre mal l’épaisse armure sensée le protéger, saisissant à pleine paume ses organes, que j'extirpai hors de son corps, jusqu’à pouvoir l’étrangler avec ses propres intestins, profitant délicieusement de sa lente agonie.

 L'autre pourriture n’avait pas attendu pour s’enfuir, hélas pour lui, je bondis promptement et le rattrapais sans le moindre mal. Je lui brisai les deux jambes en le fauchant d’un violent croche-patte, puis, le regardais, tant bien que mal ramper quelques instants, m’esclaffant de le voir ainsi, essayant vainement de me fuir. Je le relevais nonchalamment du sol, en le soulevant par le cou et le positionnais dos au monument central de cette grand-place. Le bougre gesticulait encore, comme un ver de terre que l’on aurait arraché à son bain d’obscurité, tentant de se libérer de la constriction pratiquée par mes doigts. Cependant, ses efforts demeuraient vain. Ses cris étouffés de terreur coupèrent le souffle de tous les témoins de la scène, instaurant un silence morose chez les soldats qui n’osaient même pas m’attaquer, pétrifiés par la peur.

 « Laisse-moi deviner, crevure… Tu regrettes, c’est ça ? Sa tête hochait nerveusement, sa réaction pathétique me faisait mourir de rire. Mais dis-moi, quand je te suppliais de ne pas me violer, as-tu cessé ce que tu allais entreprendre ? Non ? Alors, assume bâtard. »

 J'armai mon poing et le lui écrasai plusieurs fois dans le visage, son sang jaillissait, chacune de mes frappes faisait sauter des morceaux de chair et d’os dans tous les sens. Ce ne fut qu’après quelques secondes d’acharnement, que je jetais le macchabée défiguré au sol. La lame bourdonnante réapparut dans ma main, je refis face aux soldats restants, et me ruai alors sur eux. Rue après rue, artère après artère, le sang et les corps démembrés tapissaient le dallage gelé de la cité. Cette ville allait être témoin d'un carnage sans limite.

  Durant toute une nuit et machinalement, je tuais quiconque je croisais, femmes et hommes, enfants et vieillards, coupables et innocents. Tous étaient à mes yeux, responsables de ce qui m'était arrivé. Tous auraient pu m'aider et me faire quitter cette geôle où je n'aurais pas dû être enfermée. Mais personne n'avait répondu à mes hurlements de détresse. Aujourd'hui, tous allaient en payer le prix.

 À mesure que le nombre d’âmes vivantes ici diminuait, mon désarroi s'atténuait lui aussi progressivement, et, comme si je me réveillais subitement d'un mauvais rêve, j'ouvrais les yeux.

 Je tournais sur moi-même au milieu d'une place quelconque, constatant que j'étais l'épicentre d'un carnage sans nom, j'avais semé la mort dans toutes ses formes les plus terribles. J’étais alors prise d’une furieuse palpitation et d’une cruelle remise en question. Quelque chose me choquait : je ne pouvais pas avoir fait ça, moi qui m'étais interdite de devenir une meurtrière... ? Et pourtant, considérant que j'étais recouverte de sang mais totalement indemne, unique vivante parmi ce cimetière hors-terre, j'en concluais sans la moindre difficulté, que j'en étais la seule responsable.

 Accablée par la culpabilité, mes larmes se mirent alors à couler à flots, nettoyant mon visage d’un millier d’effusions de sang le tâchant. Mon cœur battait anormalement vite, tandis que mon souffle devenait totalement incontrôlable. Mon estomac se tordait, je tombais à genoux, vomissant une épaisse pâte constituée de pain rassis. Mon corps tremblait de toute part, je m'affaissais et me roulais dans les tièdes flaques et poisseuses constituées du sang d’autant d’inconnus que d’innocents.

 J'étais nue, et frigorifiée par les souffles nocturnes qui sillonnaient les artères ensanglantées de cette cité. À chacun de mes coups d’œil, j'apercevais tous les boyaux et corps inanimés qui jonchaient les pavés autour de moi. Qu'avais-je-fait ?

 Bien sûr que je souhaitais plus que tout me venger de ceux qui avaient abusé de moi, mais pas de là à annihiler toute forme de vie d'une ville entière. J'essayais de me rassurer en me disant que je devais être en train de cauchemarder. Hélas, le déferlement d’émotions et de ressentis dont m'avait privé mon enfermement et que j'étais actuellement en train d'affronter, me confortait de l'inverse : j'étais tout sauf endormie, il s’agissait de la pure réalité.

 Ce fut cette vision infernale, qui rappela au galop le désir d'oublier et de mettre fin à ma vie, que j'avais contracté au fil des différents sévices que j’avais subis dans les cachots. C'est par ailleurs cette même volonté, qui me conduisit jusqu'à cette île qui m’était inconnue, comme guidée par mon désespoir. J'avais traversé des plaines verdoyantes, marché à travers de vastes forêts, puis, j'avais fini par atteindre ces falaises, surplombant un océan tumultueux : comme si c'était mon propre esprit que j'étais en train de contempler, marquant la frontière entre ma vie et ma mort. C'est ainsi que mon souvenir se terminait, que je reprenais le cours de mes pensées.

 Je fermai les yeux et étendis les bras en direction des rafales venteuses chargées d'eau iodée. Les multiples bruissements émanant d'un bosquet paisible se mélangeaient aux claquements des vagues sur les parois érodées. La brise marine, remplissait mes poumons d'un air frais, l'odeur du sel, me rappelant le goût de mes larmes me purifiait les narines. Je fis trois pas en avant, atteignis le rebord de la paroi, puis me laissai tomber. Je ne sentis finalement que l'impact d'un rocher solide, me brisant l'abdomen, écrasant ma poitrine et broyant tous mes organes. La caresse de l'eau, liée aux sveltes mouvements des vagues, donnant une ultime fois à mon corps l'impression d'être en vie.

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