Chapitre XXXXIII : L'appel de la Nature, Partie 2

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 Bien que la lente annonce du crépuscule avait mis fin à notre délicieuse sieste ensoleillée, reprendre notre excursion forestière après avoir pu profiter de ce bras d'eau translucide me mettait en joie, car j'étais impatiente de pouvoir découvrir les nombreux trésors que cette jungle hétérogène dissimulait en son sein. Quelque part, j'attribuais notre bataille dans la tourbe, la baignade rafraîchissante ainsi que les courbes enjôleuses et chaleureuses de Félicie, à des merveilles collatérales que cette randonnée m'avait déjà offertes. À cette pensée, mon léviathan qui ne cessa pas pour autant de marcher, se retournait vers moi, je lui souris bêtement, me rappelant que ce dernier pouvait capter mes pensées, et de ce fait, entrevoir toutes les images lascives qui se baladaient actuellement dans ma tête, agitant mes sens et colorant de rose mon esprit. Ce partage télépathique involontaire me fit alors intensément songer à Hérylisandre, qui possédait naturellement ce don, ou cette "malédiction" comme elle la qualifiait de façon pessimiste.


 Je prenais alors une fois de plus conscience du poids mental que cette capacité engendrait, et du supplice inhérent qu'il lui fallait supporter au quotidien. Il est vrai qu'en fonction de la personne qui serait l'objet d'une telle lecture spirituelle, recevoir les piques émanant d'une humeur exécrable doit s'avérer pénible, comme si l'on se faisait insulter à voix basse ; puis, qu'en était-il des secrets et des mensonges, alors ? Être capable de déceler l'unique et profonde vérité provenant de tout un chacun pouvait sûrement être grisant et pratique, cela permettant de ne plus être victime d'abus de confiance ou d'entourloupes... Néanmoins, cette perception, de nature presque invasive et indiscrète, ouvrait aussi grand la porte à toutes les pensées négatives.

Qu'ils soient voulus comme étant désapprobateurs ou vecteurs de critiques cinglantes, tous ces songes que la raison ou l'empathie nous intiment parfois de retenir et d'enfouir en nous, afin d'éviter de blesser ou de frustrer la cible de ces remarques, sont bien souvent caractérisés comme étant trop crus et trop sévères pour être simplement évoqués sans être édulcorés. Hérylisandre, elle, se devait de les affronter sans broncher tels qu’ils fleurissaient dans l’esprit, sans pouvoir nécessairement y répondre, car quelque part, ce qui est caché en notre for intérieur, l'est souvent pour de bonnes raisons, et que, par ailleurs, bien qu'il s'agisse d'un don incontrôlable, personne n'apprécierait savoir que ses secrets les plus dissimulés soient finalement accessibles.


 Même s'il faut reconnaître que, dans le cadre d'une mission telle que celle qui avait été confiée à Hérylisandre, pouvoir délier le vrai du faux, distinguer le bienfait du méfait, ainsi que déceler les motifs sous-jacents à tout acte ou décision, s'avéraient être des outils indispensables lorsque comprendre les tenants et aboutissants d'une situation était la clé de voûte d'une résolution équitable. Il est vrai qu'en étant capable de dissiper les mirages créés par le mensonge ou la mystification, la justice redevient pourvue d'une vue perçante, et peut alors se baser sur des éléments tangibles. Ce faisant, cette dernière est alors applicable de façon justifiée et irrévocable. Malgré cette évidence, il persiste en moi un paradoxe, lequel se voudrait être un mélange entre bonne volonté et exaction, tout comme lorsque Mylteïne avait été tuée devant mes yeux, et que j'avais de sang-froid assassiné le boss et son larbin.

 Qu'en est-il de ces décisions aux conséquences irréparables ? Doivent-elles être aussi considérées comme des crimes ? Ou la fin justifie-t-elle les moyens ? Sur quels critères reposent alors la vraie justice ? À contrario, les bonnes actions effectuées pour de mauvaises raisons en demeurent-elles bienfaitrices ? Je me nouais le cerveau, m'empêtrant dans ces questions existentielles auxquelles une seule réponse ne me paraissait pas s'avérer comme être une valable et absolue vérité... Je ne pouvais alors à nouveau, qu'éprouver une peine indescriptible pour Hérylisandre, qui avait dû affronter seule ces réflexions controversées, en plus d'être nécessairement accablée par la responsabilité d'élucider de la façon la plus équitable possible des affaires opposant des inconnus.


 Je lui donnais finalement totalement raison : son don était bien une malédiction, un élagage brutal à toute innocence, une anomalie brouillant toute notion d'affect, une interdiction de rêver ou de s'imaginer que les choses ne puissent pas être autres qu'elles ne sont définies par nature. Je me sentis alors écrasée par le poids d'une responsabilité qui n'était pas mienne et avec laquelle je ne serais plus capable de respirer, ni d'être en mesure de m'introspecter, par crainte de ne cesser de voir le mal partout. Les larmes arrivaient, agglomérant aux coins de mes yeux le pollen sillonnant les bois dans lesquels nous marchions. Je ne voulus subitement plus être ici, mais bel et bien au près d'Hérylisandre, à qui jamais je n'aurais dû dire de devenir plus forte : supporter quotidiennement cette affliction faisait officiellement d'elle à mes yeux, la personne la plus puissante de Mithreïlid. Je tentais de terrer cet incommensurable chagrin en moi, mais je n'y parvenais pas, et finissais par m'accroupir et enfouir ma tête entre mes mains, laissant les goulettes soufrées ruisseler sur mon visage.


 Félicie ne tarda pas à venir poser ses pattes moelleuses sur mes épaules, les pressant tendrement, tandis qu'elle s'agenouillait auprès de moi, cherchant à m'extirper de la coquille charnelle dans laquelle je m'étais recroquevillée.


« Hé bien Teïnelyore, que t'arrive-t-il subitement ? Me demandait-elle en parlant tout bas.

– Un chagrin d'amour. Répondait alors le cerf par télépathie.

Tu penses encore à Hérylisandre ? Te manque-t-elle ? Semblait-elle compatir de me voir ainsi abattue, je sanglotais encore. Allons, tu peux me le dire, tu le sais. Elle soulevait délicatement mon visage, amenant mes yeux à la rencontre des siens.

Je m'en veux seulement d'avoir émis une condition à notre amour. C'était indélicat de ma part, et injuste pour elle.

– Il n'y a que cela qui te tracasse ? Cela l'avait-elle dérangé lorsque tu avais soumis cette condition ? Puis, quelle était-elle ?

– Je ne voulais pas souffrir... Depuis que je suis née, ma vie n'a jamais été simple, et après la disparition de Mylteïne, je m'étais jurée de ne plus entraîner qui que ce soit dans les tourments qui semblent s'acharner sur moi, par peur de perdre à nouveau une personne qui m'était chère. Mais... Je reprenais une respiration pour me calmer. Mais j'ai été égoïste, et à défaut d'accepter son amour tel qu'il était, j'ai sous-estimé Hérylisandre, et sous-entendu qu'elle n'était pas assez forte pour moi. Je pleurais à nouveau. Je suis indigne d'être aimée.

– Non Teïnelyore ! Félicie se jetait sur moi, me faisant basculer par terre, et me blottissait contre elle, tout en m'étreignant solidement. Tu n'as pas le droit de dire ça. Pas toi. Elle relevait sa tête, forçant une fois de plus nos regards à se croiser. Bien que tes sentiments ne me soient pas destinés, depuis notre malheureuse rencontre, tu as tout fait pour que j'aille mieux et que j'ai davantage confiance en moi. Alors que tu aurais pu être indifférente à ma situation, tu n'as jamais cessé de me dorloter et de prendre soin de moi. Son minois s'illuminait d'une rougeur timide. Je ne peux pas te laisser croire que tu as mal agi.

– Mais même toi Félicie, ne vois-tu pas d'un mauvais œil l'ambiguïté de notre relation, tandis que je n'ai jamais arrêté de penser à Hérylisandre ? Quand je la retrouverais, nous ne pourrons plus jouir des mêmes plaisirs que nous avons pu partager jusqu'ici...

– Jouir des plaisirs... Tu choisis bien tes mots, toi ! Elle ricanait, puis reprenait un air sérieux. Teïnelyore. Elle approchait finalement ses lèvres des miennes, et y déposait un léger baiser. Je savais que ton esprit et ton cœur étaient déjà pris par quelqu'un d'autre. Mais je ne peux ni t'en vouloir, ni même te le reprocher. Tout comme tu n'as pas le droit de te morfondre ou de te sentir coupable de quoi que ce soit.

– Mais...

– Mais... Rien du tout. Tu ne m'as pas forcée à t'apprécier, ni même à te désirer, et encore moins à t'aimer. Ses pommettes étaient désormais teintées d'un rouge vif. Car oui Teïnelyore. Moi aussi, je suis tombée amoureuse de toi. Elle s'était redressée, puis mise à califourchon sur mon bassin avant de croiser les bras. Tu es l'exact contraire de ce que tu penses de toi. Tu as le droit de vouloir te protéger. Elle posait une main sur ma poitrine. Et tu as raison de le faire, car si tu es physiquement presque invulnérable, je sais que le cœur qui bat actuellement sous mes doigts n'est pas invincible lui. C'est ton premier et plus important devoir de faire en sorte que tu ailles bien Teïnelyore, car si tel n'était pas le cas, la disparition de ton sourire ou de l'énergie qui émane de ton être serait une perte inestimable pour ce Monde, et pour toutes les personnes qui en dépendent.

– Je... Ses doigts venaient refermer mes lèvres, m'empêchant de parler.

– Chut. Je n'ai pas fini. Je refuse que tu t'accuses de me faire souffrir. Depuis que je te connais, je me sens plus à même d'occuper ma propre peau, tu m'as aussi permise de traverser l'océan de culpabilité et de chagrin qui allait me submerger suite à la perte de mon groupe. Grâce à toi, Teïnelyore, et en si peu de temps, j'ai grandi et suis enfin capable de ne plus douter de moi. Après tout ce que tu m'as offert, je ne pourrais jamais être jalouse de qui que ce soit, ni même souhaiter te retenir pour moi toute seule ou t'enchaîner à une prétendue responsabilité de rester auprès de moi. C'est ça l'amour que je veux te témoigner Teïnelyore, c'est celui-ci que je veux que tu ressentes émaner de moi. Elle saisissait une de mes mains, l'entrainant jusqu'à son sein gauche, la plaquant contre son cœur. Je refuse de t'emprisonner contre moi, je veux que tu vives en étant heureuse, et si cela sous-entend que tu le sois avec quelqu'un d'autre que moi, je respecterai ce choix inconditionnellement, et sans jamais te le faire payer. Cela car je t'aime pour ce que tu es Teïnelyore : un délicieux brasier qui crépite pour réchauffer et réconforter son entourage, qui irradie d'un amour aveugle et chaleureux. Tu n'as pas à m'appartenir pour que je sois éprise de toi. Soufflait-elle, tout sourire, avant de se relever et de m'aider à me remettre debout.

– Je... Je ne sais pas quoi te dire Félicie. Murmurais-je, des larmes de joie remplaçant dans mes yeux celles d'amertume, après avoir savouré cet aveu aussi passionné que plaisant à entendre.

– Alors embrasse-moi. Tes baisers valent bien tous les mots du monde. Lâchait-elle tout en se mordillant les lèvres, ses oreilles frémissant légèrement. »


 Je m'avançais alors jusqu'à ce que nos corps soient collés l'un à l'autre, après avoir lentement entouré Félicie de mes bras, et que cette dernière ait posé les siens autour de mes hanches, j'amenais mon nez à la rencontre du sien, profitant une fois de plus de l'éclat malicieux de ses iris fendus. Ses mains s'agrippaient à mes épaules, elle se hissait sur la pointe des pieds, et après avoir réunis nos bassins, nos lèvres entamèrent une tendre valse, ses crocs pinçaient mollement mon labret, j'encadrais ses joues de mes doigts, perdant mes ongles dans sa chevelure encore moite, glissant jusqu'à ses oreilles duveteuses. Sa longue queue s'enroulait gracieusement autour de ma taille, m'enserrant avec douceur, incitant tout mon corps à s'aplatir contre le sien. Ses paupières garnies de longs cils se refermaient, tandis que sa fine bouche s'ouvrait ; nous échangions quelques langoureux baisers et bouffées d'air ardentes. Je la sentis déployer et rentrer ses griffes dans la chair près de mes clavicules, provoquant en moi d'intenses frissons, je relâchais alors les contours moelleux de son visage, passais mes mains sous ses cuisses et la soulevais sans effort. L'arête de nos nez se chevauchait l'une l'autre, tandis que mes iris auraient pu presque fusionner avec les siens. À l'instar de sa queue quelques instants plus tôt, ses jambes se croisaient dans mon dos, tandis que ses coussinets boulangeaient mes pommettes. Du coin de l'œil, j'apercevais mon léviathan, chevauché par celui de Félicie, s'éloignant de nous deux.


 Après avoir davantage embrasé l'atmosphère nous entourant, nous entamions une tendre et lente descente vers le sol recouvert de fougères, où nos corps désormais dénudés, finissaient par s'enchevêtrer et se lier. La flore douce du lieu soupesant nos délicieux échanges charnels, nos voix accompagnées par les divers chants et sons de la sylve nous entourant.

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