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Bas les masques, c’est ma période bleue. Mon sang de dialysé fait le boomerang depuis trop longtemps. Aussitôt décrassé, il se recharge d’une pourriture sévère. Il y a des jours où le maquillage rouge ne veut pas dessiner le sourire. Pas moyen. Il y a des nuits où l’infirmière n’est même pas jolie. Il y a des mois que je ne fais plus rire personne.

Et pourtant c’était bien parti. Les trompettes sonnaient dans l’arène, l’orchestre jouait, les cymbales retentissaient à chacune de mes boutades. J’étais un autre dans mon habit de lumière déglinguée, dans mes nippes trop grandes, sous mon chapeau trop mou, mon faux-nez et mon fard rouge et blanc.

Mais remontons encore le fil du temps.

Je nais, de l’autre côté de la Méditerranée, au hasard d’une étape. Une flopée de gamins à mes côtés, mes frères de sang. Quand on nous présente au monde car il le faut bien, sous des musiques tonitruantes, têtes nues, on nous dit de profiter de la vie, de la braver. On nous met en garde aussi. Gosse, je n’ai pas besoin de l’habit. Avec mes copains de tous les pays, je parcours la planète, suivant docile mes parents, je suis partout chez moi. J’ai de l’énergie pour deux, pour trois. Mes compagnons de voyage s’appellent Beppe ou Momo. Et bien d’autres. Ma chérie du moment, Véronique. Il faut bien qu’on l’épuise cette énergie, c’est qu’on ne la connaît pas. Les jambes courent, les mollets sautent, les bras moulinent, les poings partent, les doigts se veulent indépendants. Les poumons suivent la cadence, le cœur ne se pose pas de questions, le sourire s’étire largement sur des dents de lait chancelantes pleines de jours, la morve coule en liberté, les genoux s’écorchent. Les copains et moi on joue avec la Réalité, on la teste, on jongle, on trapèze. On tourne sur nous-mêmes, on tente un peu aussi d’imiter les grands, fiers et droits, on se fait des clins d’œil d’adulte. La Réalité, déprimée par tout ce sang neuf, teste tous les points faibles. Oh elle gagne parfois je ne dis pas le contraire, mais ce ne sont que de pâles victoires à côté de nos jeux permanents. Souvent, elle se pose, mine de rien, la cage thoracique soulevée par une recherche d’air régénérateur, essayant de ne rien en montrer. Mais elle peste et revient à la charge, elle se dit que, sur un malentendu, sur un croc-en-jambe du sort, elle pourra s’asseoir sur nos visages, ou percer nos éclats de lumière.

Juchés l’un sur le dos de l’autre, éclatants de santé, on use de nos lance-pierres pour tenir la Réalité à distance. Et elle s’épuise à force, je vous jure. Puis elle grandit elle aussi, devenant promesse funeste. Elle mue en changeant de nom.

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