J’ai changé de job. J’en ai eu marre d’écrire des modes d’emploi de cinquante pages afin de légitimer le prix du sèche-cheveux. Faut arrêter de déconner : c’est pas des soucoupes volantes, non plus ! Quand mon grand-père a passé son permis de conduire, les voitures avaient moins de boutons qu’un aspirateur en 2023. Et de toute façon, plus personne ne lit ! Tout le monde se contrecarre de la fonction « allergie » qui traque les acariens et les pollens jusque dans les barbes des plumes de doudounes et autres garnitures de literie. Et je ne vous parle même pas des options « silence » ou « économie d’énergie » qui ne font que caresser la poussière dans le sens du poil et n’intéressent ni les maniaques - qui font le ménage à fond, quel que soit l’état de leur intérieur - ni les nettoyeurs occasionnels qui, pour une fois qu’ils se décident, ne s’embarrassent pas de préliminaires. S’il y avait une fonction "Mary Poppins", elle mettrait tout le monde d’accord. En attendant, c’est la position « puissance maximale » qui tient la vedette, et le reste ne sert qu’à justifier le nombre de zéros qu’affiche le prix et à rouler le client dans de la farine à se poudrer les yeux aussi profondément que l'acheteur n'est prêt à l'accepter.

Vous l'avez compris, j’étais remontée. Je venais de réaliser que j’avais passé mes plus belles années au fond d’une cave à noircir de la cellulose destinée à atterrir intacte à la décharge. La vérité, c'est que la plupart des manuels ne sortent de leur conditionnement d’origine qu’au moment du tri sélectif (si toutefois ils en sortent un jour). L’inanité de ma vie m’a soudainement sauté aux yeux et mise hors de moi :

• J’aurais préféré faire du Moltonel triple couche ! Ou même du bas de gamme. M’en fous ! Au moins, c’est utilisé !
• On pourrait monter une entreprise ! Récolter les manuels neufs et les recycler en rouleaux hygiéniques locaux et éco-responsables ! C’est de l’économie circulaire ; ça serait génial !

Rien n’arrête jamais Solène. Quand une tuile nous tombe sur la figure, elle la renvoie comme si on venait de lui proposer une partie de ping-pong. Je lui rappelai néanmoins que j’avais déjà un fiasco à mon actif (des gobelets roses en polyuréthane pliables) et qu’on n’utilisait plus, ni elle ni moi, de papier de toilette ou de serviettes hygiéniques. Sur le modèle des patchs démaquillants lavables, tout passe à la lessive depuis plusieurs mois.

• Hein, dis, Solène ? Tu le fais toujours ?
• Bien sûr ! J'adore ! D'ailleurs, tu pourrais dispenser tes idées sur internet !

C’est comme ça que je suis devenue influenceuse. Mon expertise : les bons plans écolos. Je suis une mine de bonnes idées.

La semaine passée, j’expliquais comment faire des économies en lavant ses culottes un jour sur deux : il suffit de les porter à l’envers le deuxième jour. Selon les modèles, on peut tenir jusqu'à quatre : ça fait moins de deux slips par semaine. Cette option est interdite aux strings qui gardent néanmoins un bon bilan vu qu’ils prennent peu de place dans le lave-linge.

Ma carrière démarrait plutôt bien, du moins jusqu'à ce matin. Bon an, mal an, j’avais de plus en plus de like et une petite communauté qui commençait à flirter avec les mille personnes. Mes abonnés aiment mes idées originales et mes bilans carbones sérieux. J'ai trouvé ma voie.

Alors que je prenais mon troisième café de la matinée, mon vieil ami Lorenzo a sonné. Il voulait qu’on prenne une douche tous les deux. Il m’a dit que c’était pour économiser du savon, « sauver les bébés phoques et tout le tralala, et qu’il fallait bien qu’on y mette du nôtre si on veut s’en sortir, ma poulette ! ». Je sentais bien qu'il se foutait à nouveau de ma poire, mais ça faisait une paye qu’on ne s’était pas retrouvé tout nus tous les deux et j’avais gardé de très bons souvenirs. En sus, j'avais une idée à tester.