La 6e: Le début du cauchemar
A présent, nous sommes en 2011. Ca fait 3 ans que j’habite Armentières, mais pour autant, je me suis jamais considéré comme appartenant à cette ville. Je m’y suis jamais attaché et c’est normal parce que chaque année, j’avais l’espoir de la quitter. « St-Paul » n'est pas forcément le collège privé qui donne le plus envie d’y aller. La cour est goudronnée, les murs sont sales, les salles de classe sont mal nettoyées, les professeurs ont du mal à motiver leurs élèves à bien bosser, mais surtout, c’est le collège poubelle de la ville. Quand des gamins se font virer, c’est ce collège privé qui les récupère pour « leur donner une seconde chance ». Dès le début, j’ai une impression un peu mitigée de ce bahut. La mission séduction à la cantine avec le repas à base de steak/frite et de glace à la vanille, ce n'est pas suffisant du tout.
Ce qui me motivait en allant au collège, c’était le nouveau programme et bien sûr le fait d’être un peu plus autonome. Au final, c’était loin d’être le cas. Je ne sais pas comment des élèves sont arrivés à savoir que j’étais le fils d’une enseignante, mais rapidement, ils sont arrivés à le repérer. Rapidement, j’ai eu la réputation d’être le chouchou de tous les profs, alors que ce n’était pas du tout le cas. Des profs qui m’appréciaient réellement, bien sûr qu’il y en a eu, mais des profs qui me détestaient, j’en ai eu aussi. Et ces profs-là, forcément qu’ils n’allaient pas plus que ça bouger le petit doigt en me voyant me faire emmerder.
L’un d’eux était mon prof d’EPS. Un mec un peu sec, pas forcément très grand, qui avait facilement la quarantaine. Dès le départ, il me fait comprendre qu’il ne m'appréciera pas. Ça tombe bien, vu la façon qu’il a de me parler, moi aussi, je décide de ne pas l’apprécier. Les élèves le remarquent vite, alors ils en profitent pour me titiller parce que je démarre rapidement au quart de tour. Forcément, lui, il utilise ça aussi comme un jeu. Plus il me voit m’énerver, plus ça l’amuse et surtout ça lui donne à chaque fois l’excuse de mettre dans la partie « Observations négative » que je fais des « sautes d’humeur ». Mes parents sont très surpris de voir ces motifs apparaître dans mon carnet, car il savent très bien que si je m’énerve, c’est qu’il y a une raison. Alors, un petit rendez-vous a lieu avec ce charmant monsieur qui me décrit comme réagissant souvent à la provocation des autres, mais il dit ne pas avoir de problèmes particuliers avec moi dans l’ensemble. Manque de courage ? Oui bien sûr. Parce que malgré cette entrevue, les choses n’ont pas changé. Pour lui, si je ne voulais plus recevoir de remarques dans mon carnet, fallait que je le vois quand j’avais un problème. Seulement quand j’avais un problème, il me disait d’arrêter de faire chier mon monde. Alors forcément, voyant qu’il n’allait pas plus bouger que ça, j’étais obligé de me défendre. Une fois, après une énième chamaillerie, j’ai failli me battre avec un autre type de ma classe dans les vestiaires et à ce moment-là, le prof a tout simplement décidé de m’exclure de cours.
Pendant des portes ouvertes, j’avais mon téléphone portable, car je faisais les visites aux parents intéressés par cet établissement. J’avais un simple Sony Ericsson à touche. La définition même du portable ! Des unités pour téléphoner et pour envoyer des SMS, rien que ça. Début 2012, avoir un smartphone était un luxe en raison du peu de constructeurs qui les proposaient. C’est fou de s’en rappeler alors que ce n'est pas si lointain que ça comme époque. Soudain, je me rends compte que j’ai plus du tout mon portable. Avec certains camarades, on cherche partout ce portable et on tombe dans une salle sur la carte SIM de mon tel, complètement en morceau. Mon portable a été volé ! Certains ont vu qui avait volé mon téléphone alors forcément, quand ma mère a été au courant, elle est allée voir le directeur. Impossible de joindre les parents de ce charmant chérubin voleur de portable. Le lundi, je retrouve enfin mon portable au secrétariat du collège. La mère du gamin avait bien reçu l’appel et l’a rapporté. Merci à elle. Par contre, étant donné que j’étais le fils d’une enseignante, il s’en est tiré avec seulement 3h de colle.
Ce qui est dramatique dans tout ça, c’est qu’à onze ans, on est dans une phase où l’on commence à se construire. On commence tout doucement à entrer dans l’adolescence, on est plus vraiment un enfant. C’est dans cette phase où, comme je l’ai dit, on se construit pour devenir quelqu’un. Quand on arrive à ce stade-là, le harcèlement est clairement destructeur dans la mesure où on a aucune idée de ce qu’on vaut vraiment. On a l’impression que le monde entier nous en veut, on a peur d’être sujets à des moqueries, on a peur de pas être assez bien pour les autres, on a peur d’être différent, on a peur d’être le paria du collège. Et quelque part, on fini aussi par s’habituer à ne subir que des critiques négatives de la part des autres. On fini rapidement par comprendre qu’on n'est pas normal, qu’un truc ne tourne pas rond et que c’est, en quelques sortes, normal d’être autant rejeté. On comprend que le problème, ce n'est peut-être pas des autres qui sont juste méchants avec nous, mais juste nous qui sommes anormaux.
Je n’arrive plus à me rappeler comment j’en suis arrivé, car j’ai fini par aller voir de temps en temps la psychologue de mon collège. A part longuement m’écouter, la seule chose qu’elle me conseillait de faire, c’était d’en parler à des adultes, CPE ou professeurs principaux. Ça, c’était des choses que je faisais déjà en fait. Au final, ça ne m’a rien apporté, si ce n’est d’avoir cette fois-ci l’impression d’être incompris.
Vers la fin de l’année scolaire, un mec qui m’avait saoulé pendant toute l’année, et où je m’étais retenu de lui en foutre une, a voulu discuter avec des 3e qui me protégeaient. Je ne sais pas ce qui m’a pris, car je lui ai foutu un violent coup de poing dans la figure. On a failli se bagarrer. Je tremblais parce que j’avais peur de me prendre un coup en retour. L’histoire a fini devant le directeur de l’établissement et quelques témoins, ainsi que ma mère. J’avais honte de moi, parce que j’avais peur que l’histoire me retombe non seulement dessus, mais j’avais peur aussi que ma mère subisse en retour des représailles de la part des parents de cet élève. Je me sentais mal d’avoir agi comme ça parce que je ne suis aucunement de nature violente. Bien au contraire.
Cette première année de collège avait très mal commencé. J’espérais que la 5e se passe normalement cette fois-ci.
Annotations
Versions