sC’est une ville comme les autres. Parfois le soleil éclaire les façades, parfois la pluie battante nettoie les trottoirs. L’air y est calme quand le vent ne souffle pas, le temps glacial quand l’hiver s'installe, les températures montent lorsqu’il s’en va… En bref, rien de remarquable, rien d’inoubliable.

Cependant, si vous avez de la chance, vous pourrez croiser au détour d’une rue l’homme au chapeau. C’est la seule curiosité de la ville. Tous les habitants l’aiment sans vraiment le connaître : son apparence et sa démarche le rendent immédiatement sympathique.

L’homme au chapeau varie très peu ses tenues. Toujours très propre sur lui, il alterne avec un costume gris, un noir et un bleu marine, mais tous taillés sur mesure. Le couvre-chef quant à lui ne jure jamais avec la veste en adoptant exactement la même couleur. Les chaussures sont toujours noires et impeccablement cirées, et les cravates choisies avec soin : une pourpre pour le costume gris, une gris anthracite pour le costume bleu et une carmin pour le costume noir.

Il tient constamment à la main une mallette noire qui semble vide et ne quitte jamais ses lunettes à la monture carrée, bien que celles-ci ne possèdent pas de verres. D’aucuns pensent que c’est pour qu’elles demeurent éternellement propres.

L’homme au chapeau possède un emploi du temps fort chargé : du lundi au samedi, de l’aube au crépuscule, il parcourt les rues se penchant et regardant sous toutes les voitures qu’il croise.

Mais attention, jamais le trottoir impropre ne touche ses beaux vêtements. Dans une pause hautement sophistiquée, il se balance au-dessus du sol comme un funambule sur son fil. Un pied fermement en appui sur le bitume, l’autre jambe tendue droite derrière lui et ses mains telles des ailes lui servent de balancier.

Mais que cherche-t-il ainsi par tous les temps, sans se lasser ? Un animal perdu ? Un bijou égaré ? Pour comprendre cet étrange personnage, suivons-le dans l’une de ses étranges escapades.

Jamais il ne tremble lorsqu’il se penche pour regarder sous les véhicules, les années lui ont appris à ne plus trembler et à ne plus user ses beaux costumes sur les coudes et les genoux.

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il est temps que Dame Persévérance le récompense de sa lutte acharnée ?

Fatigué de se pencher encore et encore, il s’arrête quelque temps et reprend son souffle à côté d'une voiture rouge. Son dos lui fait mal mais il doit continuer.

Il s’approche du sol une nouvelle fois, scrute la sombre machinerie s’attendant à ne rien trouver d’autre qu’une odeur un peu âcre.

Soudain il se redresse en un cri, sans oser croire à ce qu’il venait de voir.

Sous la voiture rouge se tenait un visage sali par le cambouis mais dont le sourire éclatant illuminait les traits.

« Est-ce toi que je cherche ? demanda l’homme dans un souffle.

• Oui. »

Et ils s’embrassèrent.

L’homme au chapeau avait enfin trouvé l’amour.