Dans le salon de la maison, Luv, Jonas et Linh, lunettes polarisées sur le bec, essayaient de calmer mes humeurs volatiles - oie, poule ou bécasse, à vous de choisir on cuisine gratis.

Pour ceux qui en doutaient encore, le test était concluant, j’avais conservé toutes mes capacités sensorielles et hormonales. Ça ruait sec à OK Corral, et mes apparitions soudaines plus encore que mes disparitions, portaient sur les nerfs de Luv et Jonas.

— J’enlève mes lunettes moi aussi, c’est insupportable.

Mon père n’était toujours pas rentré du laboratoire, et nous attendions impatiemment de connaître la suite des évènements. C’est Linh qui a donné l’alerte ;

— Dites, les humains, il y a un lologramme dans le salon, c’est le père de Béatrice !

Mon père parlait en langue des signes ; le micro ne fonctionnait pas ; Jonas devait aller chercher son Smartphone pour mettre le son.

— Bonjour les enfants, tout est synchronisé ? Comment va Béatrice ? Tout d’abord, sachez qu’il n’y a que le canal sortant, je ne vous vois pas et je ne vous entends pas. Vous allez donc devoir m’écouter ! Béa, si tu m’entends, est-ce que tu peux aller faire en trois secondes le tour du pâté de maisons ? C’est pour vérifier... Cool, merci. Bon, tu es là.

Mais comment savait-il ? Ils pouvaient me suivre, dans leur laboratoire ?

— Pour te rassurer, Béa, d’un certain point de vue, tu es en parfaite sécurité. Un accident de voiture, une balle perdue, et même une guerre thermonucléaire, n’auraient aucun effet sur toi !

J’avais maintenant réintégré le canapé. J’étais inquiète grave. Lorsque mon père commençait par une bonne nouvelle de cette nature, du genre « mais c’est pas si nul, et c’est même cool » c’est qu’il y avait une grosse patate à avaler.

— Bon, heu… j’ai aussi quelque chose d’un peu plus embêtant à annoncer. D’abord, je ne rentre pas ce soir… heum… je n’ai plus mes accréditations de sortie, hu hu ! Je ne suis pas le seul, on est tous bloqués ici. Je vous ai déjà dit que nous avons des appareils ultrasensibles… en fait, heum… nous surveillons un espace, enfin, une sorte d’espace, qui correspond à notre environnement galactique, heu… grosso modo… un petit peu au-delà, enfin, je vous rassure, pas tout, hein ? Bon, donc voilà, nous sommes la seule espèce intelligente à haut niveau technologique du sous-système… heu, et là, on a détecté un portail quantique, ici, sur la planète. Alors, les Russes ont parlé aux Chinois, qui ont parlé aux Américains, heum… qui ont sonné les cloches des Français… Enfin, bref, on a trouvé un truc, mais tout le monde nie les faits… heu… c’est drôle, hein ? Personne ne sait qui a fait le coup. Alors voilà… Hm… les équipes qui travaillent sur le sujet sont toutes bloquées dans leurs laboratoires, partout dans le monde, heu… parce que le portail quantique, là, c’est très embêtant en termes de sécurité. Heum… il faut imaginer un portail, admettons, entrant, voilà… Bon, alors comme ça, on peut tout recevoir d’un autre monde, vraiment n’importe quoi, enfin, de la lunch box fluffie douce à… une bombe thermonucléaire, hein ? Une grosse quantité de bombes thermonucléaires. Ou des trucs pires, qu’on ne connaît pas. Alors imaginez, tout le monde a les crocs, les politiques, les militaires… Heu… et si c’est au contraire un portail sortant, heu, c’est cool, parce qu’on ne peut rien recevoir dans la figure… enfin… le problème, c’est justement qu’on peut envoyer plein de trucs chez les autres, alors les autres, ils savent qu’ils sont vulnérables, hein ? Alors, heu, ils vont vouloir neutraliser la menace, vous me suivez ? Enfin, heu… cela n’a rien de personnel, bien entendu… mais vous savez comment fonctionne le monde quantique, un peu, non ? Heu, on est dans du non-local, alors, ça s’agite, on est tous voisins, hein, ha ha ! Relations de bon voisinage, et tout ça… Heum… Alors voilà, les Russes, les Chinois, les Français, les Américains, hé… ils cherchent tous le portail, et ils sont tous d’accord pour neutraliser la menace, avant que les aliens aient la même bonne idée de le faire à notre place. Béatrice, tu es en danger, sauve-toi !

Mais, me sauver où ? Vers l’ailleurs de l’ailleurs ? Et de quoi ?

J’étais bouche-bée. Linh et Luv m’encadraient toujours sur le canapé. Elles me regardaient maintenant, bizarrement, cachées derrière leurs lunettes de soleil polarisées. Mais qu’est-ce qu’elles me voulaient, ces deux là ?