Babo le magicien

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— Tu es sûr ? Tu ne te souviens de rien ?

— Mais si ! Je me souviens de tout ! Nous avons adoré rencontrer ce magicien, polymachin, hypnopathe et tout le cirque. Il a tout de suite compris que j’aimais la magie. Depuis toujours. Alors il m’a invité au Bubbles, et il a vu que j’avais du potentiel. C’est important pour moi tu sais ? Quelqu’un pour qui je compte vraiment. Tiens, regarde, je vais faire apparaître une pièce au bout de mes doigts. Hop ! Hm… Zut ! C’est raté. Mais je m’entraîne, je suis motivé !

— Dis-moi, on m’a tiré dessus, non ?

— Tiré dessus ? Non. Qui aurait fait ça ? Tu as vu quelque chose, Luv ? On appelle la police ?

— N’insiste pas, Béatrice.

— Mais il n’avait pas le droit de faire ça ! Pas le droit !

— Béatrice. Tu dois absolument aller le voir. Tu dois apprendre.

— Oui, c’est ça ! Moi aussi je veux apprendre la magie ! Je veux aller le voir. Ce soir, il assure le final au cirque Athéna. Tu viendras avec moi, Béatrice ?

— Je n’ai pas confiance.

— Linh et moi, nous viendrons avec toi. Qu’en penses-tu ? C’est un spectacle normal, même s’il lui arrive de faire quelques petits trucs. Comme ça, tu vas t’habituer.

Petèle… ne peut pas t’obliger à l’écouter. Il faut que ce soit ta volonté.

Le soir, le cirque attirait les foules, qui dans l'obscurité se dirigeaient vers un chapiteau couvert de lumières clignotantes. L’Athéna était un cirque étrange, en forme de temple grec aux piliers corinthiens de carton-pâte. Il devait son nom à une grande statue d’Athéna, dressée à l'entrée, où un grand feu brulait dans une vasque en bronze, jetant des reflets inquiétants. Linh et Luv avaient complètement changé d’attitude.

— Alors, vous me croyez, finalement ?

— Nous avons essayé de te convaincre de ta nouvelle réalité. Mais tu offrais une forte résistance, des souvenirs. Il était donc possible que tu aies réinscrit en toi cette nouvelle réalité, tout en gardant l’ancienne, avec le pouvoir de passer en état quantique.

— Une superposition quantique ?

— Information sur support profond, si tu préfères. Tu restes inscrite, quelque part.

— Linh, crois-tu devoir lui expliquer ça maintenant ?

Bad Boy, que Luv avait décidé d’appeler Babo, arrivait, essoufflé.

— Je suis en retard ?

— Oui Babo. On est là. Mais le spectacle n’a pas commencé.

— Ha ! Tant mieux. C’est quoi cette grande statue ?

— C’est qui, tu veux dire. C’est Athéna.

— Pourquoi a-t-elle un casque, et une lance ? Je croyais qu’Athéna était la déesse de la Sagesse ?

— Athéna est aussi la déesse de la ruse militaire. Elle est la protectrice d’Ulysse, qui entre à Troie, avec ses hommes, dans un cheval de bois.

— Ne te fie pas trop à elle, Athéna. La chouette de la sagesse, l’olivier de la prospérité, c’est bien gentil, mais sa puissance s’étend sur les serpents et les Gorgones qui pétrifient ceux qui osent les regarder.

— Elle est redoutable au combat… Mais elle est aussi l’amie des artistes !

— Et les magiciens, qui les protège, eux ?

— Aucun dieu ne protège les magiciens, Béatrice. Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Le premier spectacle était constitué de jongleurs, qui jonglaient avec des quilles enflammées, puisées à mains nues dans la grande vasque de bronze. A la fin, Il les lancèrent vers le haut, elles firent comme un ballet dans les airs, comme si des êtres invisibles les avaient pris en main. Puis les trois jongleurs se mirent en ligne devant le public, et tapant une seule fois dans leurs paumes, les quilles enflammées éclatèrent en milliers de flamèches qui descendirent vers la piste avant de disparaître.

Ensuite vinrent des animaux, lion, ours, ânes, paons, chevaux, canards et serpents, qui entouraient une jeune fille habillée d'un simple fourreau argenté. Contrairement aux dompteurs, elle n'avait pas de fouet, et passait de l'un à l'autre en les cajolant, jouant avec eux. Ils commencèrent par se serrer les uns contre les autres autour de la jeune fille, joue contre joue, tête d'ours, cheval, canard, âne, serpent et paon, jeune fille et lion. Puis, la construction se défit, ils entâmèrent une poursuite endiablée, créant des figures. Sur un signe de la jeune fille au fourreau d'argent, les animaux vinrent l'un après l'autre s'assoir à ses pieds, et elle les remerciait. Lorsque le cercle se défit, les animaux quittant la piste, elle avait disparu.

Vinrent ensuite les clowns, qui firent rire et qui firent peur, affrontant des robots avec d'énormes mitraillettes lumineuses lançant des ballons, puis les ballons éclataient, il y avait des confettis, et parfois un billet spécial pour recevoir un prix en friandises. Des acrobates et funambules arrivèrent dans la semi-obscurité, semblant voler dans les airs. Enfin, Monsieur Loyal, masque blanc et larme éternelle au coin de l'oeuil, annonça l'arrivée du Magicien.

Dans la salle aux fauteuils rouges, Peter, habillé d’un smoking noir, nœud papillon et gants mauves, apparut. Il transforma son nœud papillon en papillon bleu, qui s’envola, et alla se poser sur la tête d’une grosse dame, fit apparaître des lapins et des colombes, disparaître des objets, avant de les faire réapparaitre dans la poche des spectateurs.

— Qui est ce jeune homme, avec lui ?

— Son assistant, Hermès. C’est un surnom bien sûr !

— Il n’a pas l’air d’être heureux.

— Il est inquiet. Je suis inquiète, moi aussi, Luv. Il y a quelque chose de bizarre dans cette salle.

Les lumières vertes des accès de sécurité clignotaient, et les câblages électriques semblaient sous tension, émettant une légère vibration.

— Des Ames Errantes, dans les gradins !

— C’est quoi, ça ?

— Des âmes qui n’ont pas eu la vie qu’elles voulaient, une vie complète. Elles sont frustrées, et cherchent à s’incarner. Mais comme elles n’y arrivent pas, ou pas de façon permanente, elles sont très agitées, méfiantes. Elles recherchent les plus fragiles, et sont terriblement exigeantes.

— En même temps, elles sont influençables et ne supportent pas la solitude, elles se traînent avec d’autres Errants, en petits groupes. Elles s'en vont, reviennent, repartent. C’est épuisant. Elles finissent par détruire leurs hôtes, par ennui. Au mieux elles les quittent, mais souvent se détruisent l’une l’autre avec leurs victimes.

— Et elles peuvent se mettre à plusieurs sur la même personne. C’est vraiment horrible !

— Certaines se contentent de vivre sous la forme de profils fantômes sur les réseaux sociaux. Elles ont une photo de profil piratée, ou une icône Emoji, mais en fait, derrière, c’est une Ame Errante qui te parle.

— Breuhh…

— Les câbles et les ondes, la télévision, la radio ou internet, c’est leur moyen de transport favori. On vient d’avoir une arrivée en masse !

— Alors, on fait quoi ?

— On s’en va ! Ne t’en fait pas. Elles ne sont pas d’une grande finesse. Vraiment lourdingues.

Pendant que Peter continuait ses tours, Luv, Béatrice et Linh se levèrent, prenant la direction de la sortie, obligeant les gens à se lever dans les gradins.

— Hé ? Babo, lève-toi, tu viens avec nous.

Tâtonnant dans le noir, il chuchota à voix basse ;

— Mais pourquoi on s’en va, Luv ? C’est extraordinaire, ce qu’il arrive à faire ! Plus tard, je serai un grand magicien ! Babo, le Magicien !

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