Discussions
Je fus emmenée tout en haut d’une colline, qui se trouvait au dessus de la source. Petit à petit, d'autres animaux sortaient de leur cachette et nous suivaient. C’était impressionnant, et j'avais peur. Le chemin montait en pente douce. Je découvrais peu à peu le monde qui s’appelait Brocéliande.Le malaise que j'avais commencé à ressentir augmentait. Quelque chose n'allait pas.
- Pythagore, maître de Brocéliande ? Linh, il doit y avoir une erreur, Brocéliande est le royaume de Merlin !
- Demande lui ! Il adore raconter cette histoire de Merlin, et comment ce dernier a perdu Brocéliande !
Le ciel était toujours très bleu, et il n’y avait pas de vent. Il manquait aussi cette sensation sur la peau, comme l’humidité ou l’air sec peuvent le donner. Tout cela était vraiment étrange, artificiel. Arrivée en haut, je vis la mer, qui était de l’autre côté, au pied de la colline. Je me rapprochait de Peter.
— Qu’est-ce donc que Brocéliande ? Je pensais que ce lieu n’existait que dans les histoires ! Et j’imaginais plutôt une grande forêt.
— Brocéliande, il y a longtemps, était recouverte de forêts, répondit Peter, mais j’ai fait procéder à quelques petits aménagements. Vraiment, je ne me voyais pas vivre au fond des bois, comme un sauvage ! C’est la raison pour laquelle le Dieu-Cerf est irrité. Il ne perd jamais une occasion de me porter ses doléances, et je dois dire que chaque graine, chaque gland de ce paysage est âprement disputé ! Heureusement mes pouvoirs s’étendent au climat, et je fais en sorte que prospèrent ici les landes couvertes de bruyère violette, les prés herbeux au long des ruisseaux, les steppes battues par les vents. Je laisse, bien sûr, quelques forêts. Finalement, le Dieu-Cerf est plutôt satisfait, car il y trouve son compte en verts pâturages. Mais il ne voudra jamais l’avouer. L’important pour moi, c’est qu’il soit toujours possible de marcher, d’un lieu à un autre, la tête au soleil !
— Ce Dieu-Cerf est bien ombrageux… Comment se fait-il qu’il ne puisse… Enfin, c’est un Dieu, n’est-ce pas ? Alors pourquoi devrait-il obéir à un magicien ?
— Tu es là pour découvrir les Mondes, et ainsi apprendre à t’occuper du tien. Comme l’a fait remarquer Luv, il serait temps d’en prendre soin ! Pour l’instant, cette négligence nous vaut un procès.
Je n’avais aucune envie d’insister sur cette question désagréable. Aussi je changeais de sujet.
— Je croyais que Brocéliande était habité par Merlin ?
— Merlin ? Tu connais Merlin ?
— Oui. Enfin, je connais les histoires de Merlin. Et le dessin animé, celui où le ménage se fait tout seul, en musique !
— Alors cela ne compte pas. Merlin est vraiment quelqu’un de peu recommandable. Pas du tout comme dans ton histoire. Il est avide de pouvoir et mesquin. Les Fées Morgane et Viviane lui ont joué un sale tour. Il n’a jamais su résister au charme de ces dames ! Le pauvre homme. Il a été enfermé dans une Maison Dans le Ciel, un endroit dont il ne peut sortir. C’est devenu son nouveau Monde. Bref, Brocéliande était disponible. L’endroit m’a plu, malgré quelques très petits inconvénients faciles à réparer.
— Mais vous aviez le droit de faire ça ?
Peter me regarda comme si j’avais dit quelque chose de très drôle.
— Le droit ? Dans les Mondes qui sont les nôtres, cette question n’a vraiment aucun sens. Vraiment. C’est très drôle. Très drôle !
Il me quitta après un bref salut de la tête, et alla discuter, forçant le pas, avec le Dieu-Cerf et un corbeau, perché sur son épaule. Linh et Luv me rejoignaient.
— Alors, tu n’es pas trop inquiète, pour le procès ?
— Si. Mais je préfère ne pas y penser. Je ne pensais pas, en venant ici, tomber dans une telle situation !
— Ne t’en fais pas, les bêtes ne sont pas méchantes. Elles veulent faire sentir qu’on ne peut pas impunément les asservir, ou les tuer ! Et manger leur viande. Ou enlever leur peau pour en faire des chaussures, des ceintures, des sacs à main.
— Leur mettre des culottes en tissu pour les empêcher de faire pipi !
Nous arrivions maintenant au sommet, dans un cercle de pierres ouvert à tous les vents. J’essayais de repasser en mémoire mes nombreux crimes, pour lesquels je ne ressentais aucune faute. J’étais bien contente qu’ils ne puissent pas les connaître. D’ailleurs, le crime dont j’étais accusée n’était pas encore prouvé. Je me retournais vers Linh et Luv.
— Vous feriez comment, vous, pour savoir si Schrödinger, mon petit chat, est vivant ou mort ?
En silence, la colonne se resserra, formant une ronde à l'intérieur du cercle de pierre. Le Dieu-Cerf s'impatientait.
- Nous allons la juger tout de suite ! Le plus vite sera le mieux.
- Mais je ne suis pas prête ! Et puis je ne suis pas d'accord.
- Depuis quand demande-t-on l'avis des humains ?
Un Loup intervint. Il était énorme, terrible, mais son regard était doux.
- Dieu-Cerf... Béatrice doit être présumée innocente, et obtenir l'aide d'un avocat. Qui veut être l'avocat de l'humaine ? Personne ? S'il n'y a pas d'avocat, le procès ne sera pas valide ! Et Béatrice retrouvera sa liberté !
- Gal ! Tu m'entends ? Je fais quoi ? Le Loup cherche un avocat ! Cette affaire de chat tourne au ridicule. Qu'est-ce qu'on cherche ici ? Répond ! Gal ?
- Moi !
Une réponse arrivait, finalement, semblant s'élever d'une des pierres et j'eus de la peine à indentifier l'animal qui avait parlé. Cétait un lapin, vieux, ridé et pelé, les paupières roussies et tombantes, et il entrait dans le cercle.
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