J'étais heureuse. Vraiment heureuse. Avec cette impression de planer, légère, au sein d'une bulle, et protégée de tout.

J'étais chez moi.

Mon père était enfin normal, avec un regard vif, une grande barbe bien taillée. Mon frère était redevenu un gentil frère, qui regardait le plafond. Linh et Luv étaient là aussi. Mais elles paraissaient ennuyées. Comme si une catastrophe se préparait. Il y avait aussi une personne que je ne connaissais pas, et qui me tournait le dos. Elle trifouillait dans le four, avec des protections thermiques.

• Tadam ! Et voici mon gateau d'anniversaire ! Un Super au Chocolat !

Elle se retournait, et j'eus le choc ma vie. De ses grands yeux innocents, ravis, insupportablement heureuse, c'était moi, Béatrice, qui me regardait, de moi à moi comme dans un miroir déformant.

Mon père m'accueillit.

• Charlotte ! Entre ! Tu arrives juste à temps pour l'anniversaire. C'est vraiment fou cette ressemblance ! Si tu n'étais pas plus âgée, avec les joues un peu plus rouges, on pourrais jurer que c'est Béatrice ! Heureusement, tu portes une chapka rose à oreilles de lapins. Comme ça, on sait que c'est toi. C'est vraiment curieux. Tu ne veux pas la quitter ?
• Heu... Non. J'ai une otite. C'est pour ça. Et ça me donne les joues rouges, aussi.
• Et bien voilà ! Reprit la fille aux énormes gants thermiques. J'avais déjà une amie du Viet-Nam, Linh. Et puis Luv, qui nous vient de Russie. Quand j'ai reçu ce courrier m'annonçant la venue de ma cousine du Canada, spécialement pour mon anniversaire, j'étais trop contente !

Elle est idiote ou quoi ? C'était quoi ces manières de gamine ?

• Et si maintenant on passait au goûter d'anniversaire ? Dans le courrier, il est écrit que toi, tu es née le même jour que moi ! C'est extraordinaire, non ?

Pauvre cloche. Tu ne comprends donc pas que tu es moi, en moins bien ?

• Et puis nous fêtons aussi mes résultats scolaires. Je viens d'avoir mon bulletin du semestre, et j'ai 20/20 partout ! Même en sport !

Elle me regardait comme une gourde, un sourire aux lèvres. Elle s'attendait, peut-être à ce que la félicite ? Je la regardais,, sans bouger un cil, soutenant son regard. C'est elle qui cligna de la paupière, deux fois, l'air contrarié.

• Bon, et bien, on va manger le Super ! C'est mon anniversaire, c'est moi qui passe sous la table pour donner les parts, et c'est Charlotte qui découpe !

Je devins encore plus rouge tellement j'avais honte pour l'autre moi. Néanmoins, le rôle qui m'était attribué me convenait. Visiblement, l'épisode du micro-onde n'existait pas dans cette version de ma vie, et je commençais à découper le gateau, guidée par le moi à quatre pattes sous la table, espérant tomber sur la bague pendant que la tablée, insouciante, discutait bon train.

• Pour papa... Pour Linh... Pour Babo... C'est bien Babo ? Pour Jonas... Pour Charlotte... Pour Luv... Et pour moi !
• A l'Attaque au Chocolat ! C'était Jonas, mon baveux, qui avait hurlé. J'eus un sentiment de gratitude. Il m'offrait, par ces simples mots, du connu, un réconfort. Je l'aimais.

Au bout de quelques minutes de Ha ! Hmmm... et ainsi de suite, vinrent les Encore ! Et il n'y avait toujours pas de bague.

• Personne n'a trouvé un truc dur dans son gateau ?
• Non. Pourquoi ? Tu es tombée sur quelque chose ?
• Non-non... Dans mon pays, la tradition, c'est de cacher quelque chose dans les gateaux. Une bague par exemple.

Tout le monde me regardait sans comprendre, sauf mon frère, qui fouilla dans sa poche.

• Charlotte, tu veux dire, un anneau comme celui-là ?

Mon baveux tenait, entre le pouce et l'index, un anneau en toridium torsadé.