Chapitre 4

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Un an plus tard.




Serymar referma avec délicatesse le livre sur la langue des signes. Comme il l’avait annoncé, il l’avait d’abord laissé à disposition de ses serviteurs et estimait qu’il le leur avait laissé suffisamment de temps. Cela faisait plusieurs semaines qu’il s’y entraînait, jusqu’à être capable de la pratiquer sans aucune difficulté. Il jeta un œil vers Karel.

Ce dernier était occupé à explorer le moindre recoin de la pièce, et trouvait parfois des recoins dont le Mage n’avait même pas soupçonné l’existence. Il le regarda faire depuis son fauteuil, surpris d’être aussi intrigué par tant d’innocence.

Serymar ne s’était pas attendu à ce que la mutité de Karel se révèle plus difficile à gérer que prévu. Ses manifestations étaient difficiles à traduire et le pacte du silence n’aidait pas. Son handicap rendait les nuits encore plus problématiques que les journées.

Le Mage avait bien remarqué qu’Elma ne ménageait pas ses efforts. Il tenait plutôt rancœur à ses autres subordonnés : aucun d’entre eux n’avait trouvé judicieux de les seconder tous les deux, alors qu’il l’avait explicitement ordonné un an plus tôt. Il ne comprenait pas. Ils étaient tous dans la même situation et partageaient le même quotidien. Comment pouvaient-ils ne pas se sentir concernés ? Serymar avait beaucoup de mal à accepter qu’une évidence aussi banale ne puisse être comprise. Karel s’en trouvait encore plus vulnérable.

De par leur passivité, sous prétexte qu’Elma et lui-même étaient les plus présents, le quotidien était devenu épuisant. Serymar imposait souvent à Elma de se reposer après lui avoir fait comprendre qu’elle lui était bien plus utile au sommet de sa forme qu’à bout de force.

Prendre le relais pour la seconder ne suffisait pourtant pas : de par son incapacité à se faire comprendre, Karel entrait souvent dans des débordements émotionnels impressionnants. Serymar ne s’était pas attendu à ce que ces crises silencieuses se révèlent aussi difficiles. Karel souhaitait s’exprimer sans jamais y parvenir et se retrouvait dans une véritable détresse lorsque personne ne se révélait capable de le comprendre. Une situation qui ne pouvait plus durer.

Un léger bruit de chute l’interrompit dans ses réflexions. Karel était encore tombé. Le Mage n’en fit pas grand cas. Il estimait que Karel devait apprendre à se débrouiller seul, encore plus que les personnes dotées de voix, capables d’appeler à l’aide. Serymar aperçut Karel venir vers lui, les bras tendus.

Le Mage s’étonnait toujours de voir cet enfant n’éprouver aucune crainte à son égard. Son apparence, notamment ses yeux, avait souvent tendance à intimider avant même d’avoir donné une raison d’être redouté. Se retrouver face à autant d’innocence le déstabilisait quelque peu. Était-ce donc à ça que ressemblait une âme qui n’avait pas encore été brisée ? Le sourire de Karel était si… sincère.

« Bien. Il est temps de commencer. » se reprit-il.

Une fois Karel à sa hauteur, Serymar lui désigna un autre fauteuil à côté de lui. L’enfant obéit. Après quelques secondes de réflexion, Serymar décida d’abord de lui apprendre quelques signes simples du quotidien. Il positionna une main d’une certaine manière qu’il immobilisa, le temps que Karel comprenne et finisse par l’imiter. Prenant la situation comme un jeu, le petit reproduisit le geste avec un large sourire.

Afin de vérifier si Karel avait bien assimilé, Serymar fit apparaître au-dessus de la petite table basse un morceau de pain subtilisé dans une cuisine. Karel voulut aussitôt s’en saisir, mais le Mage lui barra le passage d’un bras pour l’empêcher de descendre de son fauteuil. Le tout petit mit plusieurs secondes à comprendre. Ce fut en croisant son regard que Karel commença par une formule polie exécutée de manière maladroite, suivi du signe « manger », pour enfin l’interroger du regard. Serymar le laissa passer.

Ce fut après une bonne demi-heure que le Mage entendit des pas dans le couloir. Un rapide coup d’œil au ciel au travers de l’unique fenêtre ajourée de la pièce lui indiqua l’approche d’un des rituels quotidiens de l’enfant.

Elma apparut, accompagnée de l’un de ses collègues, Radôn. D’une taille élancée, l’homme approchait doucement de la quarantaine. Un peu comme Elma, il était affecté aux tâches domestiques, bien qu’il arrivait à Serymar de l’envoyer en mission à l’extérieur. Le Mage n’avait jamais rien eu à redire sur son engagement, bien que leurs échanges n’avaient aucun intérêt à ses yeux : du genre discret, Radôn exécutait simplement les ordres qu’on lui donnait et n’allait jamais vraiment plus loin dans ses réflexions.

D’un simple mouvement, le Mage leur fit signe d’emmener Karel. L’enfant afficha une moue déçue et secoua la tête pour faire comprendre son mécontentement. Serymar ne céda pas. Elma échangea un regard avec Radôn et lui demanda d’emmener Karel. L’homme s’exécuta malgré les protestations silencieuses du petit et la jeune fille attendit patiemment qu’ils se soient éloignés.

— Que se passe-t-il ? la questionna Serymar avec une pointe d’impatience.

Depuis l’arrivée de Karel, le moindre échange était devenu tendu entre eux. Le Mage connaissait les griefs d’Elma à son encontre. Si elle avait le droit de penser ce qu’elle souhaitait, il commençait à se lasser de ces conflits permanents. Il s’attendait à une autre remarque désagréable.

— Veuillez pardonner ma surprise… lui répondit-elle d’un ton distant. Mais c’est la première fois que je vois Karel obéir sans faire de crise. Lui auriez-vous fait peur ?

Son ton était sans équivoque. Décidément, elle avait la rancune tenace. Lui expliquer le pourquoi du pacte du silence serait une perte de temps et d’énergie. Elle était bien trop convaincue par sa propre vérité pour nuancer son point de vue.

Lassé du manque d’effort de ses subordonnés pour comprendre des évidences, Serymar lui jeta un regard glacé.

— Si lui apprendre à obéir sans coups et à clarifier ses besoins est une forme de maltraitance, alors en effet, je suis la pire des pourritures. Peut-être que je me trompe de méthode. Au moins, j’essaie. Je suis épuisé de votre incapacité à le gérer, alors que la solution était à disposition sous vos yeux depuis ces derniers mois, fit-il en désignant le livre.

Il se releva.

— Maintenant qu’il est capable de traduire ses besoins les plus primaires, peut-être cesserez-vous de m’importuner au moindre problème. Ce que je trouve ironique, c’est que mes méthodes ne semblent déranger personne quand ça vous arrange.

Sur cette pique, il dépassa Elma puis s’immobilisa et lui tendit le livre qu’il venait d’étudier.

— Avec les autres, jetez donc un œil à cet ouvrage. Cela devrait vous aider à traduire les gestes de Karel. Si toutefois, vous voulez bien en prendre la peine.

— Que dois-je comprendre ? demanda froidement Elma.

— Aucun d’entre vous n’a pris la peine d’étudier ce document qui était à disposition de chacun. Soit par mauvaise volonté, soit par paresse de réflexion. Même si te concernant, je veux bien concevoir que tu n’aies pas eu le temps. Cela ne fait que quelques jours que j’étudie cet ouvrage, vous aviez largement le temps de vous l’approprier durant l’année.

Elma prit le livre et reconnut celui que Serymar l’avait envoyée chercher. Ses phalanges blanchirent sur la couverture.

— Vous seul ici étiez au courant que Karel naîtrait ainsi, contra-t-elle. Vous n’avez pas vraiment pris la peine de me partager les détails de la Prophétie des Dragons, que je sache ! Je sais seulement qu’ils veulent vous faire disparaître par le biais de Karel !

— Tu m’as habitué à plus de finesse d’esprit, Elma. Qu’importe la Prophétie. Le thème de cet ouvrage est assez spécifique pour laisser entendre que Karel débuterait sa vie avec un problème de taille.

Sur ces mots, il coupa court à la conversation pour disparaître.

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