Chapitre 7
En compagnie de Serymar, le petit garçon de cinq ans déjeunait sans rechigner. La dernière fois qu’il avait refusé de manger, le Mage lui avait fait comprendre à sa manière qu’il ne pouvait pas se le permettre : il l’avait obligé à s’occuper d’un plant de tomates dans la serre située au sous-sol, de l’état de graine jusqu’à sa maturité. Serymar s’était montré patient, laissant Karel savourer la fierté d’avoir réussi le défi, avant de comprendre qu’il ne profiterait pas du fruit de son labeur : il lui avait exigé qu’il le donne à l’un des serviteurs que Karel appréciait le moins. Le Mage lui avait expliqué que la moindre denrée nécessitait des efforts à produire, et que la moindre des choses était de faire honneur à ceux qui s’y adonnaient. D’autant plus qu’il existait des personnes capables de tuer pour apaiser leur faim.
Karel avait bien retenu la leçon, même s’il l’avait trouvée injuste de la part de son mentor : celui-ci mangeait à peine et laissait la majorité des réserves à Karel et à ses subordonnés, en avançant l’argument qu’ils en avaient plus besoin que lui-même. Le petit garçon avait remarqué qu’il ne le voyait jamais se sustenter.
Comme chaque jour dans ce silence, Karel jeta un coup d’œil à Serymar assis en bout de table, sans rien devant lui, plongé dans ses pensées sans lui accorder un regard. Un de ces moments où le monde autour de lui n’existait plus.
Son attention fut attirée par la main gauche de son Maître posée négligemment sur un accoudoir, celle qu’il utilisait avec le plus d’aisance. Une cicatrice traversait le dessus, démarrant juste au-dessus du pouce et courant jusqu’en-dessous de son auriculaire. Karel fut intrigué par la couleur des veines fines qui apparaissaient, si bien qu’il compara avec ses propres poignets. Ses veines étaient bleues. Celles de Serymar étaient à peine visibles, d’une discrète couleur argentée.
Curieux, Karel ne put s’empêcher d’approcher sa main pour toucher cette étrange blessure, ce qui ramena le Mage à la réalité aussi brusquement que s’il avait fait une chute. Il retira aussitôt sa main comme s’il s’était brûlé. Le petit garçon se leva de sa chaise et attira son regard pour lui signifier qu’il souhaitait lui demander quelque chose.
Serymar soupira doucement, agacé de constater que, même après toutes ces années, il avait encore cette fâcheuse tendance à redouter le moindre contact physique.
Ce garçon était épuisant avec toutes ses questions. Serymar lui accorda son attention d’un bref signe de la main.
Karel lui demanda ce qu’il était. Pourquoi était-il si différent physiquement de tout le monde sous ce toit. Pourquoi lui-même était le seul enfant, et Elma la seule femme.
Constatant que les questions fusaient dans tous les sens et ne risquaient pas de cesser avant un bon moment, Serymar leva une main pour imposer à Karel de s’arrêter. Il ne tenait pas à aborder ce sujet épineux.
Si Karel était déçu de ne pas avoir de réponse, il n’en montra rien. Toujours avec cette lueur intéressée dans les yeux, il lui expliqua qu’il souhaitait devenir comme lui lorsqu’il serait plus grand. Serymar tiqua et forma aussitôt le signe « jamais ».
La confusion déforma les traits du petit garçon qui ne sut quoi répondre. Il se demanda ce qu’il avait bien pu dire de mal. Serymar se repositionna sur le fauteuil de bois en détournant le regard.
« Ne suis jamais mon chemin, Karel. Ne deviens jamais ce que je suis devenu. Ou tu mourras bien trop tôt. De ma main. »
Il se crispa quand il sentit Karel poser ses deux mains sur l’une de ses jambes, attentif au moindre geste pour obtenir ses réponses malgré le refus du Mage. Cette fois, Karel ne comptait pas en rester là.
« Depuis quand es-tu devenu aussi déterminé ? »
D’un côté, cette situation le gênait, de l’autre, il ressentait de la satisfaction en constatant que Karel développait de plus en plus ses réflexions.
Serymar réfléchit. Cet enfant n’avait que cinq ans. Peut-être qu’une réponse globale et évasive suffirait ?
— « Il existe de nombreux peuples aux caractéristiques différentes sur Weylor. Je te les montrerai », signa-t-il.
Une réponse qui ne racontait rien, mais Serymar comptait sur la naïveté de Karel pour qu’il ne se focalise plus sur sa personne. À son soulagement, celui-ci lui demanda de lui en apprendre plus. Le Mage le lui accorda.
Karel bondit de joie, ce qui désarçonna Serymar qui ne comprenait pas une attitude aussi expressive pour quelque chose d’aussi banal.
L’enfant se jeta à sa taille et l’étreignit de bonheur. Serymar se raidit à en avoir mal. Son cœur se compressa comme s’il était enserré dans un étau et ses muscles se paralysèrent. Ses doigts s’enfoncèrent dans les accoudoirs pour retenir ses réflexes défensifs et meurtriers.
« Lâche-moi, petit imbécile. D’autres sont morts pour moins que ça. »
Karel se dégagea, heureux. Il remercia son Maître et lui offrit un sourire malicieux. Il le nargua avec d’autres signes. Il lui révéla que lorsqu’il en saurait plus sur les différents peuples, il pourrait deviner d’où venait son Maître.
Serymar fut surpris par ce petit retournement de situation. Finalement, il n’avait pas réussi à amadouer Karel.
« À malin, malin et demi. » pensa-t-il avec une légère moue amusée.
Sur ces mots, Karel le salua de la main et disparut en courant dans le couloir, heureux à l’idée de penser qu’il allait passer du temps avec le Mage.
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