Chapitre 8 - 1
Karel parcourait le château, mais l’ennui le gagnait. Il s’engagea dans le couloir du rez-de-chaussée pour fouiller chaque pièce. La majorité était de simples salons plus ou moins réaménagés, d’autres restés à l’abandon servaient de dépôt d’objets trouvés. Karel changea d’avis lorsqu’il se souvint qu’il avait déjà exploré ces pièces. Il se dirigea vers la porte d’entrée. Elma passait souvent à cette heure par ici.
Comme prévu, la jeune femme ne tarda pas. Elle pénétra dans la demeure et posa un instant son fardeau, un seau de métal rempli de terre et de cendre. Elle expira en s’essuyant le front d’un revers de bras et entreprit de renouer le tissu blanc dans ses cheveux pour les relever et les maintenir en place, en vain. Quelques mèches ondulées s’entêtaient toujours à retomber autour de son visage. Karel sourit : il n’aimait pas quand rien ne dépassait.
Il s’empressa de la rejoindre et lui demanda s’il pouvait l’aider. Elma sourit et lui tendit une main en guise de réponse. Karel fut ravi et saisit aussitôt l’anse. Le seau se révéla trop lourd. L’amusement s’afficha sur les traits d’Elma qui lui proposa de le porter à deux.
Karel accepta, heureux de se rendre utile. Elma l’emmena tout à l’opposé du couloir, jusqu’aux escaliers abîmés qui descendaient vers les sous-sols. Le petit garçon comprit qu’elle l’emmenait dans la serre.
Les terres de la région étant devenues stériles, il avait bien fallu concevoir un moyen pour y vivre toutes ces années. Avec un rien, Serymar avait été capable de créer des systèmes allant du plus simple au plus complexe. Il avait usé de son ingéniosité pour rendre ce vieux bâtiment le plus viable possible.
À ses débuts, la serre ne disposait que d’une petite parcelle, puis, à mesure que leur communauté avait grandi, la parcelle improvisée s’était transformée en champs intérieurs qui occupaient désormais toute la surface de l’immense pièce.
Une fois arrivés, Karel retrouva cette salle de plusieurs mètres de long et haute de plafond. Elle était divisée en deux : un côté pour les plantes médicinales ou servant à la magie, l’autre pour des légumes et herbes aromatiques. Elma et Karel empruntèrent le petit chemin laissé entre les deux rangées jusqu’à se retrouver du côté des plantes alimentaires.
Deux serviteurs étaient déjà présents, Grim et Orën. Comme à chaque fois, Karel détourna son regard d’eux et fit en sorte de rester auprès d’Elma.
La jeune femme l’emmena vers une parcelle du côté potager. Elle posa le sceau, s’agenouilla sur les dalles grises et saisit une poignée de terre cendreuse pour la déposer autour des plantes. Karel l’imita.
Une idée lui vint. Après s’être occupé d’une énième plante, il tira Elma par la manche, la tachant d’un peu de terre, pour attirer son attention. Elle s’interrompit et le regarda. Karel lui offrit un sourire et désigna du doigt la terre à leurs genoux. Puis il releva ses deux mains et les plaça proches l’une de l’autre. Il les écarta doucement et secoua ses doigts comme s’il semait quelque chose.
Elma sourit et lui confirma qu’il s’améliorait dans la précision de ses signes. Le cœur de Karel se gonfla de joie. Enhardi par son petit succès, il désigna une des plantes et recommença. À nouveau, Elma suivit avec une expression attendrie.
Ils continuèrent ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’Elma se décide à reproduire chaque signe ainsi révisé. Cela fait, elle lui présenta sa paume. Le petit garçon la frappa avec la sienne, emporté par le jeu.
Tous les deux reprirent leur tâche. Karel s’affaira à l’aider comme elle le lui avait appris, en y mettant tout son cœur. Il adorait la faire sourire.
Alors qu’il tassait la terre autour d’un plant, celle-ci se mit à bouger. Intrigué, Karel fixa le phénomène. Il avait bien appris l’existence d’insectes, mais il n’en avait jamais vu, ni à l’extérieur, et encore moins à l’intérieur. S’apprêtait-il à en voir surgir un entre ses doigts ? L’excitation le gagna.
La réponse lui apparut presque aussitôt : une tige verte perça la fine couche de terre à une vitesse anormale.
Fasciné, Karel cueillit la plante et la tendit à Elma. Ses yeux s’écarquillèrent devant le jeune plant qui grandissait de seconde en seconde. Elle fronça le regard en voyant la plante s’enrouler autour de la main de Karel.
Le petit garçon regarda la scène avec surprise. Sa main était maintenant recouverte de fines lianes vertes dont il sentit les extrémités appuyer contre sa peau. La plante continua sa croissance et devint un amas de jeunes pousses formant un gros sac de nœuds. La plante faisait désormais sa taille. Quelque chose pulsa en Karel, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Cette chose aspirait graduellement son énergie.
Intrigué, il jeta un œil vers Elma en quête d’une réponse. Karel eut la surprise de la voir figée, les yeux fixés sur la plante qui s’allongeait. L’expression de la jeune femme ne fit qu’accroître son angoisse.
Un vacarme d’objets métalliques se fit entendre. Grim et Orën partirent en courant hors de la pièce, ce qui fit sursauter Karel. La plante devint incontrôlable.
Ses lianes s’épaissirent. Karel pâlissait à vue d’œil. Il jeta un regard implorant à Elma qui se précipita sur lui. Elle lui saisit le bras et tenta d’arracher la plante. Karel se tordit de douleur, comme si les doigts d’Elma avaient pénétré sa peau et cherchait à lui arracher des morceaux de chair. Comme pour se défendre, la plante s’enroula aussitôt autour du bras d’Elma et la ligota. Effrayée, elle se débattit avec force pour se défaire des lianes, sans succès. Paniqué, Karel essaya de penser de toutes ses forces qu’il ne souhaitait pas ça. Les lianes s’enroulèrent autour de la gorge d’Elma et commencèrent à se resserrer.
Karel s’affola et tira sur les lianes autour de son bras. En réponse à la douleur qu’il s’infligeait, la plante s’enroula davantage autour de ses deux bras jusqu’à sa gorge.
Soudain, les tiges s’arrachèrent de son corps pendant qu’il était vivement projeté sur le sol. Tremblant de peur, le petit garçon eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait que des bras l’étreignirent avec émotion. Le soulagement l’envahit lorsqu’il reconnût Elma. Elle allait bien. Elle tremblait encore un peu malgré elle, mais elle n’y prêtait aucune attention. Elma se contentait de serrer Karel dans ses bras avec force.
Il risqua un œil par-dessus l’épaule de la jeune femme et aperçut son Maître, dos à eux. Serymar réduisit la plante géante en cendres d’un simple mouvement de la main. Puis il tourna son regard vers Elma et Karel, une expression sévère sur le visage.
Suite ===>
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