Chapitre 12
Serymar s’impatientait. Agacé, ses longs doigts pianotaient sur la table en bois derrière laquelle il était négligemment assis. Il se redressa, moins vite que ce qu’il aurait souhaité, faute la défaillance de sa jambe gauche.
« Mais qu’est-ce qu’il fait ? » se questionna-t-il, étonné par ce retard inhabituel.
Il ne supportait pas la moindre forme de paresse. Karel ne lui en avait jamais montré les signes, bien au contraire, et il n’était pas malade. À cette heure-ci, il avait pour consigne de venir le rejoindre afin de déjeuner et de voir quels nouveaux signes il pouvait encore apprendre pour parfaire sa communication.
Incapable d’attendre davantage, Serymar se téléporta devant la porte de la chambre de l’enfant. Il aurait pu décider d’apparaître dans la pièce, mais il estimait qu’il s’agissait d’un manque de respect et de convenance. Cela ne l’empêcha pas de pousser la porte, prêt à sermonner le garçon. Une pluie d’objets tomba du plafond dans un fracas retentissant qui lui agressa les oreilles, le coupant dans son élan.
Karel bondit aussitôt de son lit et se tassa vers le fond de la pièce en baissant les yeux. Avec nervosité, il signa des excuses en frottant ses deux mains à l’horizontal.
« Eh bien, moi qui me demandais quand son second pouvoir se manifesterait… j’ai ma réponse, désormais. »
Le pouvoir psychique. Un pouvoir que Serymar trouvait intéressant. Il focalisa son attention sur Karel qui se triturait les doigts. Le Mage entra dans la pièce. Incapable de tenir une position stationnaire longtemps, il s’assit sur le bord du lit et invita Karel à le rejoindre.
Ce dernier obéit mais resta méfiant. D’un léger mouvement de la main, Serymar fit voleter l’un des objets tombés au sol – un petit chandelier – et le fit venir jusqu’à Karel qui le réceptionna dans ses mains, fasciné.
— « Il te faudra de nombreuses années d’entraînement avant d’être capable de maîtriser la magie sans artéfact. Toujours est-il que tu devras faire sans ici. Ce que je viens de faire est de la télékinésie. La différence avec toi, c’est que je contrôle mes pouvoirs. »
Karel afficha cette fois un sourire ravi à l’idée d’apprendre de nouvelles choses, même si certaines notions lui paraissaient encore hors de portée. Il répondit en se désignant lui-même, puis signa le terme de « Mage ». Serymar lui répondit d’un léger hochement de tête.
— « Oui. Je le pense. »
En dépit de son jeune âge, Karel progressait vite. Ses lacunes finiraient par disparaître avec le temps.
Karel lui expliqua qu’il ne parvenait pas à maîtriser la trajectoire de ses affaires, et encore moins à cesser son emprise dessus. Serymar se retint de lui dire qu’il l’avait déjà remarqué. Il tenait à ce que Karel, en dépit de son ignorance du langage parlé, parvienne à développer son sens de la réflexion, et le laisser s’exprimer malgré ses lacunes en faisait partie. Surtout quand ce manque était une volonté imposée par son Maître.
Ce faisant, le petit chandelier recommença à flotter dans les airs de manière chaotique. Karel rougit, honteux de voir que ses pouvoirs recommençaient à se manifester sans son accord.
Le Mage pourrait bien contenir son pouvoir, mais cela serait contre-productif.
— « Concentre-toi sur un seul objet à la fois. Ignore les autres. Observe sa forme, mémorise-là. Imagine ensuite que tu saisis ce chandelier par la main, et projette ce geste dessus en ressentant la présence de l’objet. »
Il ignorait si ses explications seraient suffisantes. La première tentative de Karel échoua, ainsi que la seconde et les suivantes. Serymar décida de tester le conseil d’Enorën. Il s’imposa de rester tolérant face à ces échecs répétés et donna à nouveau l’exemple. Si Karel en fut étonné et dérouté les premières secondes, Serymar eut en revanche la surprise de le voir réessayer avec bien plus de motivation que lors des exercices précédents.
Enfin, Karel parvint à son premier succès : le petit chandelier se stabilisa dans les airs. Serymar exécuta d’autres gestes.
— « Maintenant, comme tu le ferais avec ta main, dépose le chandelier à sa place. »
La main tendue, Karel déplaça son bras dans la direction de la petite table de chevet pour y déposer psychiquement son chandelier. Il interrogea Serymar du regard qui comprit sa question silencieuse. Karel était un enfant observateur.
— « Un jour, tu seras aussi peut-être capable de déplacer psychiquement les objets sans avoir à utiliser tes mains. Cela demande une maîtrise plus poussée. »
Le petit garçon enchaîna avec une autre question : arrivait-il à son mentor d’utiliser les deux méthodes pour effectuer ce sortilège ? Serymar répondit par un léger hochement de tête, mais ne se lança pas dans des explications détaillées. Le sujet lui semblait encore complexe pour Karel. Il estimait qu’il apprendrait mieux en forgeant sa propre expérience.
Enfin, Serymar se releva et l’invita à descendre avec lui. Une fois arrivés à la porte de la chambre, il lui signa :
— « Quoi qu’il en soit, je te félicite de ne pas avoir perdu ton calme, cette fois. Mais ne crois pas que je vais passer sur le fait que tu m’aies fait perdre mon temps. Ce soir, tu rangeras cette pièce uniquement par télékinésie, et tu ne t’arrêteras pas tant que tout ne sera pas en ordre. »
Si Karel commença à se réjouir sur les premiers signes, son expression se décomposa peu après. Il se renfrogna.
Serymar, voyant le coup venir, ajouta :
— « Je te surveillerai. »
Karel lâcha un soupir exaspéré, visiblement frustré à l’idée de ne pas pouvoir tromper le Mage.
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