Chapitre 13 - 1 [F]

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Monts de la Mort, cinq ans plus tôt.

En milieu de semaine, Elma décida d’explorer les lieux pour se changer les idées. Jusque-là, elle était restée prostrée dans sa colère et sa méfiance. L’ambiance lui paraissait trop étrange pour s’y sentir à l’aise. Cet endroit lui évoquait une grande cage vide. Un château à moitié en ruines, où tout était gris, du sol au plafond. Même dehors, la terre était noire, les montagnes sombres comme un mauvais présage. Et rien ne bougeait. Pas un seul chant d’oiseau ne lui était parvenue. Était-ce ainsi qu’elle serait condamnée à vivre ? Elma avait pourtant longuement hésité à sortir de cette chambre, par crainte d’être encore abusée ou malmenée.

Depuis leur dernière conversation, Elma n’avait plus croisé le Mage. Le peu qu’ils s’étaient croisés, ce fut à peine s’il lui avait accordé son attention. Il restait concentré sur ses livres et rouleaux à longueur de journée, à tel point qu’Elma n’avait pu s’empêcher de se demander avec ironie s’il ne dormait pas avec.

Au rez-de-chaussée, aussi sombre et abandonné que le reste de la demeure, elle fut surprise de passer devant une pièce complètement saccagée. Au vu de l’épaisse couche de poussière sur le sol et les meubles, cela ne devait pas être récent.

Le plus frappant restaient les traces d’un ancien carnage. C’était comme si une bête enragée avait été lâchée à l’intérieur pour tout réduire en miettes. La violence avait dû être telle que plus personne ne semblait avoir osé y remettre les pieds. Tous les meubles étaient renversés sans exception, certains brisés, et de nombreux débris de verre et de tissus jonchaient le sol. Elma aperçut des traces de coups sur certaines pierres grises.

La jeune fille pénétra dans la salle d’un pas prudent et essaya de ne pas s’écorcher sur un bout de verre. Elle ignorait ce qu’elle y trouverait, mais la curiosité l’emporta. Si elle pouvait en savoir plus sur son mystérieux gardien…

« C’est vraiment lui qui a fait ça ? »

Elma frissonna à cette idée. À première vue, son hôte semblait avoir des manières assez distinguées, mais peut-être n’était-ce qu’une façade dissimulant une personnalité sinistre.

Résolue, elle pénétra plus en avant dans la pièce, scrutant les moindres détails. Elle s’approcha du mur abîmé et aperçut des traces de griffures. Son hôte possédait des griffes… Le cœur de la jeune fille se serra.

« Alors lui aussi aurait été poussé à la folie du désespoir comme je l’ai été ? Il n’inventait donc pas en affirmant qu’il sait ce que je traverse ? »

Elle effleura les traces du doigt les traces. Quelque chose au pied du mur attira son attention. Un objet était dissimulé sous l’épaisse couche de poussière. Délicatement, elle l’épousseta autant qu’elle le put et découvrit un calendrier qu’elle ramassa. Des annotations s’y trouvaient de part et d’autre. Doucement, Elma plaça les lambeaux de manière à reconstituer l’objet sans l’achever. Une rature avait été exécutée rageusement sur un nom qu’elle ne put déchiffrer, à cheval sur trois jours entourés d’un cercle. Un signe était dessiné dans un coin, sous forme d’une rose, dont les pétales avaient été remplies d’encre blanche. L’année qui y figurait la stupéfia : une centaine d’années plus tôt.

— Pose ça tout de suite, ordonna une voix menaçante.

Elma sursauta et se tourna vers le Mage qui la toisa. Contre toute attente, elle se sentait très calme. Lorsqu’elle rencontra son regard, Elma décela plus un mélange de méfiance et de malaise mal dissimulés qu’un réel avertissement. Elle le rejoignit et lui tendit le calendrier en toute bonne foi.

— Pas besoin de mal réagir, je suis tombée dessus par hasard. Je ne pouvais pas savoir que cela vous offenserait.

Le Mage lui reprit le bout de carton mais ne répondit rien.

— Qui était cette personne ? hasarda Elma.

— Cela ne te regarde pas, assena froidement le Mage.

La jeune fille le dévisagea.

— Alors comme ça, vous aussi, quelqu’un vous a tout pris… c’était à cette douleur-là que vous faisiez allusion ?

— Non.

— Alors à laquelle ?

— En quoi cela t’avancerait-il ? lui demanda-t-il sèchement.

Elma analysa le peu d’informations qu’elle possédait.

— Contrairement à vous, je suis humaine, et j’ai besoin d’éléments pour réfléchir à une décision pareille, se justifia-t-elle. Comment être sûre de choisir la bonne option ?

— Je ne choisirai pas à ta place.

— Je sais, et je choisirai. Mais vous avez dit une chose… qu’il était stupide de se plaindre après avoir choisi un chemin. J’aimerai donc réellement ne pas me tromper. Et pour pouvoir vous répondre avec un esprit non embrumé comme vous le dites, j’ai besoin de réponses.

Silence. Elma s’impatienta.

— Voulez-vous que je tienne parole, oui ou non ?

De nouveau un silence. Celui-ci dura un long moment. Était-elle allée trop loin ? Ellma se demandait si elle s’habituerait un jour à son regard analytique.

— Je faisais allusion à la douleur inscrite dans ta chair et ta mémoire, révéla-t-il enfin. Cette douleur qui te fait souffrir même quand ton corps ne la subit plus. À ces images qui te harcèlent jusqu’à ce que tu en deviennes folle, alors même que tu cherches à les laisser de côté pour avancer. Des souvenirs si imprégnés à ton âme qu’ils ne te laissent aucun répit les nuits, alors que tu les désespères pour en disposer. Tu revis ces moments comme si tu y étais encore. Tu n’es qu’un corps, un jouet à disposition pour le plaisir malsain des autres. Lorsque tu te rends compte que ta volonté ne suffit pas, tu entames un suicide moral. Cela signifie que tu te coupes de la moindre perception du monde et rends ta mémoire aveugle à la moindre sollicitation, jusqu’à oublier qui tu es. Pour ne plus ressentir et éviter la folie que tes pensées t’imposent malgré-toi. C’est une étape qui arrive quand tu as tout tenté après t’être relevée plusieurs fois. Quand la vie te dit que quoi que tu fasses… tes efforts sont condamnés à être vains.

Elma en resta abasourdie. Elle se reconnaissait au travers de cette description morbide.

— Que… vous est-il arrivé ?

— Assez de questions. Tu as ta réponse.

***

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