Chapitre 14 - 3
Serymar rejoignit son personnel dans un salon du rez-de-chaussée, le plus loin possible de la chambre de Karel.
Sa colère grondait au creux de ses entrailles. Avait-il donné trop d’autonomie à ses subordonnés ?
« La confiance est décidément néfaste. Quand apprendrais-je enfin cette leçon ? », se reprocha-t-il.
Serymar toisa les humains avec férocité, appuyant son regard sur Elkor et Grim. Une démonstration de force était nécessaire. Il détestait ça, mais mieux valait être craint que trahi.
— J’ai une nouvelle décevante pour vous, annonça-t-il d’une voix glacée. Karel a survécu.
Elma et Enorën ne dissimulèrent pas leur soulagement. La jeune femme lutta pour retenir ses larmes. Enorën posa une main bienveillante sur son épaule, mais évita de croiser le regard du Maître des lieux. Reynald, Syvën, Erik et Lorn baissaient les yeux sans prononcer le moindre mot. Radôn affichait une expression ennuyée, comme pour signifier qu’il avait mieux à faire que d’être retenu sur une affaire qui ne le concernait pas. Orën fusillait du regard Grim et Elkor, n’appréciant que très peu subir de telles remontrances alors qu’il estimait ne rien avoir à se reprocher.
Si Elkor resta de marbre, Grim blêmit, une tâche humide au niveau du cœur.
— Elkor ! Tu m’as manipulé !
Son collègue afficha une mine faussement étonnée :
— Grim, tu me fais de la peine. Je n’ai rien fait, je n’ai pas fermé les portes, je suis descendu avec toi seulement parce que tu m’as signalé un problème de casse… Tu ne m’as pas dit qu’il y avait un problème plus sérieux que ça.
Grim se tourna vivement vers Serymar qui les foudroyait tous deux du regard.
— Maître ! Ce… ce n’est pas ce que vous croyez !
— Ah bon ? releva Serymar. Alors explique-moi pourquoi as-tu été le premier à vérifier l’état des portes, auxquelles plus personne ne fait attention depuis des années ? Tu as pourtant admis que tu les avais refermées derrière Karel au lieu de venir m’avertir.
Choquée, Elma voulut réagir, mais Serymar l’en dissuada d’un simple regard chargé de ressentiment. La jeune femme baissa la tête et recula d’un pas à côté d’Enorën. Ce dernier lâcha un discret soupir d’exaspération, mais ne prononça pas un mot.
— Par pitié, ne me faites pas de mal ! paniqua Grim, acculé.
Serymar tendit une main dans sa direction et Grim se retrouva soulevé du sol par une prise invisible. D’un simple regard, le Mage défia tous les autres de venir en aide à leur homologue ou de dire quoi que ce soit. Il reporta son attention sur sa victime.
— Il t’est si aisé d’implorer ma clémence ! Il est si simple de laisser à l’agonie une personne réduite au silence même sous la pire des tortures !
Grim se débattit. La prise invisible sur sa gorge se serra plus encore. Serymar arbora une expression mauvaise :
— Une victime qui ne peut crier… c’est si pratique, n’est-ce pas ?
Grim pâlit à vue d’œil devant les regards horrifiés de chacun. Certains détournèrent les yeux. Le Mage ne leur prêta pas attention. Il souhaitait seulement que cet homme ressente ne serait-ce qu’un instant la détresse de son Apprenti. Qu’il subisse ne serait-ce qu’une seconde le désespoir d’être réduit au silence. Voilà longtemps que Serymar n’avait plus éprouvé une telle rage. Sur une torsion brutale de la main, la gorge de Grim émit un craquement sinistre, arrachant des frissons d’effroi à la petite assemblée. Enorën, la tête basse retint un soupir, Elma pâlit et porta ses mains à la bouche pour s’empêcher de crier. Si Radôn avait toujours l’air ennuyé, les autres avaient détourné le regard et affichaient une expression résignée. Serymar ouvrit la paume et le cadavre de Grim tomba lourdement sur le sol comme un pantin désarticulé.
— V… vous l’avez tué ! osa reprocher Elkor avec une indignation feinte.
Serymar lui jeta un regard glacé, irrité par tant d’hypocrisie. Il ne perdait rien pour attendre. Pour l’instant, le Mage ne pouvait pas s’en prendre à lui malgré l’envie qui le submergeait.
Une erreur avérée. Il avait seulement besoin de ça pour l’éliminer sans subir les séquelles de leur pacte. Ses subordonnés avaient le droit de penser comme ils le souhaitaient. Elkor n’avait pas poussé Karel dans les cachots, il avait seulement influencé Grim. Il n’y avait aucun fait concret. Grim aurait dû avoir l’intelligence de ne pas retourner sa veste en se laissant impressionner, et le prévenir de la situation sans perdre de temps. Au lieu de ça, il avait cherché à condamner Karel. Si sa protection n’était pas incluse dans les pactes, établis bien avant sa naissance, Serymar estimait que s’en prendre à lui d’une quelconque manière était se mettre sur son chemin. Elkor avait trouvé la faille. Le Mage comptait bien le pousser à la faute pour pouvoir se débarrasser de lui.
Il s’en occuperait plus tard. Il avait plus urgent à faire.
— Karel a perdu beaucoup de sang. L’un d’entre vous devra lui en donner, annonça-t-il sans préambule. Vous ferez aussi en sorte de nettoyer cette pièce.
D’un mouvement de la main, il fit claquer la porte. Serymar se dirigea vers un meuble et saisit une bougie qu’il alluma par magie tout en faisant apparaître dans sa main une lame qu’il chauffa sur la flamme. Ce faisant, il fixa ses subordonnés dont la majorité avaient le visage fermé, alors que d’autres avaient le cœur qui menaçait d’exploser. Il les ignora et fit apparaître une fiole de verre par personne présente.
— On va commencer par toi. Avance, si tu ne veux pas mourir.
***
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