Chapitre 15 - 1

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  Karel se concentrait sur une graine, assis derrière une table à quelques mètres de Serymar. Le but de l’exercice était de la faire éclore. La mauvaise humeur du Mage ne lui facilitait pas la tâche. Il examina encore une fois le schéma sous ses yeux, qui représentait le cycle de vie complet d’une plante.

  Karel invoqua ses pouvoirs terrestres. Un fourmillement parcourut ses veines jusqu’à envahir son corps tout entier. Il n’avait plus qu’à essayer de maîtriser ce flux. Soudain saisi d’un vertige, Karel s’interrompit aussitôt. Avait-il encore gaspillé son énergie magique ? Le désespoir l’envahit. Cela faisait plusieurs jours qu’il essayait, en vain. Soit il échouait, soit il créait une monstruosité géante. Dépité, le jeune garçon fixa la dernière graine qu’il venait d’utiliser. Noircie, la plante avait moisi avant même d’éclore.

  Karel se raidit lorsque son Maître exprima une énième fois sa déception. Cette attitude augmenta le poids de sa culpabilité. Serymar l’obligea à recommencer. Encore. Karel eut envie d’implorer sa clémence : il avait besoin de repos, son cerveau saturait et son épuisement l’empêchait de se concentrer, en dépit de sa bonne volonté. Il regrettait d’avoir désobéi. Il ne s’était pas attendu à payer sa bêtise de cette manière. Karel soupira de lassitude.

  Il sursauta quand une main frappa la table de manière abrupte. Karel se glaça d’effroi lorsqu’il croisa le regard sévère du Mage et se tassa sur sa chaise.

— « La vie n’attendra pas toujours que tu te remettes de tes blessures pour te faire endurer d’autres épreuves ! » traduit-il des gestes de Serymar.

  Sa peine se mua en ressentiment. Karel encaissa comme il le put et intériorisa ses sentiments comme il le faisait à chaque fois. Il commençait à penser que ces reproches ne se termineraient jamais, ce qui ne l’aida pas à se concentrer davantage. Quel intérêt, puisque, quoi qu’il fasse, cela ne convenait jamais ?

— « Concentre-toi ! »

  Karel n’osa plus relever les yeux, ne supportant plus les remontrances dans le regard du Mage. Allait-il les subir pour le restant de sa vie ? Il baissa la tête et parcourut une énième fois le document que son Maître lui avait donné. Ce schéma qu’il ne pouvait plus voir. Un claquement de doigt lui fit comprendre que Serymar exigeait son attention. De mauvaise grâce, Karel releva la tête de manière à voir seulement les mains de son Maître lui signer :

— « Comprends comment la nature fonctionne et tu sauras comment guider tes pouvoirs pour obtenir le résultat que tu souhaites. Tu te dois aussi de savoir quelle quantité de pouvoir tu dois insuffler à l’objet que tu ensorcèles. Chaque sort puise dans ton énergie et ne pas maîtriser cette quantité, c’est courir le risque que tes pouvoirs se retournent contre toi ou blessent quelqu’un contre ta volonté. »

  Karel réprima un soupir de frustration. Il avait déjà compris tout ça. La seule chose qu’il souhaitait, c’était de savoir comment s’y prendre de manière concrète. Mais le Mage s’obstinait, estimant qu’il devait d’abord y réfléchir seul. Karel reprit son étude, mal assuré. Épuisé, agacé de ne pas réussir à avancer, Karel lutta pour contenir son envie de rouler en boule le schéma pour le jeter.

  Au bout de deux bonnes heures, Serymar perdit patience. Incapable de se concentrer convenablement, Karel risqua un œil vers lui. Il vit le Mage le congédier d’un geste de la main et lui ordonner d’étudier de plus près l’illustration.

  Karel ne demanda pas son reste. Quitte à paraître insolent, vu que bien se comporter ne faisait plus aucune différence, il lui envoya un regard chargé de ressentiment et descendit de sa chaise qui râcla le sol. À peine esquissa-t-il un pas pour partir qu’il se heurta à un mur invisible. À bout de nerfs, Karel se retourna vivement vers Serymar. Ses doigts tremblaient de frustration et de colère.

  Serymar lui jeta un regard sévère et lui désigna la chaise mal rangée. Les traits déformés par la colère, Karel effectua un rapide mouvement de bras et la chaise se remit en place, bien qu’avec fracas. Cela fait, il fixa Serymar avec insolence. Le Mage retira son sortilège et avec froideur, Karel quitta la pièce d’un pas rigide.

***

  Les nerfs à vif, Serymar se dirigea au troisième étage dédié aux bains. Cette fonction s’était élargie jusqu’à trois pièces supplémentaires à mesure que leur petite communauté s’était agrandie. L’une d’elles était réservée à Elma, ce qui n’avait pas manqué de provoquer la jalousie de quelques imbéciles, auprès desquels Serymar avait refusé de se justifier. Il estimait ses raisons évidentes. Les autres salles étaient encore restées à l’abandon. Les pièces non-utilisées servaient souvent à classer les effets qu’ils avaient pu trouver dans le but de les réutiliser. Mieux valait limiter le plus possible les sorties hors des Monts.

  Il investit l’une des salles et soupira lorsqu’il referma la porte. Il se libéra de sa cape de voyage déchirée, les pensées focalisées sur ses derniers enseignements. Pourquoi Karel bloquait depuis des jours sur cet exercice qu’il était tout à fait capable de réussir ? Il lui avait pourtant donné un indice évident.

  En retirant sa tunique, deux impressionnantes cicatrices se révélèrent. L’une, dans son dos, démarrait de l’arrière de son épaule droite pour descendre en biais jusqu’à sa hanche gauche, porteuses de stigmates de brûlures. La seconde longeait son bras droit, de l’épaule jusqu’à son poignet, aussi disgracieuse que les autres. Serymar fit en sorte de ne pas poser ses yeux dessus par inadvertance. Ce moment de la journée lui était toujours le plus désagréable, mais il supportait encore moins se passer d’hygiène. Depuis qu’il avait goûté à ce luxe, il était incapable de s’en lasser.

  Un pendentif accroché sur une fine chaîne en argent reposait contre lui. Un objet exceptionnel qui se présentait sous la forme d’un corps de dragon unique avec sept têtes, chacune arborant la couleur des créateurs de Weylor. Le seul objet de valeur qu’il possédait, gagné après avoir visité les sept Tours. Un voyage long et ardu qui lui avait pris un an de son existence, mais qui lui avait beaucoup apporté en matière de savoir et d’expérience.

  Serymar s’installa dans la bassine d’eau chaude et ferma les yeux. Il laissa la chaleur l’engourdir pour enfin apaiser son humeur. Réfléchir dans l’agacement avait tendance à inspirer les pires décisions. Il ne devait pas perdre sa lucidité. Lorsqu’il se rendit compte que ses pensées partaient à nouveau dans tous les sens à un rythme effréné, il plongea la tête sous l’eau pour la ressortir et soupira de soulagement. Le flot de pensée cessa enfin, au moins pendant quelques secondes. Affalé contre la paroi du bassin en bois, le Mage dégagea les mèches qui lui collaient au visage et se remit à réfléchir, cette fois plus posément.

  Il ignorait de combien d’années il disposait pour former Karel. Sa convalescence lui avait fait perdre un temps précieux. En dépit de sa prudence, ses ennemis pouvaient le retrouver à tout moment. Karel se devait d’être capable d’y survivre, et pour l’instant, il en était loin.

« Deux Sans-Pouvoirs pour lui donner corps et vie, au prix du silence éternel… » se rappela le Mage avec amertume, « anéantira le Pouvoir Universel de l’existence pour taire la menace… »

  Comment un enfant qui avait encore tout à apprendre pouvait-il le détruire ? Il avait déjà failli mourir…

  Si Serymar comprenait la logique des Dragons, il refusait de s’y plier. Il était las de toujours devoir être sur ses gardes pour la seule raison de ses pouvoirs et sa résistance hors-normes. Il en vint à se demander à quoi ressemblait une vie en toute insouciance. En ça, Karel attisait sa curiosité.

  Le soir arriva. Il décida qu’il était temps de bouger, séduit à l’idée de s’isoler et de se couper de tout ce monde au moins jusqu’au lendemain. Pas de livre. Pas de magie. Pas de recherches. Seulement le silence loin de la moindre sollicitation.

  Il sortit de l’eau, essora ses cheveux raides qui descendaient jusqu’à ses omoplates et se rhabilla. Au moins avait-il regagné le plaisir de ne plus voir la blessure le long de son bras.

  Le noir lui avait toujours donné le sentiment de moins attirer les regards, et le côté ample lui permettait de dissimuler ses cicatrices et sa maigreur. Il ne s’était jamais départi de cette tendance à vouloir cacher son corps.

  Soudain, ses sens se mirent en alerte alors qu’il terminait de se chausser. Quelqu’un était là. Trop proche.

Suite ===>

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