Chapitre 9 [F]

5 minutes de lecture

Monts de la Mort, cinq ans plus tôt.




Elma ouvrit les yeux. Son cœur tambourinait dans sa poitrine.

« Pourquoi je suis encore vivante ? »

Était-elle à nouveau prisonnière ? La jeune fille se redressa lentement et prit soudain conscience qu’elle n’avait plus mal nul part. La faim ne la tiraillait plus et sa gorge n’était plus desséchée. Elle était couchée sur quelque chose de relativement confortable, comparé à ce dont elle avait dû s’habituer. Ses plaies avaient été nettoyées et soignées. Ses pieds avaient aussi bénéficié de soins, au vu des bandages propres enroulés dessus. Toute la saleté qu’elle avait accumulée pendant un mois avait été retirée, révélant les nombreuses ecchymoses et entailles.

L’adolescente repensa avec un frisson d’horreur aux mains de ces hommes répugnants qui avaient dû prendre plaisir à la parcourir durant son inconscience. Elma fulmina de rage et de désespoir. Ses poings se serrèrent. On l’avait encore attrapée. Elle avait sûrement été soignée pour redevenir un jouet attrayant. Des larmes brûlantes la prirent d’assaut. Ce cauchemar ne s’arrêterait-il donc jamais ?

Elma gémit lorsqu’elle se redressa. Le moindre de ses muscles la faisait souffrir. Elle aperçut sur une table de chevet une petite lame posée sur un linge propre à côté d’un bol d’eau coloré de sang. Elma l’attrapa. Son cœur manqua un battement quand une main blanche se posa dessus, annihilant son geste. Elle chercha à se dégager, mais la poigne se renforça.

— Je me suis permis de guérir ton corps. Tu étais dans un état si déplorable que j’ai dû t’opérer à plusieurs endroits à cause de plaies internes. En revanche, je ne pourrai rien faire pour ton esprit. Toi seule est à même de le guérir.

Une voix d’homme, calme et posée. Elma tremblait, mais releva la tête. Son souffle s’arrêta en voyant avec stupeur l’apparence de la personne assise face à elle sur une chaise. Ses yeux en particulier l’effrayèrent. Elma fondit en larmes. Un Clan de démons l’avait donc capturée. C’était encore pire que les bandits.

À bout, elle poussa un cri de rage et chercha à frapper son interlocuteur de son poing libre. Il fut aussitôt bloqué. La pression sur la main tenant la lame disparaissant, elle saisit l’objet et tenta une attaque vers le visage de l’homme. Ce dernier lui pinça le nerf médian sous son poignet pour toute défense. La douleur lui fit lâcher la lame qui tomba au sol dans un tintement métallique.

Elma envoya un coup de pied, aussitôt bloqué par la main de l’homme. L’adolescente se figea, prête à s’écrouler de douleur lorsqu’il lui briserait la cheville. Une blessure qui ne vint jamais, car son hôte la relâcha immédiatement. Il n’avait même pas serré sa prise. Elma se débattit comme un animal pendant de longues minutes en criant, mais aucune de ses tentatives ne porta. Son hôte se contenta d’arrêter le moindre geste à son encontre et sans violence jusqu’à ce qu’Elma cesse d’elle-même. Elle s’effondra sur le sol à ses pieds, à genoux, la tête dans les mains, et pleura comme elle n’avait jamais pleuré de sa vie. Tout allait recommencer. C’était sans fin.




Serymar la regarda, impassible. Il attendait patiemment que le plus gros de la crise passe. Cette expression, ce regard qu’elle avait, et surtout ce désespoir… Cela le renvoyait à ses premières années de vie.

Torture. Désespoir. Agonie. Indigne de se prétendre au statut de « personne ».

Serymar soupira discrètement alors qu’il déplorait l’existence de ces traitements, amplifiés depuis que les Dragons étaient maudits.

« Accroche-toi. N’abandonne pas. »

Il se leva lentement de sa chaise et s’adressa à l’adolescente.

— Je connais ta douleur. C’est une bonne chose que tu réagisses. Cela signifie que tu n’es pas encore perdue. Je te laisse une semaine pour te remettre et réfléchir. Je ne peux pas fermer les yeux sur ta venue. Ça ne sera pas difficile : soit tu restes ici pour toujours, soit tu quittes ces lieux à jamais.

Il la vit ouvrir la bouche pour exprimer aussitôt son refus de choisir, Serymar l’arrêta d’un signe de la main.

— Si je te donne une semaine de réflexion, ce n’est pas pour obtenir une réponse aujourd’hui, surtout avec un esprit aussi embrumé que le tien. Si tu décides de partir, j’effacerai les souvenirs de notre rencontre, et je t’abandonnerai dans une ville, à tes risques et périls. Si tu restes…

Il marqua une pause et la fixa afin d’être certain d’avoir son attention.

— Tu devras me servir jusqu’à la fin de ta vie, quoi que je te demande d’exécuter. Si tu me nuis, je te tuerai de mes mains et me réserve le droit de t’achever de la manière que je trouverai adéquate. Tant que tu tiendras parole, tu pourras aller et venir à ta guise en ces lieux, mis à part dans mes quartiers. Je ferais aussi en sorte que tu ne manques de rien sur le plan disons… primitif.

L’adolescente resta silencieuse, méfiante.

— P… pourquoi faites-vous ça ? lui jeta-t-elle, le regard mauvais.

Serymar marqua un silence.

— Cet endroit est trop grand pour moi. Seulement, aucune autre habitation n’est viable ici. Je peux bien céder les endroits que je délaisse… sous certaines conditions. Chacun doit savoir se protéger.

— Espèce de monstre ! cracha-t-elle. Qui vous a dit que je souhaitais que l’on me vienne en aide ? Pour qui vous prenez-vous pour avoir décidé à ma place ? Je voulais mourir et vous m’avez retiré ce droit de choisir !

Un autre silence. Serymar se figea et pour une fois, ce n’était pas parce qu’il se faisait à nouveau traiter de monstre. Son malaise se portait sur le fond du reproche.

— Je suis… navré, s’excusa-t-il avec sincérité. Également pour avoir dû aller…

Il s’interrompit un instant pour chercher soigneusement ses mots.

— …pour être allé plus loin que ce que j’aurais dû en voulant te sauver.

— Pourquoi vous m’avez fait ça ? lui demanda-t-elle avec violence.

Serymar émit un court silence.

— Il est vrai qu’il s’agissait d’un acte purement égoïste, admit-il. Mais il se trouve que je dois vérifier quelque chose sur… mh… tes origines ancestrales, dirons-nous.

— Et de quoi est-ce qu’il s’agit ? Je ne vous connais même pas !

— Tu n’es pas encore prête pour cette réponse. Retrouve d’abord tes moyens, et là, peut-être, que je pourrai te la donner.

L’adolescente se redressa sur les genoux, mais son regard demeura rivé sur le sol. Le Mage la vit croiser les bras et son visage se crisper, comme si elle cherchait à retenir d’autres larmes.

— Laissez-moi mourir… l’implora-t-elle, je vous en supplie… mieux ça qu’un avenir de souffrances continuelles…

« Soyez maudits, Dragons, avec vos signes. »

Serymar sortit d’un étui accroché à une jambe, une dague, dont le manche était épaissi de plusieurs tours d’un bandeau de tissu abîmé pour éviter de se blesser malgré-lui avec ses courtes griffes.

— Peu importe le choix que tu feras, tu finiras par mourir un jour comme tu le souhaites, lui expliqua-t-il patiemment. Je te donne une semaine de réflexion. Si aucun choix ne te convient… Vois-tu cette arme ? Je te la prêterai et ferai en sorte que tu ne souffres pas. Je respecterai ton choix, en dédommagement de ma conduite envers toi. Cela te convient-il ?

— Pourquoi… faites-vous ça ? Vous proposez ça comme si c’était banal…

— J’assume simplement les conséquences de mes actes. Je t’ai sauvée contre ta volonté. Ce qui est fait est fait. Inutile de s’en plaindre. Maintenant, à toi de me donner une réponse. Dans une semaine.

Sur ce, il quitta la pièce sans en rajouter, la laissant à sa frustration et à ses réflexions.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 12 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0