Chapitre 19 - 1

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  Allongé sur son lit et soudain gagné par l’ennui, Karel se leva. Il ignora délibérément la porte. Hors de question de sortir aujourd’hui. Il ne voulait croiser personne. L’ambiance était devenue glauque. Ce matin, en descendant déjeuner en compagnie de Serymar qui, comme d’habitude, refusait de se faire servir, Karel ne s’était jamais senti aussi mal à l’aise en sa présence. Pourtant, il appréciait passer du temps avec lui. Mais aujourd’hui… le Mage n’avait pas cessé de l’analyser du regard dans un parfait silence, le visage appuyé sur ses mains jointes, accoudé sur la table. Aucun échange. Karel avait mangé l’estomac noué et avait pris congé sans cacher son soulagement.

  Karel s’appuya contre l’unique fenêtre dépourvue de vitre et protégée par un volet en bois. Sous ses yeux, la plaine noire à perte de vue, surmontée par une chaîne de montagnes sombres paraissait minuscule d’aussi loin. Karel s’était toujours demandé ce qu’il y avait derrière. Evidemment, il lui était interdit de s’approcher des Monts. Lorsqu’il jouait dehors, c’était à la seule condition de rester dans les alentours du domaine. Karel ne tenait pas à subir d’autres punitions, la dernière l’ayant beaucoup marqué.

  Il jeta un regard sur son bras gauche, celui qui s’était déchiré sur un pieux rouillé au fond de l’oubliette. Une longue cicatrice avait remplacé la blessure. Bien moins impressionnante que celles de son mentor, mais suffisamment voyante malgré-tout. Karel désirait ressembler à Serymar, mais pas à ce point. Il frissonna au souvenir de la douleur cuisante qu’il avait ressentie lors de sa chute. Voir Elma en larmes l’avait profondément déstabilisé. Karel ne s’était jamais senti aussi coupable. Lorsqu’il avait pu marcher à nouveau, il s’était excusé auprès d’elle. Elma lui avait souri en lui faisant comprendre qu’elle ne lui en voulait pas, et qu’il n’avait pas à s’inquiéter pour elle.

  Karel ne put se perdre plus loin dans ses pensées. Une douleur soudaine dans sa poitrine le saisit. Il y plaqua vivement la main dans un vain espoir de l’arrêter. C’était comme si la pointe d’un couteau s’enfonçait dans ses poumons depuis l’intérieur. Son estomac se contracta violemment et l’air lui manqua. Sa gorge lui brûlait. Karel serra les dents et s’étouffa, toussant si fort que son corps se contracta de plus belle. Ses poumons se vidèrent brusquement, ses jambes se dérobèrent et des tâches sombres apparurent devant ses yeux. Un goût désagréable emplit sa bouche et sa gorge le brûla en expiant ce qu’elle cherchait à rejeter depuis : du sang.

  Profitant d’un court répit, Karel respira avec précaution, mais à peine inspira-t-il que la crise reprit. Il manqua d’air et rejeta encore du sang. Karel inspira plus lentement, essoufflé. À peine le fit-il que cette sensation de lame cherchant à percer ses poumons et le cloua au sol.

  Karel avait beau avoir appris à garder son sang-froid, cette fois, la peur le saisit. Allait-il mourir ? Comment appeler à l’aide ? Son corps ne lui obéissait plus. À peine avalait-il de l’air qu’il s’étouffait encore, avec cette impression de boire la tasse et de se noyer.

  Une crise le secoua encore et entama ses dernières forces. Une idée lui vint, désespérée. Peut-être qu’avec ses pouvoirs… ?

  À quatre pattes, il essaya d’imiter Serymar lorsqu’il lui envoyait des ondes de choc mentaux pour le réprimander, sauf que Karel n’avait aucune idée sur la manière de procéder. Tout ce qu’il souhaitait, c’était envoyer un signal. À peine sollicita-t-il ses pouvoirs qu’une autre crise le prit et annihila sa tentative désespérée. La brume devant ses yeux se fit plus intense et sa conscience vacilla. Il perdit connaissance.

***

  Elma plissa le regard. Occupée à trier des fruits dans des paniers fabriqués sur place, elle ne manqua pas de remarquer qu’il semblait y avoir plus de conversations que d’habitude chez ses homologues. Elle leur jeta un regard.

  Elkor était occupé à consolider une chaise. Dans un autre coin de la pièce se trouvait un jeune homme qui les avait rejoints récemment, du nom de Raël. Encore en phase d’adaptation, Elma l’aidait depuis quelques jours à se familiariser. Malheureusement, le nouveau venu ne pouvait jamais aider bien longtemps à cause de sa santé défaillante. Cela avait valu au jeune homme de se faire insulter par les siens, qui avaient fini par le croire aussi profiteur du dur labeur des autres que fainéant. Rael lui-même n’avait jamais compris ce qui le rendait aussi faible avant d’avoir rencontré Serymar.

— Enfin la paix ! s’écria Elkor en s’étirant. Ça fait du bien ! Ça devrait arriver plus souvent ! Enfin, le Maître a appris au gamin où était sa place. Il était temps ! Pour une fois qu’il mérite des éloges !

  Elma pâlit.

— Où est Karel ? Est-ce que quelqu’un l’a vu ?

  Raël réajusta ses lunettes.

— Il me semble l’avoir vu monter dans sa chambre après son petit déjeuner. C’est vrai que c’est bizarre : d’après ce que j’ai observé, à cette heure, soit il est avec le Maître, soit il explore les environs.

  Angoissée, Elma posa son panier afin de prendre un bol qu’elle remplit d’eau fraiche et ajouta un linge. Karel n’avait peut-être qu’une remontée de fièvre ?

— Je te remercie, Raël.

— Elma, arrête de surprotéger ce gosse ! la tança Elkor. Pour une fois qu’on a la paix depuis qu’il est là !

  La jeune femme lui jeta un regard noir, vindicative depuis leur dernier échange.

— Je n’ai pas de temps à perdre, j’ai une mission à accomplir. Apparemment, je suis la seule à me souvenir que j’en ai une, ici, rétorqua-t-elle sèchement.

  Elle tourna les talons et quitta la pièce.

— Tu devrais vraiment calmer le jeu, conseilla Raël à son homologue.

— Décidément, personne ne se comporte comme il le faut ! soupira Elkor. T’as quel âge, pour me faire des réflexions ? Il serait temps que tout le monde se souvienne que le respect, ça se mérite !

  Raël ne se laissa pas démonter.

— Le respect selon ta propre vision, tu veux dire ? ironisa-t-il. Celui qui consiste à s’effacer devant une personne plus âgée que soit et de sous-considérer les autres, c’est ça ?

— Exactement. Elma ne devrait pas être à notre tête. Je ne sais pas ce que le Maître lui trouve, mais il a été complètement à côté de la plaque d’avoir attribué cette place à une femme. Surtout aussi mal dressée qu’elle !

— Mh. Je trouve que ta vérité ne tient pas debout. Outre mon avis personnel, allons dans ton sens : si l’âge est si important pour toi, je trouve que tu ne respectes pas beaucoup Enorën et le Maître.

— Je mérite mieux ! Enorën ne fait rien à part surveiller les réserves et débattre sur des sujets sans intérêts avec le Maître. Il est inutile ! Quant à toi, je ne comprends pas pourquoi il t’a accepté. Un boulet pareil qui faiblit à la moindre tâche n’est utile à personne ! Les faibles sont censés mourir, c’est comme ça, ça fait le tri !

  Raël le fusilla du regard.

— Bien sûr, c’est vrai que j’ai volontairement choisir d’avoir un corps pareil ! Personne ne fait autant d’efforts que toi ! À ce que je sache, le Maître ne t’a jamais reproché le résultat de ton travail. C’est ta condescendance qui dérange tout le monde.

— Tu as de la chance d’être lié par pacte, siffla Elkor. J’en ai éliminé pour moins que ça. Vous êtes lâches à vous cacher derrière la protection du Maître !

— Ah bon, parce que toi, c’est différent, peut-être ? railla le jeune homme.

  Elkor lui offrit une expression entendue.

— Exactement. J’ai été injustement condamné à mort pour avoir sauvé mon village de la famine en éliminant les parasites. Il fallait bien choisir, et personne ne voulait se salir les mains. Le Maître comprend ça, normalement.

  Raël préféra ne pas relever et songea qu’il avait eu la chance de ne pas s’être retrouvé au même endroit qu’Elkor à ce moment-là.

— Certes, le Maître n’a pas peur de se salir les mains s’il le faut. Mais je ne pense pas qu’il le ferait pour les mêmes raisons que toi. Sinon, ça ferait longtemps qu’il nous aurait éliminé, tu ne crois pas ?

— Ouais, ben il débloque complètement.

— Si tu n’approuves pas ses idées, pourquoi est-ce que tu restes ? La seule chose qui t’attend en ce cas, c’est un effaçage de mémoire.

— C’est évident, non ? répondit Elkor avec une expression méprisante. Pour avoir ma revanche sur ceux qui m’ont trahi ! Je suis même prêt à courber l’échine devant une femme aussi mal éduquée qu’Elma s’il le faut en attendant ce jour. Par contre, qu’un gosse à qui on ne demande rien passe avant moi, j’ai du mal à l’avaler !

  Raël soupira.

— Mon conseil de jeune va sans doute passer dans l’oreille d’un sourd, mais au moins, j’aurais la conscience tranquille : tu ferais mieux de changer de comportement. Je te trouve même un peu trop sûr de toi depuis la mort de Grim. Elma a au contraire mérité sa position. Je ne la connais que depuis peu, mais j’ai vite constaté qu’elle était du genre acharnée au travail. Elle a gagné cette place à la loyale et certainement pas comme tu sembles le penser. Je te trouve même très dégradant à son égard.

— Je n’ai pas de leçons à recevoir d’un parasite.

— Si tu le dis. En attendant, j’ai mieux à faire que de débattre avec toi. Je ne compte pas décevoir le Maître en manquant à mes engagements. Je souhaite, comme Elma, mériter ce qu’il m’a donné et me donne encore aujourd’hui.

***

Suite ===>

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