Chapitre 20 - 2
La nuit qui suivit, Karel eut beaucoup de mal à s’endormir. Ne tenant plus, il décida de sortir malgré l’interdit. Son but n’était pas de désobéir à Elma. Il avait bien compris que ce n’était pas le bon moment pour aller voir le Mage. Tout ce que Karel souhaitait, c’était évacuer ses nerfs en se promenant jusqu’à trouver le sommeil.
Il referma discrètement la porte de sa chambre et entama sa descente. En s’aidant du mur et en tâtant les marches abîmées du bout du pied, il n’eut aucune difficulté à avancer dans l’obscurité.
Au niveau de l’étage du personnel, Karel se raidit lorsqu’il aperçut une ombre se mouvoir. Un adulte. Certainement Radôn, au vu de sa haute taille mince et élancée. La manière malaisante dont il l’avait regardé le matin même lui revint en mémoire. Karel se dissimula comme il le put dans l’ombre et s’immobilisa. Quand Serymar reviendrait, il lui demanderait de lui apprendre comment se rendre invisible. Avec ses pouvoirs psychiques, ça devait être possible.
Karel trembla d’effroi en se rendant compte que Radôn se trouvait désormais à un pas de lui, le dominant de toute sa hauteur. Le jeune garçon pesta. Dans le noir, Radôn avait les yeux rivés sur lui. Karel recula d’un pas puis secoua une main à côté de sa tête. « Au revoir ». Il lui tourna le dos et monta en direction de sa chambre.
Son sang se glaça lorsqu’il sentit Radôn le suivre de très près. Karel se retourna vivement. Radôn ne le lâchait pas des yeux. Il ouvrit la bouche et l’homme fut soudain pris de violentes convulsions. Les yeux de Karel s’agrandirent de terreur. Ceux de Radôn se révulsèrent avec violence, son corps secoué de spasmes impressionnants alors qu’il s’effondrait sur les marches. Des sons étouffés sortirent de sa gorge qu’il tenait à deux mains. Son visage devint violacé, comme si des liens invisibles lui serraient la gorge de manière impitoyable.
Karel se plaqua contre le mur, tremblant de tous ses membres devant la scène. Son cœur s’emballait face aux gesticulations de Radôn à ses pieds. L’homme chercha à lui attraper une cheville. Le petit garçon se raidit de peur et se décala, essayant d’appliquer les conseils de Serymar : toujours garder son calme. Dans un dernier souffle erratique, Radôn cessa de bouger. Le corps raide, ses yeux exorbités et vides rivés sur l’enfant.
Karel fut secoué de spasmes intenses, incapable de comprendre ce qui venait de se passer. L’air lui manqua, les battements de son cœur s’accélérèrent si vite que le sol tangua. Quelque chose enfla en lui : un sentiment d’affolement, mêlé à la peur et à beaucoup de choses à la fois qu’il ne comprit pas. Cette chose semblait chercher à s’extirper de son corps. L’angoisse le submergea et Karel perdit le contrôle. Son esprit s’en trouva submergé, ce qui lui donna le terrifiant sentiment de perdre la raison. Karel voulut demander de l’aide, quitte à se faire réprimander pour sa désobéissance, mais son corps et son esprit ne lui répondaient plus. Il était paralysé sur place, pendant que sa mémoire lui repassait en boucle les derniers instants qu’il venait de vivre avec autant d’intensité que la première fois. Agonie. Râle. Yeux révulsés vidés de leur âme.
Agonie.
Râle.
Yeux vides fixés sur lui.
Les battements de son cœur s’accélérèrent encore. Son estomac se contracta violemment et il toussa. Son souffle se fit bruyant et rapide, beaucoup trop vif.
Radôn était mort. Il venait de mourir dans d’atroces souffrances sous ses yeux. Que s’était-il passé ? Karel sentait qu’il perdait la raison face à cette image qui ne cessait de s’imposer à lui, sans rien pouvoir faire pour s’en sortir.
Des portes percutèrent les murs, suivis de plusieurs pas précipités. Bien vite, tout le reste du personnel se retrouva là, écarquillant les yeux sous le choc face au cadavre de Radôn.
Des bras l’entourèrent soudain, mais il sentit à peine la présence d’Elma. Elle l’étreignit avec force pour tenter de calmer sa crise d’angoisse.
Karel s’accrocha à Elma comme si sa vie en dépendait, son regard rivé sur le cadavre. Il voulut s’en détourner, mais une force invisible l’en empêchait. Il ne réalisait pas. Il avait beau le voir, il n’arrivait pas à y croire. Personne ne pouvait mourir comme ça, sans raison apparente et dans d’atroces souffrances.
Une main se posa en douceur sur sa joue. Elma le força à se détourner pour l’obliger à la regarder. Elle lui saisit le visage et colla son front contre le sien. Karel essaya de se concentrer sur cette sensation. Garder le contrôle. Rester calme. Perdu, hébété, choqué, il ferma les yeux pour se couper de la réalité. Tremblant, il ralentit sa respiration dans un premier temps. Elma finit par le serrer à nouveau contre elle en lui caressant le dos.
Râle d’agonie, regard mort fixé sur lui. Les efforts d’Elma pour l’aider s’avérèrent vains : Karel ne parvenait pas à s’apaiser. Il se sentait craquer sans parvenir à le faire, sans comprendre pourquoi.
Une crainte soudaine et glaçante le saisit. Et si ce qu’il venait de vivre arrivait à Elma, là, juste en cet instant ? Allait-elle mourir elle aussi ? Karel succomba : le moindre de ses muscles se contracta violemment, ses tremblements redoublèrent d’intensité, l’air lui manqua à nouveau. Les larmes aux yeux, il s’agrippa à Elma avec force, sans parvenir à lui exprimer autrement à quel point il avait peur qu’il lui arrive la même chose.
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