Chapitre 26 - 1

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Un semblant de conscience lui revint et la lumière l’aveugla un instant alors qu’il peinait à ouvrir les yeux. Un panorama flou s’offrit à lui. Peu à peu, des sensations lui revinrent. Le contact de l’air, celui d’un tissu rembourré dans son dos. Et celui d’un corps. Le sien. Combien de temps avait-il dormi ? Serymar bougonna, immobilisé par un violent mal de crâne.

« Visiter des cachots au milieu des cadavres. Tu n’as pas trouvé plus stupide, comme idée, Karel ? »
Serymar ne s’était jamais imaginé qu’une maladie pouvait faire autant de ravages. Il comprenait enfin les autres Mortels sur ce plan, et ne souhaitait pas renouveler cette expérience.

Il avait l’impression que sa nuque était faite de verre et sur le point de se briser. De violents vertiges l’assaillaient aussitôt lorsqu’il essayait de se redresser, réveillant d’anciennes blessures oubliées. Ses membres étaient si lourds qu’il peinait à se mouvoir.

Encore confus, il s’efforça pourtant de s’ancrer dans la réalité. Il détestait ne plus être alerte, il s’agissait d’une faiblesse qui pouvait lui coûter la vie. La sienne, celle de Karel, d’Elma et de ceux qu’il devait protéger.

Son cœur s’emballait avec cette sensation de manquer d’air. Serymar soupira.

« Elkor… sale traître… »

Le lien de pacte qui l’unissait à Elma s’était activé et entamé le peu d’énergie qui lui restait. Voilà pourquoi il était aussi affaibli et à peine conscient.

Au vu des derniers agissements d’Elkor, Serymar s’était méfié. Il ne pouvait que constater que son instinct ne le trompait plus dans ce domaine. Son serviteur s’était toujours montré jaloux vis-à-vis d’Elma.

Il remarqua aussi que le pacte de Radôn s’était brisé et que d’autres liens le gênaient, attisant sa contrariété : plusieurs de ces humains cherchaient donc à le trahir. Lassé de ces confrontations, un tri radical s’imposerait. L’amertume saisit Serymar à ce constat : seule la loi du plus fort semblait fonctionner. Accorder sa confiance ne menait qu’à la trahison.

Il se raidit soudain en sentant un regard peser sur sa personne, achevant de le mettre mal à l’aise. Depuis quand cette présence était-elle là ?

— Ravie de voir que vous commencez à revenir vers nous, Maître, fit une voix sur un ton neutre.

La tension de son corps se relâcha lorsqu’il reconnût Elma. Il soupira et tenta de réorganiser ses pensées encore confuses. Son souvenir le plus récent datait de la soirée où il avait absorbé le mal de Karel et ensorcelé la jeune femme. Il avait succombé à un rude malaise juste après et depuis, plus rien.

Elma répondit à sa question silencieuse.

— Il s’est passé trois jours depuis l’autre soir. Karel va bien. Il a hâte de vous voir, d’ailleurs. Par contre, je pense qu’il serait sage que vous cessiez d’alimenter certains de vos enchantements, cela ralentit beaucoup votre rétablissement. Bien que je ne sois pas insensible au fait que vous ayez préféré utiliser vos dernières forces pour moi, je vous ai trouvé inconscient d’avoir risqué votre vie de cette façon.

Elle se rapprocha pour capter son regard.

— Parce qu’il s’agit bien de ça, n’est-ce pas ? Quand on utilise plus que ses propres ressources physiques en magie, on peut en mourir. Cela a du énormément vous coûter pour sauver Karel. Vous avez outrepassé vos limites pour moi et vos sortilèges, je me trompe ?

Une pointe de fierté l’anima, à l’idée de constater qu’elle avait beaucoup appris depuis qu’il l’avait recueillie. Il demeura silencieux.

Il leva avec difficulté la main gauche et poussa l’une de ses épaules d’un doigt pour lui intimer de s’éloigner. Serymar ne parvint pas à grand-chose, mais Elma comprit le message et s’écarta. La jeune femme ne s’en alla pas pour autant. Elle préféra lui tourner le dos pour éviter de croiser son regard, consciente du malaise de paraître faible. Serymar la remercia en son for intérieur pour ce geste.

— Karel…

— Tout va bien, assura Elma. Il est entre de bonnes mains.

Frustré, Serymar aurait voulu lui ordonner de lui dire la vérité, mais la force lui manquait. Il s’était passé quelque chose et il ressentait une envie furieuse de rappeler Elma à l’ordre : il détestait quand elle se mettait à protéger ceux qui ne le méritaient pas. Il ne le comprenait pas. Pourquoi tentait-elle de protéger Elkor, après tout ce qu’il avait fait ?

Il devait se rétablir au plus vite, avant que la situation n’empire. Maintenant qu’il avait enfin repris connaissance, il pouvait lever quelques sortilèges. Il allait commencer par le sceau invoqué sur sa porte qui ne tolérait que la jeune femme.

— Elma.

La concernée lui prêta son attention.

— Ta main.

Surprise, la jeune femme mit quelques secondes pour comprendre ce qui allait se passer. Contrainte d’obéir, elle posa sa main dans la sienne à même le matelas. Serymar referma avec difficulté ses doigts dessus, et il la sentit frissonner.

Avec lenteur, il posa son pouce sur le nerf médian d’Elma. Ses muscles étaient tendus. Il la comprenait. Il aurait souhaité lui dire qu’il était navré pour ce qui allait se passer, mais n’en n’avait pas encore la force.

Il appela le peu de ressource qu’il avait récupéré et le projeta au travers du réseau nerveux d’Elma. Elle sursauta mais se fit violence pour ne pas bouger. Serymar se concentra jusqu’à parvenir à prendre le contrôle de ses gestes en prenant garde à ne lui causer aucun mal. L’esprit plongé en elle, il ressentit de plein fouet toutes les émotions qui l’animaient : Elma prenait beaucoup sur elle. Il la sentait trembler, perturbée à l’idée de voir ses mains se mouvoir sans qu’elle n’ait plus aucun contrôle dessus. Ses propres veines lui brûlèrent et les sillons argentés apparurent sur sa peau pour remonter jusqu’à ses coudes.

— Non, Maître, s’il vous plaît…

— Ne t’inquiète pas. Tu es la seule personne à ne rien avoir à craindre de moi, tenta-t-il de la rassurer par télépathie.

Il sentit Elma s’affoler de plus belle. Serymar comprit qu’il avait encore une fois été maladroit dans ses propos. Elle pensait qu’il allait absorber son énergie pour reprendre des forces. Il ne prit pas la peine de se justifier.

Utiliser ce sortilège mobilisait le peu de concentration qui lui restait. Son sang s’embrasa de plus belle et cette sensation remonta jusqu’à ses épaules.

Il mobilisa toute sa volonté et forma des signes complexes au travers des mains d’Elma. Il y insuffla le peu de ressource magique qui lui restait pour achever de défaire ses protections. Ce sort était dangereux, il pourrait aussi bien blesser Elma que se retourner contre son lanceur.

Quelques étincelles apparurent sur la porte de la chambre avant de mourir. Le soulagement envahit Elma. Elle venait de comprendre et son malaise disparut. Serymar en profita pour annuler le bouclier qu’il lui avait imposé. Enfin, il réintégra sa propre conscience. Cela fait, il lui relâcha la main.

Un puissant vertige le saisit et le monde se remit à tourner très vite. Sa vue se brouilla, la voix inquiète d’Elma se fit de plus en plus lointaine. Son cœur palpita et aucun de ses muscles ne répondirent plus. Il eut la désagréable sensation de chuter dans le vide et sa conscience sombra.




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