Chapitre 26 - 2

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Il fut incapable de déterminer combien de temps son malaise avait duré. Cela faisait de nombreuses années qu’il n’y avait plus succombé. Une voix familière lui parvint de loin. Peu à peu, le ton se fit insistant et visiblement inquiet. Serymar aurait souhaité répondre qu’il allait bien, mais seul un faible souffle s’échappa de ses lèvres. Il retrouva le sens du toucher lorsqu’il sentit quelqu’un le secouer doucement par une épaule.

Une vive douleur dans ses poumons brisa sa torpeur. Son corps sursauta, son mal de crâne explosa. Une violente quinte de toux le prit et il cracha du sang, qu’il dissimula dans son coude. Les sillons argentés avaient désormais atteint une partie de son visage, infligeant une sensation de feu dans ses veines. Il lutta contre l’envie de s’arracher la peau pour se soulager. Inquiet à l’idée de perdre le contrôle de ses pouvoirs, Serymar lia sa conscience avec ce chaos au creux de ses entrailles. Peu à peu, il le brida pour le canaliser, jusqu’à ce que cette manifestation sur son corps perde en intensité. Il ignorait ce qu’il adviendrait de sa personne si ces pouvoirs-là débordaient. Et plus encore des personnes qui l’entouraient.

Elma le toisa.

— Vous n’en faites vraiment qu’à votre tête ! Le peu que vous avez récupéré, vous le dépensez mal !

— Va t’en, s’agaça-t-il, le souffle court.

C’était plus une demande qu’un ordre, presque une supplication. Être le centre d’attention lui avait toujours été inconfortable.

— Non.

Serymar lui jeta un regard glacial, elle ne cilla pas. Elma était devenue douée à ce petit jeu, ce qui l’exaspérait autant qu’il en éprouvait de l’admiration.

— Je te… demande… pardon ? menaça-t-il faiblement.

Elma ne se démonta pas. Elle avait une idée derrière la tête, c’était sûr.

— Eh bien, cette maladie vous a vraiment atteint, Maître, reprit-elle avec audace. Vous devriez déjà savoir pourquoi j’agis ainsi : je ne fais que respecter le pacte. Vous savez, la clause qui m’interdit de me mettre en travers de votre chemin ?

Serymar se demanda comment Elma allait argumenter. Elle profitait bien de la situation.

— Ne pas agir au vu des circonstances est une violation de cette clause, s’expliqua-t-elle. Ne pas vous venir en aide est, il me semble, une façon de vous nuire de manière indirecte.

Serymar voulut ouvrir la bouche pour riposter, mais il n’en fit rien. Son esprit s’embrumait à nouveau et devait admettre que ce raisonnement se tenait. Elma arrivait toujours à le surprendre. Il ne sut s’il en ressentait de la satisfaction ou, au contraire, une contrariété. Peut-être les deux à la fois.

— Laisse-moi, ordonna-t-il de nouveau. Dernière fois.

— Compte tenu la situation, il est temps que vous appreniez à compter sur vos alliés, non ?

— Je n’en ai pas, riposta-t-il, glacial.

— Si, il y a moi. Je vous en prie… laissez-moi vous aider comme vous l’avez fait pour moi autrefois. Je vous le dois, même si vous ne l’exigez pas. C’est… c’est la moindre des choses.

Serymar se détourna en lâchant un soupir. Elma lui jeta un regard dur.

— Je suis sérieuse. Vous n’êtes pas le seul à avoir commis des crimes, et pourtant, c’est vous que les Dragons veulent rayer de la surface de Weylor ! Quelle différence il y a entre vous et d’autres, sur ce plan ? Un meurtre reste un meurtre, je ne vois pas en quoi vos forfaits devraient être jugés différemment !

— Ma nature.

— Cette raison est aussi valable que celle qui consiste à s’en prendre à quelqu’un juste parce qu’elle aurait des yeux noirs ! s’indigna Elma.

— C’est ainsi.

— Je trouve qu’il existe bien pire que vous, et ils ne sont pas appréhendés, comme ces odieux Clans et les bandits, reprit Elma, plus posément. Contrairement à eux, vous n’agissez pas ainsi pour le plaisir, au contraire, vous détestez ça. J’estime que ça fait toute la différence, bien que vous gagneriez vraiment à réapprendre certaines limites. Vous n’êtes peut-être pas toujours obligé de tuer à la moindre agression pour vous protéger.

Serymar préféra ne pas répondre. Il n’avait plus la force d’expliquer son point de vue.

— Vous m’avez aussi offert la possibilité de devenir moi-même, reprit-elle. C’est un cadeau que je n’oublierai jamais.

Elle hésita une seconde.

— C’est un présent que vous auriez souhaité obtenir aussi. Croyez-moi, j’ai bien conscience de la valeur de cet acte.

— Je ne t’ai offert… que l’emprisonnement à vie, contra-t-il dans un faible murmure.

— Un prix bien bas pour ma part, au vu de tout ce à quoi j’ai droit en échange.

— Elma… soupira-t-il.

L’épuisement le gagnait. Il jeta un bref regard sur ses mains. Les sillons argentés refluaient enfin.

Elma baissa soudain les yeux. Cette attitude, il la connaissait. Elle contenait ses émotions. Sa théorie se confirma à la légère tension dans sa main, et se demanda ce qui la bouleversait.

— Vous… je vous suis sincèrement reconnaissante de m’avoir aidée à interrompre cette grossesse non-désirée sans m’avoir jugée.

S’il avait été au sommet de sa forme, Serymar l’aurait faite taire.

« Qui a osé te faire une réflexion ? » se demanda-t-il, contrarié.

Il avait envie de se mettre en colère. Il voulait la forcer à lui révéler qui s’était permis de la regarder de cette manière afin de lui faire payer ses mots. Il voulait faire souffrir le coupable au moins autant que ce qu’elle avait souffert sous ses yeux.

Il se souvenait avec précision du jour où il avait découvert, quelques jours à peine après s’être liés par le pacte, qu’elle portait un enfant depuis six ou sept semaines. Elma ne s’était rendue compte de rien, mais Serymar l’avait ressenti au travers de leur lien et de son état général. Elma avait cédé à une attaque de panique avant de s’effondrer en larmes lorsqu’il le lui avait annoncé.

Serymar ne s’était jamais senti aussi révolté, en constatant les nombreux dégâts qu’Elma portait depuis l’enfer duquel elle était sortie.

Il avait alors passé du temps à lui apprendre à penser hors des convenances sociales et expliquer patiemment que refuser cette grossesse n’était pas un crime, tout comme elle était libre de la continuer. Serymar ne l’avait aucunement influencée dans cette décision, malgré les demandes d’Elma. Dans tous les cas, à ses yeux, elle s’en serait ressortie grandie et plus forte encore.

Il avait détesté cette intervention. Ces quelques jours à essayer de la soulager lui avaient paru longs.

En dépit de sa fébrilité, Serymar posa sa main sur celle d’Elma. Il se souvenait à quel point cette épreuve avait été difficile pour elle et qu’elle devait encore douter de son choix.

— Ce n’était rien, lui assura-t-il dans un faible murmure. C’était… normal.

— Vous êtes bien le seul à le penser, remarqua Elma avec émotion.

Un court silence suivit. Il était conscient d’être plus ou moins le seul à penser comme il le faisait. Il la revoyait, assaillie de sang et de larmes, à lutter dans ses bras pour ne pas sombrer. En colère de la voir payer l’égoïsme des autres, fasciné par la force qu’elle dégageait pour laisser son passé derrière elle. S’il devait jouer le rôle du monstre pour lui garantir la paix, il le ferait sans aucune hésitation.

— Aujourd’hui, c’est à moi de vous rendre la pareille, reprit-elle. Alors s’il vous plaît, faites-moi confiance. Vous l’aviez pressenti, de toute manière, non ? Ce fameux soir où vous avez sauvé Karel, lorsque vous m’avez demandé de prendre momentanément votre place.

— Ordonné.

— Peu importe. Vous êtes moins seul que vous ne le pensez.

— Faiblesse.

— Non… cela peut être une force formidable. Il est temps que vous en preniez conscience.

Elma se dirigea vers la porte et s’immobilisa.

— Ce n’est qu’un juste retour des choses après m’avoir rendu ma dignité. Je vous laisse, à présent. Ce rôle temporaire que vous m’avez confié est très prenant et je tiens à honorer ma parole.

Serymar fut secoué d’un rictus.

— …espèce d’hypocrite.

— Je… je vous demande pardon ? questionna Elma, choquée par cette insulte soudaine.

— Ose prétendre… que tu ne profites pas de la situation.

Elma se calma lorsqu’elle comprit son stratagème. Serymar avait joué d’ironie pour la détourner de son histoire, au même titre qu’elle avait usé de provocation pour le sortir de sa torpeur. Il la vit s’autoriser une petite moue amusée.

— Peut-être un peu.

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