Chapitre 27 - 1

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Karel ne cacha pas sa joie quand Elma lui indiqua qu’enfin, il pouvait voir le Mage sans risque. Il n’attendit pas plus et partit à sa rencontre.

Le petit garçon s’engouffra dans les escaliers en courant. Les connaissant par cœur, il les sauta quatre à quatre. Il avait si hâte !

Il atteignit enfin le dernier étage. Essoufflé, Karel s’accorda une pause à la sortie des escaliers en posant ses mains sur ses genoux pour reprendre son souffle. Il se redressa et avisa le palier. Sombre, comme tout le reste du domaine. La seule source de lumière se trouvait plusieurs mètres plus loin.

Karel s’engagea dans le couloir plus calmement jusqu’à la porte de Serymar. De minces rayons de lumière traversaient les fissures. Karel plissa les yeux pour voir au travers. Son Maître était bien là, concentré sur un rouleau, un linge posé sur ses cervicales.

Le jeune garçon semblait avoir oublié les sens affûtés de Serymar. Ce dernier ouvrit la porte d’un simple geste de la main, ce qui ne laissa pas à Karel le temps de se donner un air innocent.

L’embarras l’envahit. Karel savait pourtant que le Mage détestait quand il regardait au travers des portes. Il entra dans la pièce sans se précipiter. Le Mage prit le temps de rouler et de ranger son document dans un tiroir à côté de lui.

Arrivé à sa hauteur, Karel grimpa à même le lit, s’agenouilla et regarda son Maître dans les yeux. Son interlocuteur se contenta de le sonder. Karel comprit qu’il allait devoir s’exprimer le premier.

Il lui offrit un sourire sincère puis signa qu’il était content de le voir en meilleur état. Il le remercia aussi de l’avoir guéri. Karel fit une pause et guetta sa réaction, mais il n’y en eut toujours pas.

Karel ne se démonta pas. Il prit sur lui comme à chaque fois, puis raconta ses dernières découvertes, en particulier l’histoire de l’arbre qu’il avait ressuscité sans le vouloir. Enfin, il eut droit à un semblant de réaction.

— « Réussis-tu à maîtriser ce pouvoir, maintenant ? »

Ni félicitations ni encouragement. Seulement cette question laconique. Frustré, Karel baissa les yeux. Oui, il s’était entraîné, mais non, il ne maîtrisait pas ce sort. Il s’estimait jusque-là satisfait de ne plus créer de monstres végétaux ou de faire pourrir les plantes.

Karel répondit à la question en expliquant qu’il ne parvenait pas encore à réaliser cet exploit de manière consciente. Il releva les yeux vers le Mage, mal à l’aise. Son regard flamboyant n’était plus impassible, mais plutôt dur. Serymar leva sa main et lui fit comprendre de revenir le voir lorsque Karel serait parvenu au résultat attendu.

Refroidi par cette réponse, Karel baissa la tête et fixa un point imaginaire quelque part sur le drap sombre. Les poings serrés, quelque chose grondait au creux de son ventre. Une sensation désagréable lui enserrait le cœur jusqu’à former une boule dans sa gorge. Il serra les dents.

Une main releva son menton. Karel darda un regard noir, et le visage fatigué de Serymar se mua en une expression étonnée.

Karel se dégagea et partit dans une frénésie de gestes nerveux. Cette fois, Il se moquait que cela ne plaise pas à son Maître. Peu lui importait en cet instant de se faire réprimander. Il exprima tout ce qu’il avait intériorisé : tout ce qu’il avait accumulé et pris sur lui. Il lui indiqua qu’il faisait tout pour le satisfaire. Karel lui indiqua son impression de ne jamais en faire assez, quoi qu’il fasse, même en y mettant tout son cœur.




***




Serymar le laissa s’exprimer. En réalité, il se sentait perdu face à ce comportement. Il se demandait ce qu’il avait dit de mal.

Karel s’arrêta brusquement et baissa à nouveau la tête. Les poings fermés devant lui, il semblait attendre sa réprimande.

Serymar était habitué aux débordements émotionnels de son Apprenti, dus à son manque de moyens pour exprimer ses émotions. En revanche, c’était bien la première fois que Karel lui spécifiait ce qu’il ressentait à ce point.

Il le considéra pendant de longues secondes et retira le linge devenu froid de ses épaules pour le déposer sur la table de chevet. Il chercha l’attention de Karel. Son visage montrait désormais de la crainte. Serymar l’ignora.

— « Je n’ai pas de temps à te consacrer pour le moment. Nous reprendrons ta formation à partir de la semaine prochaine si tu le souhaites. » lui signa-t-il.

Serymar estimait qu’il serait enfin rétabli à ce moment-là. Il serait surtout parvenu à faire le tri entre ses subordonnés et à rappeler à tout le monde qui détenait l’autorité.

— « Je te promets que j’irai analyser ton exploit. J’adapterai les prochaines leçons en fonction de tes progrès. »

Surpris, Karel resta interdit. Le soulagement l’envahit et même plus encore. Une vague d’émotion le saisit.

« …qu’est-ce que j’ai dit, encore ? » songea Serymar, désarçonné.

Une larme s’échappa des yeux de Karel, qui lui indiqua à quel point il était heureux de le retrouver, tant le quotidien lui était devenu malaisant depuis que le Mage était absent. Enfin, Karel se jeta à la taille de Serymar qui sursauta violemment.

Son corps se raidit avec tant de force qu’il crut se briser en deux, collé contre la tête de lit comme s’il souhaitait s’y fondre. Son mal de tête explosa à cause du mouvement, son cœur s’accéléra alors que ces bras l’emprisonnaient dans une étreinte.

Il retint de justesse sa main gauche crispée non loin de la tête de son Apprenti, prêt à l’arracher de lui.

Figé, Serymar se força à inspirer. Il maudissait ces stupides réflexes. Si Karel avait été un adulte, Serymar n’aurait pas hésité à le repousser avec violence, quitte à le blesser. Mais il s’agissait d’un enfant, qu’il élevait dans l’espoir de survivre.

« Ce n’est pas vrai… » jura-t-il. « Ça ne devait pas se passer comme ça ! »

Serymar prit enfin conscience d’une réalité qu’il n’avait eu de cesse de nier pendant des années : Karel était parvenu à l’atteindre derrière sa forteresse. Le Mage se le reprocha avec force, déçu de lui-même.

Vaincu, il se relâcha et son cœur retrouva un rythme normal. Il se réinstalla confortablement et sa main se posa sur le dos de Karel, le cœur serré. Ses yeux fixèrent un point dans le vide, quelque part en face de lui.

« Ta présence torture mon âme, Karel. Ce n’est pas toi qui devrais être là. »

Un détail attira son attention sur la nuque du petit garçon, entre ses mèches cuivrées. Une marque qu’il ne connaissait que trop bien. Lentement, Serymar écarta les cheveux de Karel pour découvrir des traces de strangulation. Cela ne pouvait pas être Radôn, il n’en aurait jamais eu le temps. C’était donc forcément quelqu’un d’autre. Le Mage fut tenté d’interroger Karel, mais il n’en avait plus la force. Voir cette marque renforçait sa décision de faire un tri radical et définitif avec ses subordonnés. Cette fois, c’était trop. Ces Sans-Pouvoirs lui confirmaient que le respect ne se gagnait qu’avec la terreur, contrairement à ce qu’il avait espéré. Las et déçu, Serymar suivit du doigt les marques sur la gorge de Karel et elles s’effacèrent au fur et à mesure.

Quelques heures passèrent et Serymar rouvrit les yeux pour fixer Karel endormi contre lui le plus sereinement du monde.

La mélancolie le saisit.

« Si seulement… si seulement ça pouvait être « elle », à sa place… ma rose blanche… ma Aëlys… »

Il appuya sa tête contre le dossier et ferma les yeux sans dégager ses doigts des cheveux de Karel. Sa présence lui était difficile à supporter au quotidien. Chaque fois qu’il croisait son regard, la haine le prenait envers cet homme à l’œil rouge et les Dragons. Chaque fois qu’il le regardait, il se posait des questions douloureuses bien malgré-lui, constituées de « et si… ? », ne cessant de se demander s’il aurait vécu les choses de la même manière avec cette petite.

Il se demandait pourquoi il ne parvenait pas à éloigner sa main de Karel. Un seul geste suffirait, pourtant. Il n’en fit rien. C’était aussi douloureux qu’agréable. Epuisé, il céda à cette torpeur sur des sentiments opposés.

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