Chapitre 27 - 2
Deux nouvelles personnes entrèrent. Serymar rouvrit les yeux. Elma et Raël, que la jeune femme formait encore.
Elma ne cacha pas son étonnement de voir Karel blotti ainsi contre son mentor. Elle échangea un signe avec Raël qui répondit par un léger hochement de tête. Le jeune homme s’approcha, prit délicatement Karel dans ses bras et sortit de la pièce.
Elma attendit que Raël se soit suffisamment éloigné et déposa un bol d’eau bouillante avec un linge propre sur la table de chevet. Serymar s’en empara et soupira de soulagement lorsqu’il le plaça sur ses cervicales douloureuses.
— Je croyais que vous le détestiez ?
Serymar fixa Elma.
— Je ne l’ai jamais insinué.
— Alors que signifie…
— Comment suis-je censé apprécier quelqu’un né pour me tuer ? la coupa-t-il. Donne-moi donc ton avis sur la question.
— Karel n’est qu’un enfant, Maître, répondit Elma d’une voix posée. Il est vulnérable face à vous. J’ai du mal à vous suivre. Je trouve cette Prophétie ridicule. Qui pourrait venir à bout de vous à part les Dragons ? Au vu de ce que vous apportez à Karel, j’ai osé penser que… vous aviez changé d’avis à son sujet.
Serymar changea légèrement de position sans cesser de fixer Elma. Il croisa ses mains sous son visage et analysa sa réponse. Elma attendit sans en rajouter.
— Comme tous les humains, tu agis et réfléchis en fonction de tes émotions. Sa présence a quelque chose de très dérangeant, en effet. Nous sommes ennemis et sa vie est actuellement entre mes mains. Mais… est-ce que cela signifie que je dois le maltraiter sans la moindre raison valable ? Il n’y a que les arriérés, pour faire ce genre de chose. Il est donc normal, au regard de la situation, que je prenne, disons… quelques précautions à son égard.
— Tout de même… N’est-il pas au contraire dangereux pour vous d’aider Karel à développer ses pouvoirs, s’il est amené un jour les utiliser contre vous ?
— J’ai peut-être trouvé un moyen d’utiliser la Prophétie à mon avantage, et cela nécessite que Karel soit en pleine possession de son potentiel. J’ai aussi pris des engagements auprès de vous. Si je disparais, vous vous retrouverez dans une situation très précaire, surtout avec cette malédiction. Aucun de vous ne m’a encore prouvé que vous étiez capables de vous débrouiller sans moi. Ce serait pourtant quelque chose que j’apprécierai à plus d’un égard.
Elma marqua une courte pause.
— Qu’avez-vous derrière la tête, Maître ?
— Cela ne te regarde pas. Je te prierai de ne pas t’en mêler davantage.
— Comme vous voudrez… mais si je puis me permettre, pourquoi ce pacte du silence ? Qu’est-ce que ça change que Karel connaisse l’existence d’une langue parlée ou non ?
Serymar resta songeur quelques secondes et réfléchit à sa prochaine réponse. Il décida de passer sous silence sa volonté que Karel puisse grandir sans le conditionnement imposé par sa différence. Un projet mis en échec par le comportement de ses serviteurs envers Karel. Personne ne comprendrait cette volonté de sa part. Trop nombreux étaient ceux qui ignoraient ce que c’était de vivre avec cette idée de posséder une contrainte handicapante à vie, de l’énergie que l’on dépensait pour la surmonter, parfois à chaque seconde. Serymar n’avait pas la force d’étayer ce propos ni l’envie. S’il se montrait trop avenant, on chercherait encore à le briser. Il décida de révéler une autre vérité, moins avantageuse à son propos.
— Je ne peux mentir. Directement, du moins.
— Désolée… je ne comprends pas, répondit Elma, sincère.
— Comment expliquer… Certaines espèces ne peuvent mentir ouvertement, sous peine d’une séquelle quelque peu gênante. Un de mes deux héritages en fait malheureusement partis. Disons que cela m’épargne plus facilement quelques confrontations inutiles.
Elma analysa ses paroles. À elle de croire ou non à tout ça.
— Mais cette Prophétie…
— Les Prophéties ne sont pas à prendre à la légère, Elma. Elles paraissent ridicules pour beaucoup de Sans-Pouvoir comme toi, mais là se trouve justement leur dangerosité. La seule chose claire à propos de celle-ci, c’est que Karel a été désigné pour me tuer à la place des Dragons. Je refuse de me plier à une décision aussi arbitraire et dénuée de justice.
— Qu’avez-vous fait pour que les Dragons souhaitent tant votre mort ?
— J’ai seulement commis le crime d’exister. Je suis las, Elma. J’apprécierai un peu de répit.
Elle se tut. Serymar fut soulagé qu’elle consente à sa demande.
— Maître… puis-je vous poser une question ?
Sans bouger, Serymar lui accorda cette faveur d’un simple regard.
— Le jour où vous m’avez sauvée… vous… vous ne m’avez jamais répondu. Pourquoi l’avoir fait ?
— Pour me servir de toi. N’oublie pas que l’homme à l’œil rouge pourrait me localiser à tout moment, si je m’éloignais trop longtemps d’ici, lui jeta-t-il dans une tentative d’esquive.
Elma ne se fit pas avoir par sa façade.
— Certes, mais je suis certaine qu’il n’y avait pas que ça. J’ai besoin de savoir. Autrefois, vous m’aviez dit que je n’étais pas prête à cette réponse. Je pense que depuis ces années, les choses ont changé, non ?
Serymar soupira. Décidément, Elma était vraiment têtue. Il détourna le regard.
— J’ai décidé de te recueillir pour honorer une promesse que je me suis faite.
— Quelle promesse ?
Sa mâchoire se crispa et sa gorge se serra. Il se revit ce maudit jour où il fut recouvert de sang de la tête aux pieds, à lutter pour ne pas perdre son sang-froid face à un ennemi qui jubilait de l’avoir brisé.
— Celle de ne plus jamais échouer.
***
Un silence accueillit cette réponse. Elma sentait bien qu’elle n’en saurait pas davantage sur le sujet. Pour une fois, elle était déjà bien contente que le Mage ait voulu répondre au reste.
— Je vous remercie, Maître, de bien avoir voulu me renseigner. Je retourne à mes tâches.
Sur ces mots, elle s’éloigna vers la porte pour ensuite s’immobiliser.
— Maître… cette promesse, c’était à cause de quelqu’un, j’en suis sûre, désormais. Autrefois, vous m’aviez dit que vous deviez vérifier quelque chose à propos de ma lignée. Puis-je connaître le nom de cette personne ?
Elma crut ne jamais avoir la réponse, tant le silence qui suivit lui parut interminable. Elle risqua un œil par-dessus son épaule. Serymar ne la regardait pas, il avait l’air absent. Encore cette mélancolie.
— Syriana, prononça-t-il dans un murmure.
Elma fouilla dans sa mémoire. Qui était réellement cette femme ? Quel lien y avait-il avec elle ? Elle eut beau chercher, Elma ne se souvenait absolument pas d’avoir entendu ce prénom dans sa famille.
— Qui était-elle vraiment ? hasarda-t-elle.
— Je l’ignore encore moi-même.
— Comment est-ce possible ?
— On ne connaît jamais vraiment les gens. Tu lui ressembles en de nombreux points. Vous avez la même force de caractère, la même audace, la même vivacité d’esprit, tout en étant bien différentes. Tu avais donc parfaitement raison, ce jour-là : je ne t’ai sauvée que par pur égoïsme. Maintenant, laisse-moi, je suis fatigué.
— Très bien. Je vous remercie pour votre franchise. Et… je ne regrette pas que vous m’ayez sauvée, même si ce fut pour des raisons personnelles. Bien au contraire.
Sur cette conclusion, Elma, troublée, disparût dans le couloir et referma la porte derrière elle. Elle qui pensait qu’elle allait enfin pouvoir assouvir son besoin de réponses, finalement, elle avait encore plus de questions.
« Ne plus échouer à quoi ? » se demanda-t-elle.
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