/!\ Chapitre 30 - 1 /!\

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Enfin debout, Serymar ne perdit pas de temps. Le peu qu’il avait ressenti sur les pactes n’avait fait que confirmer ses soupçons. Visiblement, ses pièges n’avaient pas suffi à protéger Karel en son absence.

À peine sortit-il de sa chambre que des petits bras enserrèrent soudain sa taille, le figeant sur place. Karel le relâcha pour lui annoncer qu’il était soulagé de le voir debout. Serymar ne s’en étonnait plus, au vu du caractère de Karel. Le Mage ne manqua pas de percevoir l’angoisse du petit garçon. Il semblait hésiter à s’éloigner de lui, bien qu’il tentait de se composer une façade. Karel annonça qu’il avait hâte de reprendre leurs leçons.

— « Accorde-moi encore deux jours supplémentaires. J’ai… »

Serymar suspendit un instant ses gestes, le temps de trouver les bons mots pour éviter d’avoir à expliquer ses objectifs réels.

— « J’ai quelques problèmes à régler. »

Karel l’interrogea du regard.

— « Du ménage. »

Contre toute attente, Karel lui proposa son aide.

— « Certainement pas. » répondit aussitôt Serymar.

Karel afficha une moue déçue. Son tuteur décida de jouer sur les désirs de son Apprenti pour s’en sortir.

— « Je t’autorise à élargir ton périmètre d’exploration dehors. Vas-y et entraîne-toi bien. Profite de ces deux jours pour parfaire ton pouvoir, après quoi, je te testerai. »

Karel ouvrit grand les yeux de surprise. Serymar venait-il enfin de lui accorder plus d’autonomie, comme il lui avait tant demandé ? Serymar le lui confirma d’un léger hochement de tête.

— « Rendez-vous à ton arbre ressuscité. »

Karel assentit et se téléporta dehors. Serymar effectua une rotation du poignet pour sceller toutes les sorties du château. Ce qu’il s’apprêtait à faire risquait d’être bruyant.

Il se téléporta à la serre souterraine. Le Mage ne put qu’en constater les dégâts. La majorité des parcelles était détruite. Certaines avait été brûlées, d’autres transformées par magie. Karel avait donc bel et bien été menacé à plusieurs reprises. Radôn avait tenté de briser le pacte du silence et quelqu’un d’autre l’avait piégé puis agressé. Voilà qui expliquait la réticence de son Apprenti à s’éloigner de lui, et pourquoi il s’était jeté dans ses bras en le voyant commencer à aller mieux.

Si Serymar était capable de se passer de nourriture pendant plusieurs jours, ce n’était pas le cas de ses subordonnés. S’il ne leur fournissait pas de quoi survivre, les pactes créés se retourneraient contre lui lorsque la faim les prendrait. Il devait y remédier le plus tôt possible.

Le Mage analysa la masse de lianes et de racines entremêlées. Son Apprenti avait encore du mal à maîtriser ses émotions dans les situations extrêmes. Il allait devoir travailler ce sujet avec lui. Surtout, Serymar comprit ce que ses serviteurs ourdissaient. Elma avait aussi été menacée.

Que Karel ait été attaqué plusieurs fois ne le surprenait pas. Son Apprenti était le plus vulnérable en apparence. Serymar était satisfait que Karel leur ait prouvé le contraire.

Il se téléporta à nouveau et se retrouva en plein milieu de la salle dédiée à ses subordonnés. Des cris de surprise et de consternation fusèrent. En temps normal, Serymar ne venait jamais dans cette pièce.

— Maître ! s’exprima Reynald. Nous ne savions pas que vous étiez debout. Nous sommes sou…

— Épargne-moi tes paroles hypocrites, lui jeta Serymar d’une voix glaciale. Je ne suis pas d’humeur.

Il devait la jouer fine. Le Mage ignorait s’il y parviendrait, mais son personnel venait de lui prouver qu’il ne pouvait pas se permettre d’être lui-même. Il fixa Enorën.

— Combien de temps pouvons-nous tenir avec l’état actuel des réserves ?

Si lui ne pouvait pas jouer la comédie, ce n’était pas le cas d’Enorën et de tous les autres. Celui-ci se composa une expression désespérée et baissa la tête.

— Catastrophiques. Je dois encore voir en détail, mais comme ça, je dirai… à peine deux semaines, tout au plus. Je suis navré de ne pas avoir été à la hauteur de la mission que vous m’avez donnée.

« Tu dépasses mes espérances, Enorën. »

Rares étaient les personnes qui savaient jouer en symbiose à ses jeux de manipulation. Sa tactique fonctionna à merveille lorsqu’il vit Elkor se relever brusquement.

— Maître ! Comme vous le voyez, vous ne pouvez pas vous permettre de garder Enorën. Il n’a plus sa tête, à cause de lui, nous risquons la faim ! Et vous, d’être puni par le pacte… il ne mérite plus sa place ici.

Serymar décida de l’ignorer pour l’instant. Lui accorder son attention dans l’immédiat empêcherait les autres coupables de se dénoncer malgré-eux. Sa longue expérience lui avait appris que le silence était plus perturbant que des injonctions directes.

— J’ai déjà commencé l’inventaire de ce qui nous reste, reprit Reynald. Même en nous rationnant, nous ne pourrons plus nourrir tout le monde. Enfin, je parle pour ceux qui en veulent bien.

Il jeta un regard lourd de reproches à Raël, qui le lui rendit bien.

— Tu crois que je ne vois pas votre jeu ? gronda-t-il. Tu ne m’as pas amené de rations, tu as essayé de m’empoisonner !

Reynald afficha une expression contrariée.

— Tu es un ingrat ! Tu étais affaibli depuis notre dernière réunion, je t’apportais seulement un remède pour te remettre sur pieds !

— Je le rejoins ! ajouta Syvën, glacial. Tu sais que nous sommes en pénurie depuis cet incendie, et toi, tu as osé jeter ce que nous t’avions servi, alors que tu es nourri à l’œil ! Tu mériterais de mourir pour ce gâchis !

— Vous n’êtes que des ordures ! s’emporta le jeune homme. Je trouve que vous surveilliez un peu trop les réserves de nourriture, justement !

— Ta mauvaise foi ne te permet pas de nous accuser de quoi que ce soit, menaça Reynald.

Serymar perçut un mouvement du côté d’Elma.

— Surtout, pas un mot et aucun geste, lui ordonna-t-il par télépathie sans bouger de sa position.

Elma fut incapable de rester neutre. L’indignation la prenait, mais au moins resta-t-elle silencieuse. Serymar se coupa aussitôt de ses pensées. Il ne tenait pas à entendre ses supplications d’épargner ses homologues.

— Maître, suggéra Syvën. La situation est désespérée. Dans notre situation, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ceux qui sont en meilleur capacité pour survivre. Les autres… les autres ne feraient que précipiter la mort de tout le monde, à commencer par Karel.

— Oui, confirma Erik. Il vaut mieux faire le moins de sacrifice possible, pour assurer la survie du plus grand nombre.

Serymar estima qu’il en avait assez entendu. Il se tourna vers Elkor.

— J’ai à discuter avec toi. Vous autres, j’exige votre présence à la serre dans l’heure, devant la porte des cachots. Exécution.

***

Serymar faisait face à Elkor, les bras croisés et appuyé contre la table centrale.

— Nous sommes partis sur de mauvaise bases, Elkor, commença-t-il posément.

Son interlocuteur fut surpris par ses paroles.

— Maître ! Vous voulez dire que…

Si Serymar ne pouvait pas mentir ouvertement, il pouvait jouer sur les apparences. Il ne répondit rien et conserva sa posture.

— Oui, c’est vrai, reprit Elkor. Il serait bon de passer à autre chose.

— Eh bien. Je désespérais de vivre ce jour où nous serions enfin d’accord.

— Vraiment ?

— Oui. Vraiment. Je vais même te faire une faveur…

Il marqua une courte pause alors qu’il se redressait et s’approcha d’Elkor.

— L’inconvénient des pactes, c’est qu’ils te font agoniser. Je préfère les morts rapides. Je vais te laisser une chance en t’offrant de te tuer.

Elkor blêmit soudain, pris par surprise et recula.

— Maître ! Vous vous trompez sur mon compte !

Serymar le fusilla du regard. Soudain, Elkor tomba à genoux sur le sol en gémissant de douleur, blême, plié en deux. Ses veines gonflèrent au niveau de son abdomen.

— Comment faites-vous ça ? cria-t-il, terrifié.

— Magie de l’eau, mon cher, répondit Serymar avec nonchalance. Chaque corps vivant en contient. Tu le saurais, si tu avais passé ton temps plus intelligemment qu’en complotant contre moi.

— Arrêtez ça !

Serymar fit exploser ses vaisseaux sanguins et le sang d’Elkor se répandit sur le sol.

— Je n’ai d’ordre à recevoir de personne, et encore moins de ta part.

Affolé, Elkor eut du mal à garder contenance. Serymar se redressa, s’accroupit à sa hauteur et le saisit par ses cheveux courts afin de plonger son regard dans le sien.

— Il était une fois, une orpheline esseulée, vendue au plus offrant comme un vulgaire trophée. Mais personne n’était à la hauteur de sa valeur. Une jeune fille qui a payé très cher d’avoir osé la défendre. Un jour, elle croisa la route d’un monstre, qui ne se comporta pas mieux que ses tortionnaires en décidant à sa place.

Convulsé de douleur, Elkor devint fébrile et serra les dents de rage.

— Et pour couronner le tout… Cette enfant en portait un autre !

Serymar repoussa Elkor avec violence. L’homme se tapa la tête contre un meuble. Le Mage se releva et serra les poings de colère. Elkor hurla de douleur lorsque son sang se répandit de plus belle.

— Arrêtez !

— Tu ne subiras jamais autant que ce qu’elle a souffert sous mes yeux.

— Non, pitié !

— Les gens comme toi ne comprenez que cette manière.

Elkor hurla, pris de convulsions sur le sol. Après cette dernière vague, le souffle court, du sang ruisselant entre ses jambes, il releva le regard vers Serymar.

— Tu l’aurais vue serrer les dents pour s’empêcher de hurler… Tu l’aurais vue prendre encore sur elle pour ne pas céder à la folie qui la gagnait. La voir éprouver de la honte, alors qu’elle n’était pas fautive, me donnait des envies de meurtre.

Pétrifié, Elkor fut incapable de répondre. Serymar lui jeta un poignard comme il se débarrasserait d’un déchet.

— Alors maintenant, fais comme elle. Relève-toi en dépit de la douleur et défends ta misérable vie.

Elkor saisit l’arme.

— Tu me révulses.

***

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