Chapitre 31 - 2

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  Serymar rejoignit l’étage où étaient regroupés ses derniers serviteurs, Orën et Raël. Enorën devait être occupé ailleurs. Le Mage leva les yeux au ciel devant la scène qu’il trouva affligeante. Deux adultes autour d’un enfant prostré et en colère. Cette attitude défensive de Karel avait toujours été l’expression d’une détresse parfois intense lorsqu’il se confrontait à la non-compréhension des autres, exacerbant sa sensibilité. Son Apprenti en était arrivé à un tel point de saturation qu’il avait développé un bouclier psychique autour de lui pour se garantir un périmètre de sécurité qui empêchait quiconque de le toucher. Les Sans-Pouvoirs présents, en tout cas. Le Mage sentit son agacement augmenter. Cette situation était pourtant à leur portée. Mais ils n’avaient jamais pris la peine d’apprendre la langue des signes.

  Serymar allait devoir prendre sur lui pour tous les remettre à leur place, et surtout, leur mettre le nez dans leur stupidité. Ces Sans-Pouvoirs pensaient que leur Maître allait s’en sortir avec de la magie ? Aucunement. Serymar comptait seulement sur les mots.

  Les deux hommes le laissèrent passer. Recroquevillé contre le mur, les genoux remontés et entourés de ses bras, Karel ne bougeait pas et évitait tous les regards, en colère, mais surtout mal à l’aise. Le Mage pouvait comprendre. Il n’y avait rien de pire que de se sentir acculé et dévisagé de cette manière.

  Lentement, Serymar tendit une main devant lui et ressentit le bouclier psychique que Karel s’était créé. Il couvrait un trop grand périmètre, ce qui était encore de l’énergie inutilement dépensée, mais le résultat lui parut prometteur.

  Serymar s’accroupit et claqua des doigts pour capter l’attention de Karel. Le petit garçon releva la tête vers son Maître mais se détourna aussitôt, mal à l’aise. Karel se renfrogna, alors que la douleur comprimait son cœur. Bien que Serymar comprenait son sentiment, il ne comptait pas approuver ce comportement. Karel serait confronté toute sa vie à cette réalité. Il devait apprendre à y faire face. Le monde ne s’adapterait pas à lui.

  Karel le fixa avec un fond de reproche dans les yeux. Serymar comprit ainsi que son Apprenti avait déjà compris le discours qu’il allait lui tenir. Un discours qu’il trouvait injuste.

— « Que se passe-t-il ? Réponds-moi. », ordonna-t-il, même s’il se doutait déjà de la réponse.

  Karel décida de fuir son regard.

« Tu n’oses pas admettre que ton attitude a été stupide ? C’est un bon début. »

  Au moins avait-il le mérite de s’en rendre compte, contrairement à ses serviteurs. Serymar trouvait la situation risible. Qu’un enfant de huit ans se conduise comme ça, il pouvait le concevoir, mais des adultes… il attira à nouveau l’attention de Karel.

— « Explique-toi. », lui exigea Serymar, peu désireux de s’attarder sur le problème.

  Karel jeta un œil sur tout le monde et fit quelques signes. Il refusait toujours de répondre, du moins, il précisa qu’il ne souhaitait pas le faire devant les autres. Serymar manqua de lever les yeux au ciel. Pourquoi était-ce à lui de s’occuper de ces futilités puériles ?

— « D’accord. »

  Karel lui demanda une confirmation. Rien qu’eux deux ?

— « Rien que toi et moi, oui », signa le Mage en se relevant. « Maintenant, retire ta barrière. »

  Karel dût fournir un certain effort, mais cela ne lui prit finalement pas plus de quelques secondes. Il se releva, les yeux rivés sur le sol.

  D’un regard glacial, Serymar ordonna aux autres de rester sur place. Puis il suivit Karel jusqu’à une pièce un peu plus loin.

  Une fois arrivés, Serymar ne ferma pas tout à fait la porte, histoire que les autres puissent être témoins, même de loin : ils n’entendraient aucun son de magie. Aucun son de force brute. Cela fait, il s’avança dans la pièce jusqu’à deux fauteuils disposés autour d’une table basse rustique. Il s’assit dans l’un d’eux et retint un soupir de soulagement à cause de sa jambe. Il invita Karel à prendre place en face de lui. Un énième ordre qui ne tolérait ni contradiction ni perte de temps. Karel obéit.

— « Maintenant, explique-toi. Pourquoi n’as-tu pas fait ce que l’on te demandait ? »

  À contrecœur, Karel raconta qu’Elma lui manquait, qu’il en avait assez de la voir triste depuis des jours sans savoir pourquoi. Serymar le laissa lui exprimer sa petite mésaventure dans les cuisines qui, en effet, aurait pu le blesser gravement. Au moins, Karel ne geignait pas, contrairement aux adultes. De plus, cette fois, il eut le courage de le regarder dans les yeux.

— « Ils ont voulu te protéger, Karel. »

  Quant à son Apprenti…

— « Tu as eu une attitude stupide et une réaction inadaptée. » lui reprocha Serymar avec les gestes adéquats. « Tu aurais dû réfléchir avant de t’emporter, tu es bien plus intelligent que ça. Même si vous ne vous comprenez pas, il y a toujours un moyen de faire savoir ce que tu veux. »

  Karel baissa la tête. Serymar capta de nouveau son attention.

— « Dès que tu sortiras de cette pièce, tu iras présenter tes excuses à mon personnel. »

  Karel exprima une mine contrariée, trouvant la décision injuste. Il fit signe à Serymar qu’il n’avait pas tous les tords, que c’était de leur faute aussi. Il lui expliqua qu’il s’était toujours senti mal à l’aise en leur compagnie, parce qu’il n’avait jamais saisi pourquoi ils ne se comprenaient jamais, alors qu’il y parvenait très bien avec Elma et Serymar.

« La façon de traiter la différence dans ce monde est décidément toujours aussi dévastatrice… », déplora le Mage en fixant Karel. « Finalement, tu n’en es pas plus épargné ici qu’ailleurs. »

  Il lui fit signe qu’il comprenait sa réaction et le pria de le laisser régler cette histoire lui-même.

— « C’est mon rôle, Karel. Pas le tien, de remettre les choses à leur place ici. » lui précisa-t-il.

  Karel obtempéra, n’ayant de toute façon pas le choix.

« Bon garçon. »

  Satisfait, ils se relevèrent. Une fois dans le couloir, le Mage resta sur place, s’appuya négligemment sur une épaule contre le mur et croisa les bras. Il fixait le moindre mouvement de son jeune Apprenti qui se dirigea vers les deux hommes. Il vit avec satisfaction Karel exécuter sa demande pour ensuite disparaître magiquement. Le Mage se servit de ses sens afin de pouvoir le localiser et vérifier s’il n’était pas dans la zone.

— Que lui avez-vous fait ? osa Orën.

— J’ai seulement discuté avec lui.

— Comment… tenta Raël. Il est impossible de communiquer avec lui ! Le silence permanent n’aide pas en ce sens…

  Serymar le fixa.

— Tu me déçois, Raël, tu m’as habitué à mieux. Tu ferais mieux de te réveiller avant que je sois convaincu de m’être trompé sur ton compte.

  Raël se mordit les lèvres.

— Pour vous répondre… J’ai seulement utilisé un moyen accessible même pour des Sans-Pouvoir comme vous, reprit Serymar. Comment cela s’appelle, déjà ? Ah oui… un cerveau.

  Orën ouvrit la bouche pour contester mais Serymar l’en dissuada d’un regard.

— Que je ne sois plus dérangé par ce genre d’idioties de votre part. Le prochain qui prend Karel pour un imbécile devra en payer les conséquences. Maintenant, retournez à votre travail !

  Les deux hommes ne se firent pas prier et détalèrent. Serymar resta un petit moment sans bouger et expira pour extérioriser son agacement. Au moins, ses subordonnés n’avaient pas attendu pour l’avertir d’un problème, cette fois. Le message de la dernière fois était bien passé.

« À ton tour, Elma. »

  Serymar disparut.

***

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