/!\ Chapitre 32 - 2 [F]
Il se traîna, longtemps. Sa jambe gauche n’était plus capable de le soutenir. Son long manteau se collait sur ses plaies encore béantes. La douleur l’électrisa et le fit s’effondrer. Le demi-elfe trembla de rage. Personne pour l’aider. Aucune main tendue. Au moins l’avait-on enfin débarrassé de ces maudites chaînes, même si cette nouvelle ne le réjouissait pas : l’adolescent avait vite appris que ces moments de fausse liberté dissimulaient une chasse pour permettre aux elfes de s’entraîner sur lui. Se relever. Il devait absolument se relever. Chacune de ses inspirations faisait irradier le feu de ses blessures, notamment celle de sa hanche.
Il n’aurait aucun répit, personne n’attendrait que son corps se régénère. L’Ancien ne lui laisserait pas le temps de récupérer. Bien au contraire.
À peine y songea-t-il qu’il sentit une présence se ruer sur lui. Il puisa aussitôt dans ses dernières forces pour se créer un bouclier psychique. L’Ancien était déjà là.
Le vieil elfe perça sa barrière avec son grand bâton. Le demi-elfe le ressentit comme si l’Ancien tentait de lui perforer la cage thoracique. Son échec n’étonna guère l’adolescent. Il était si épuisé que cela s’en ressentait sur ses tentatives d’attaque et de défense. Avec effort, il déplaça son bouclier invisible afin de détourner la trajectoire de l’arme pour l’empêcher d’atteindre ses yeux. Le demi-elfe s’en saisit et tenta de l’arracher des mains de son possesseur. Il savait ce que l’Ancien voulait : qu’il se batte comme s’il allait mourir. Ce qui était très proche de la réalité.
Sans surprise, l’Ancien lui opposa une forte résistance. L’adolescent changea de stratégie : au lieu de tirer, il repoussa brusquement l’arme pour la retourner contre le visage de son adversaire. L’Ancien esquiva, bien qu’il perdît légèrement l’équilibre. Le demi-elfe parvint enfin à récupérer la haute canne et fit trébucher son adversaire. Il profita de cette fraction de seconde que l’Ancien fut à terre pour abattre le bâton sur sa nuque en espérant la briser. Précisément comme on lui avait fait un nombre incalculable de fois pour l’immobiliser.
Une main ridée attrapa l’autre bout de son appui à temps et l’Ancien se releva. Il toisa l’adolescent d’un œil dur.
— C’est tout ce que tu sais faire ?
Une intense frustration saisit le demi-elfe. Il aurait tant voulu hurler dans l’espoir de ne pas se laisser submerger par la folie du désespoir. Entre sa blessure à la hanche et les mutilations opérées sur sa jambe gauche, il ne tenait plus debout. L’Ancien avait-il conscience de ce rapport de force absolument inéquitable ? Oui, évidemment…
— L… Lâche ! grinça-t-il avec haine.
— Tu ne vaux même pas la peine que je te traite de vaurien. Ce nom serait te faire trop d’honneur. Même la vie d’un vaurien a plus de valeur que la tienne !
L’adolescent sentit son cœur se serrer en songeant qu’il n’avait rien demandé, qu’il ne comprenait pas pourquoi il était condamné à cette vie. Il avait pourtant l’habitude de ces mots. Pourquoi cela l’atteignait encore ? Sa prise s’affaiblit alors que le mot « vaurien » noyait ses pensées.
L’Ancien posa le bout de son arme sur le torse du demi-elfe et le frappa avec violence. Il l’acheva aussitôt en ajoutant un coup dans sa gorge.
À terre, les mains autour de son cou, l’adolescent tenta de retrouver son souffle, mais son corps refusait de lui obéir : il ne parvenait plus à se relever. Il avait perdu trop de sang. Ses vertiges devinrent plus violents. Résigné, il ferma les yeux et attendit le coup fatal en sentant l’Ancien s’approcher de lui. Le demi-elfe espéra que ce coup lui terminerait sa journée. Il pria pour que celui-là l’achève de manière définitive.
— Dis-le, ordonna soudain l’Ancien.
Alors que l’adolescent luttait pour maintenir sa conscience en place, il parvint à serrer les dents pour s’empêcher de parler. Il savait ce que l’Ancien cherchait. Jamais l’adolescent n’implorerait ses tortionnaires de cesser. Cette infime force qui le motivait à lutter était la seule chose qui lui restait et qu’il avait encore pour lui. La seule chose qui le définissait. Il redoutait le vide qui l’attendait si les elfes le dépossédaient de cette dernière volonté. Ils avaient brisé son corps, son esprit et anéanti ses espoirs. L’adolescent s’exhorta à lutter pour préserver cette ultime volonté. Un jour, il s’en sortirait et se vengerait.
— Dis-le ! l’exhorta l’Ancien avec force. Parfois, il faut savoir admettre que l’on n’arrivera pas à obtenir ce que l’on désire.
L’adolescent se mura dans le silence. L’Ancien le souleva par la gorge. La large capuche du demi-elfe révéla son visage à la peau cendrée et ses longs cheveux noirs. Le vieil elfe enfonça ses doigts dans la gorge de sa victime et plongea ses yeux froids dans les siens.
— Admets-le. Tu n’es rien. Arrête de lutter.
L’adolescent s’entêta. L’épuisement le gagnait, chacun de ses membres était devenu aussi lourd qu’un amas de pierres. Son corps ne répondait plus à sa volonté. Il se sentait se vider de son sang tel un animal égorgé vivant.
— Tu n’as qu’un seul mot à dire. Un seul mot, et tu cesseras de souffrir. Dis-le !
— Je…
L’Ancien étira un sourire carnassier.
— Bien. Vas-y. Supplie-moi de t’épargner.
— V-vous…
Le vieil elfe ouvrit brusquement ses doigts et le corps de l’adolescent s’écroula à ses pieds. Les marques de ses doigts étaient encore visibles sur la peau de sa victime. Le demi-elfe lui darda un regard incandescent, la respiration difficile. Il avait encore perdu le combat.
— Je. Vous. HAIS ! articula-t-il avec difficulté.
L’Ancien le foudroya du regard.
— Tu n’es qu’un imbécile.
Un violent coup de canne écrasa sa nuque blessée. Son système nerveux n’en supporta pas plus et il sombra dans l’inconscience.
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