Chapitre 34 - 2
Elma lâcha un cri de frayeur lorsqu’une présence apparut dans son dos. Une main blanche se plaqua immédiatement sur sa bouche pour la protéger du pacte du silence. Karel pouvait être dans les parages.
— Tais-toi, si tu tiens à la vie. Et ne te retourne pas.
« Par les Dragons, est-ce vraiment nécessaire d’apparaître dans le dos des gens comme ça ? »
Elle observa sa main se mouvoir sous ses yeux. Il en tomba une fine chaîne en argent, dont Serymar saisit l’autre extrémité de sa main libre avant de le lui attacher derrière sa nuque. Intriguée, Elma aperçut un pendentif de belle facture sur sa poitrine : un dragon à sept têtes, une par Dragon fondateur, fidèle à chacune de leur couleur.
— J’ai fait avancer les choses, déclara le Mage en relâchant le tout. Les prochains jours risquent de s’avérer dangereux. Ce talisman ne te protégera pas, mais si un danger s’abat sur toi, je le saurais aussitôt.
— Vos ennemis vous ont retrouvé ? s’inquiéta Elma.
— Pas encore.
— Alors pourquoi…
— Simple mesure de précaution.
Elma comprit qu’elle n’en saurait pas plus à ce sujet.
— J’ai surtout du mal à croire que vous possédez un tel objet de valeur, admit Elma. Plusieurs fois, nous avons eu besoin d’argent pour subvenir à nos besoins. Vous en auriez tiré un excellent prix. Pourquoi ne pas vous en être servi ?
— Je le possède depuis très longtemps, et c’est un objet puissant et inestimable. Je ne peux le céder comme une vulgaire babiole.
— Vous n’êtes pourtant pas issu d’une noble lignée… comment cet objet s’est-il retrouvé entre vos mains ?
— Ce talisman symbolise le Pouvoir Universel. Il est unique. Bien manipulé, on peut l’enchanter comme on le souhaite et le sortilège attribué deviendra particulièrement efficace.
— Cela ne répond pas à ma question.
Serymar observa un long silence, sans doute ennuyé de ne plus parvenir à esquiver ses questions. Il finit par céder :
— Les Dragons.
Stupéfaite, Elma fit volte-face, n’en croyant pas ses oreilles.
— Comment cela… ?
— Je n’ai pas toujours été en froid avec eux. J’ai tenté leurs épreuves, à l’époque. J’avais quelques années de plus que Karel, mais j’étais encore plus immature que lui.
— On dit que ceux qui parviennent jusqu’à eux obtiennent des pouvoirs fabuleux. Cela signifierait que vous avez bénéficié de leurs dons ? Est-ce là, l’origine de vos pouvoirs ?
Court silence. Le Mage soupira.
— Non. J’ai refusé à chaque fois. Je suis né directement avec, et j’ai estimé que j’en avais déjà bien plus que nécessaire. Quelle utilité d’en vouloir davantage, Elma ?
La jeune femme le dévisagea. Il devait se demander pourquoi cette évidence ne s’imposait pas dans l’esprit des autres.
— J’avais oublié que vous ne raisonniez pas comme la majorité, lui répondit-elle. Veuillez m’excuser. Mais dans ce cas, puis-je me permettre de savoir ce qu’ils vous ont donné ?
— Elma, d’où penses-tu que je tienne la majorité de mon savoir ? s’impatienta Serymar.
Elle fut abasourdie.
— Parce qu’en plus, vous les avez côtoyés pendant un certain temps ?
Peu de personnes pouvaient s’en vanter. De ce qui se racontait, les rares échanges avec les Dragons ne duraient jamais plus de quelques heures. Depuis la malédiction, cela ne s’était plus jamais reproduit.
— Le savoir dans cette partie de Weylor reste limité. Certaines personnes encore aujourd’hui n’y ont pas accès. J’étais de ces personnes pendant longtemps. Lorsque j’ai pu y accéder, j’ai été fort déçu de découvrir à quel point c’était… restreint. Alors je suis simplement allé voir ailleurs.
Elma ne laissa pas paraître grand-chose. Elle demeura impressionnée, même si au fond d’elle, connaissant le tempérament de son Maître, ce n’était peut-être pas si étonnant.
— En effet, lui fit-elle. Il fallait vraiment être immature pour se dire qu’il était normal d’affronter les dangers des Tours pour aller les voir.
— Tout le monde passe par l’âge idiot où on croit tout savoir. Je n’ai pas fait exception.
Elma se garda de toute réflexion.
« À d’autres. Vous n’êtes pas assez bête pour risquer votre vie pour étancher une soif de connaissance. Vous avez dû faire ce voyage pour une autre raison. »
Elle n’était cependant pas certaine qu’il soit disposé à répondre à cette question. Elle préféra dévier le sujet.
— Qu’avez-vous donc fait pour attiser leur colère ? J’ai du mal à croire que cela ne puisse concerner que votre simple existence.
Il avait bien dû se passer quelque chose pour que leur entente en pâtisse au point où Serymar devait se faire discret. Elma repensa à ce terrifiant souvenir où il avait accusé les Dragons d’être à l’origine de son malheur, juste après avoir saccagé une salle entière.
Serymar eut un rictus nerveux.
— J’ai décimé un peuple entier, et ils n’ont que très peu apprécié.
« Pourquoi ne suis-je pas étonnée ? »
— Vous en parlez comme d’une banalité… ce n’est pourtant pas rien.
— Je te l’ai dit. J’étais jeune, idiot et immature. J’ai cédé à l’appel de la vengeance comme un Apprenti. Les Dragons sont des créatures orgueilleuses et rancunières. Mais qu’importe mes crimes. Si j’ai bien appris une chose, c’est que je ne peux être partout à la fois. Les lieux risquent de devenir dangereux dans les prochains jours. Au moins, avec ça, je serais certain de préserver ta vie. Si j’agis aussi secrètement avec toi, ce n’est pas pour que tu montres ce talisman à tout le monde. Alors dissimule-le. Il s’agit d’un prêt.
— Vous ne pouvez pas me céder quelque chose d’aussi précieux comme ça. Surtout pas après avoir déployé tant d’efforts pour l’obtenir, contra Elma avec douceur.
L’expression de Serymar s’assombrit et la jeune femme se laissa surprendre par la lueur d’angoisse qui passa dans son regard.
— Je fais ce que je veux. Je ne referai pas la même erreur qu’autrefois. Si quelqu’un doit te tuer un jour, ce sera moi, et personne d’autre. Rien ne pourra briser ce serment. Jamais.
Elma n’osa pas en rajouter et cacha le bijou à l’intérieur de son corsage. Elle ne manqua pas de noter la manière de parler de son Maître : il soliloquait plus qu’autre chose. Un ton déterminé comme si, dans une autre vie, il avait échoué dans une situation plus ou moins similaire. Il le lui avait confirmé pendant qu’il était malade. Elle préféra ne pas répondre afin de ne pas accentuer son malaise.
« Que s’est-il passé il y a cent ans, Maître ? Qu’est-ce qui vous a affecté à ce point ? J’aimerai tant que vous me parliez, autant que vous m’avez écoutée et soutenue. »
Elma se contenta d’afficher un léger sourire. Elle en était plus que certaine : sa vie était assurée. Si elle devait s’éteindre un jour, elle ne souffrirait pas. Le dernier visage qu’elle verrait serait le sien, tel un gardien.
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