Chapitre 35 - 3
Karel s’enfuyait, incapable de contrôler le torrent d’émotions qui le submergeait. Il se sentait si faible, si vulnérable. Désespéré, il se téléporta à plusieurs reprises jusqu’à ce que ce maudit château ne devienne qu’un petit élément du décor au loin.
Tout avait été faux. Tous ces moments passés… tout n’avait été qu’illusion. Une prison. Il comprenait seulement qu’il était en grave danger et encore plus seul que jamais, livré à lui-même alors qu’il ne connaissait rien du monde. Lorsque Karel repensait à ses capacités actuelles, il comprit que s’il était encore en vie, c’était seulement parce qu’on l’avait bien voulu. Il se souvint que l’on s’en était déjà pris à lui. Ce souvenir ne faisait que confirmer cette terrible réalité qu’il découvrait.
Pourquoi avait-il été tant entraîné ? Ce monde par-delà les montagnes était-il si dangereux que ça ? Le Mage lui avait menti et manipulé pendant toutes ces années. Il avait donc sûrement menti aussi à propos de ce monde dont il l’avait coupé.
Il fit une courte pause, haletant, et risqua un œil derrière son épaule : personne ne le poursuivait. Karel trouva cela étrange, surtout après avoir croisé le regard du Mage dans le couloir. La logique ne voudrait-elle pas qu’il soit poursuivi ?
Des halos lumineux explosèrent près du château. L’un ressemblait à un volcan en éruption. Un duel de magie. Un combat, si violent que le fracas se ressentait jusqu’à sa position.
Un sentiment confus anima l’adolescent. Une vive inquiétude l’assaillait à l’idée de voir son entourage en danger de mort. L’étaient-ils déjà ? Karel se rappelait avec douleur qu’il s’était profondément attaché à une énorme illusion, créée pour mieux déguiser une réalité plus sombre. Les hommes qui l’évitaient. Radôn mort dans la souffrance sous ses yeux. Lorn qui avait tenté de le tuer. Ces autres hommes, disparus du jour au lendemain sans laisser de trace. Elma qui pleurait de douleur. Les bras recouverts de sang de Serymar, dévoilant l’assassin en lui.
Ses yeux s’embuèrent. Karel les essuya d’un revers de manche, le cœur en pièces. Son repère. Un repère qu’il n’avait en réalité jamais eu. Karel se sentait déboussolé. Mieux valait s’éloigner. Il ne pouvait pas revenir en arrière, son Maître ne le lui pardonnerait jamais. Lui-même ne se sentait pas capable de le faire. S’il restait, il s’autodétruirait. Tout ce qu’il avait appris était-il destiné à le transformer en assassin ? Karel fut terrifié à cette idée. Il se morigéna : jamais il ne suivrait cette voie.
Karel risqua un œil au-delà des montagnes et frissonna. Il ne connaissait rien du monde extérieur. Mais plus question de retourner en arrière. Il ne le pouvait pas, c’était trop tard. Karel savait que quelque chose s’était brisé, plus rien ne serait jamais comme avant. Il ne se sentait plus capable de faire confiance à Serymar et de le suivre.
Son regard avisa la chaîne de montagnes sombres. Peu importait ce qu’il y avait de l’autre côté. Si tout n’avait été qu’illusion, alors Serymar avait sûrement tort : le monde extérieur pouvait l’accueillir, il s’en sortirait.
Karel continua à user de sa magie pour disparaître et se téléporter le plus loin possible. Pour recommencer. Encore et encore, conscient qu’en cet instant, il perdait tout. Tout ce en quoi il croyait, toute sa réalité, sa sécurité, son sanctuaire, sa « famille », ses valeurs. Il n’avait plus rien.
Une puissante explosion secoua la terre. Karel se retourna et se figea de terreur devant le spectacle qui s’offrait à lui. Au loin, une vague de magma déferla sur le château dans lequel il avait grandi. La douleur que Karel ressentait se décupla. Ses yeux le brûlèrent alors qu’il peinait à réaliser ce qui se passait. Il s’imagina sans mal l’horreur que devait vivre son ancien entourage. Il en eut le vertige.
Une déflagration tonitruante fit trembler le sol et Karel, déjà sonné par ces dernières heures, glissa et bascula de l’autre côté du versant de la montagne. Affolé, il attendit l’impact de sa tête contre la roche, conscient qu’il n’y survivrait pas. Alors que la paroi se rapprochait à une vitesse vertigineuse, une ombre, immense, si grande qu’elle dissimulait les rayons du soleil, le recouvrit et Karel sentit son bras gauche lui brûler. Des griffes faisant au moins trois fois sa taille s’ouvrirent sous ses yeux et se refermèrent sur lui dans un violent impact contre la roche. Les ténèbres enveloppèrent aussitôt l’adolescent, emprisonné dans une surface dure et lisse, incapable de réagir à ce qui lui arrivait, ni de croire ce qu’il pensait avoir vu. Sonné par cet impact, il eut juste le temps d’apercevoir des sillons argentés traverser sa manche et atteindre sa main, juste avant de sombrer dans l’inconscience.
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