Chapitre 36 - 1

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— Préparez-vous à perdre bien plus que l’Enfant de la Prophétie, maudit bâtard !

  Phényxia invoqua une vague de magma qui s’abattit sur le château déjà calciné. La terre s’embrasa. Une explosion de lumière la repoussa. Un bouclier lumineux entourait le château. Phényxia afficha une expression visiblement contrariée et fixa le Mage avec fureur. Nimbé d’un éclat de lumière provenant du bout de sa main tendue vers le ciel, les pans de sa tunique et sa cape fouettaient ses jambes. Son bouclier tenait en respect les dernières vagues de magma à une distance respectable.

— Comment… même pour quelqu’un de votre trempe, c’est impossible ! gronda-t-elle.

  Serymar abaissa son bras. Discrètement, il fit disparaître la petite écaille noire aux contours rubis qu’il tenait. Il afficha une expression moqueuse et n’hésita pas à toiser Phényxia.

— Écailles de Dragons, ma chère.

  Il s’arrêta sur cette révélation. Au regard furieux de Phényxia, il sut qu’elle avait parfaitement compris où il souhaitait en venir, bien qu’incapable de deviner comment il avait pu procéder. Rien de mieux que la frustration pour manipuler une situation à son avantage. Les Clans, de par leurs violences et leurs mœurs, s’étaient toujours vu refuser l’accès aux Tours depuis des siècles. Une décision des Dragons que Serymar partageait malgré leurs différends.

— Impossible ! cracha-t-elle. Même les pathétiques êtres qui ont remporté les épreuves des Dragons n’ont jamais eu droit à ce privilège !

  Le Mage décida cette fois de ne pas répondre. S’il était parvenu à lui faire perdre ses moyens, il ne ferait pas l’erreur de la sous-estimer. Derrière ses airs provocateurs et sa vulgarité, elle n’était pas devenue Cheffe de Clan pour rien. Elle était bien plus rusée que ce qu’elle affichait au premier abord. Serymar ne se faisait plus avoir par ce genre de façade. Phényxia était dangereuse. Il la soupçonnait même de jouer un double-jeu avec Œil-de-Sang, et comptait bien en tirer parti.

  Serymar se permit un discret soupir de soulagement. Si son stratagème avait fonctionné, cela signifiait qu’Elma était bel et bien rentrée. Son enchantement à distance sur son talisman avait fonctionné.

— C’est frustrant, n’est-ce pas ? la nargua-t-il encore.

  Ce faisant, il se déplaça avec lenteur afin que sa jambe ne se dérobe pas et se composa une façade nonchalante pour faire face à Phényxia. Cela faisait plusieurs années qu’il avait trouvé bon nombre de stratagèmes pour dissimuler cette vieille séquelle en les intégrant dans des gestes anodins. Serymar payait aussi son brusque recul quelques instants plus tôt. En même temps, cela faisait gagner du temps à Karel. Tant que Phényxia restait concentrée sur lui, Karel pourrait mettre autant de distance que possible. Ce genre de personnalité aimait se vanter et perdre son temps en palabres. Serymar comptait bien en jouer.

— Vous, les Clans, ne pourrez jamais accéder à un tiers de ce pouvoir. Les Tours vous sont scellées à jamais.

  Il marqua une courte pause avant de fixer Phényxia et se fit menaçant.

— Je le répète. Je serais fort contrarié si vous vous entêtez à abîmer mes affaires. Et croyez-moi, vous ne souhaitez pas que je me mette en colère.

— On y arrivera. L’Enfant n’est plus vôtre !

  Une salve de magie flamboyante fondit sur lui. Serymar croisa brusquement les bras et contra avec un bouclier psychique. Le sol trembla, soulevant d’épais nuages de cendres et de terre brûlée, creusant de profondes tranchées tout autour d’eux.

  Tout était en place. Il ne s’en faisait pas trop pour Karel. Il l’avait suffisamment entraîné pour lui permettre de s’en sortir. Il avait seulement appris la vérité sur sa condition beaucoup plus tôt que prévu.

  Phényxia devint flammes et se dirigea à grande vitesse sur son adversaire. Serymar sut qu’il ne pourrait esquiver. La cheffe de clan allait lui porter un coup fatal. Il attendit précisément la micro seconde où elle reprit sa forme initiale en faisant exploser ses flammes, juste sous son nez. Serymar recula d’un pas, recouvrit ses bras d’un halo magique tranchant et les croisa devant lui. Il écarta les bras comme s’il manipulait deux lames à la fois. Une exclamation rageuse se fit entendre. Le Mage recula de quelques pas afin de rétablir une distance respectable avec son adversaire et annihila ses épées de vent.

  Le visage blessé, Phényxia trembla de rage. Une plaie en forme de croix partait de ses tempes et ruisselait jusqu’à sa gorge gracieuse. Son regard jaune le foudroya.

  Incapable de courir, Serymar se téléporta pour apparaître à la hauteur de son adversaire et dégaina la dague pour la lui planter en plein cœur.

  Phényxia évita de justesse la lame fatale. Elle pivota rapidement dans le dos du Mage, prête à le carboniser sur place. Une main arrêta la sienne, ses griffes pénétrèrent dans ses veines, coupant le sort en préparation. Le Mage immobilisa son autre main.

  Ils étaient proches, elle le fusillait du regard alors qu’elle luttait par la force brute.

— À quoi vous attendiez-vous en venant me défier ? lui assena Serymar d’une voix glacée. Voyez le pouvoir dont je dispose. Alors faites ce que je vous demande, vous en serez largement compensée.

  Un grognement de rage lui répondit, mais la prise se relâcha. Phényxia s’éloigna à bonne distance et le toisa avec une expression haineuse.

— Je vois… cette rumeur est donc vraie.

  À son expression, le Mage comprit qu’elle admettait de très mauvaise grâce qu’elle ne gagnerait pas contre lui. En tout cas, pas avec ses pouvoirs actuels. Elle trouverait sûrement un moyen pour se venger.

« Parfait. »

  Rien de mieux que toucher l’ego des personnes imbues d’elles-mêmes. Par fierté stupide, elle se mettrait lentement en opposition à Œil-de-Sang. Elle voudrait venger sa fierté piétinée, Œil-de-Sang chercherait à la tromper pour abattre les derniers Dragons. Un jour, ce désaccord créerait des dissensions entre eux et ils deviendraient moins dangereux à affronter. Phényxia disparut via un sort jetable de téléportation en emportant son allié mutilé.

  Serymar demeura de marbre. Il était plutôt satisfait, car son plan se déroulait exactement comme prévu. Ses pions étaient en place. Ne restait plus qu’à attendre, mais cette histoire de rumeur le préoccupait. Serymar savait qu’il s’agissait de ses origines. D’où son secret s’était-il répandu ? Aucun membre de son personnel ne connaissait ses héritages. Cela ne pouvait pas être eux.

« Qui ? »

  Les Dragons avaient déjà essayé de le faire disparaître pour cette raison. L’Ancien ou Œil-de-Sang ? Impossible. Divulguer cette information ne pouvait arranger aucun d’entre eux.

« Les elfes ? Non… je les ai tous tué pour enterrer ce secret avec eux. Et même si certains ont pu survivre, ils redoutaient que cette information sorte de la forêt… »

  Quant à Karel, il ne pouvait désormais plus rien faire, alors que son apprentissage n’était pas terminé. Il n’avait qu’à demi échoué. Serymar usa de ses sens pour le repérer. Non-seulement il le localisa, mais il se raidit lorsqu’il ressentit la présence d’un Dragon. Et pas n’importe lequel.

« Karel ! »

  Des souvenirs de son passé ressurgirent, accentuant son angoisse. Des moments issus du temps où il était à peine entré dans l’âge adulte, quelques temps avant la malédiction. Lorsqu’ils apprirent qui il était, les Dragons avaient tout fait pour le tenir éloigné d’Œil-de-Sang. Une protection étouffante. Serymar n’avait pas supporté de se sentir à nouveau séquestré, et avait succombé à son angoisse lorsqu’il avait appris que cette situation pourrait durer de nombreuses années, tant que son ennemi serait là pour le traquer. Serymar les avait pourtant implorés de le changer d’endroit, de lui accorder ce compromis de se dissimuler dans la Tribu de l’Eau, atteignable uniquement par l’un des leurs, mais où Serymar aurait au moins pu tuer le temps dans leurs archives et leur bibliothèque.

« Ne lui faites pas ce que vous m’avez fait. Vous allez l’achever ! »

  En dépit de son appréhension à l’idée de se retrouver à nouveau en face de l’un d’eux, Serymar se téléporta en direction de la présence du Dragon d’Or. Il ne fut pas difficile à trouver. Le Mage dût se positionner sur un sommet à part de la montagne afin de faire face au Dragon qui semblait l’attendre. Sa taille était telle qu’il occupait toute une plateforme rocheuse et cachait à moitié le soleil.

  Serymar leva la tête vers le ciel afin de rencontrer le regard ambré d’Illuyankas qui le dominait de toute sa hauteur.

— Comme on se retrouve, lui jeta-t-il d’un ton traînant.

Annihiler ton ancienne apparence ne t’a pas tant changé que ça, on dirait, gronda le Dragon.

  Les Dragons n’avaient pas une anatomie adaptée pour parler. Ils communiquaient toujours par l’esprit.

— Une séquelle du sort auquel vous m’avez condamné, répliqua Serymar avec nonchalance. Belle tentative. Vous avez bien failli réussir à me faire mourir, ce jour-là.

  Même s’il en avait souffert comme jamais, le Mage ne regrettait pas : depuis, il disposait d’un corps bien plus valide que le précédent, malgré quelques séquelles qui étaient restées et s’étaient partiellement atténuées avec le temps, grâce aux longues rééducations qu’il s’était imposé.

  Illuyankas le fixa pendant un long moment.

Tu as conscience que quoi que tu fasses, tu ne pourras jamais changer l’avenir ?

— M’éliminer ne fera que retarder l’inévitable. En dépit de la colère qu’il aura envers moi, Karel ne sera jamais capable de tuer qui que ce soit. Ce n’est pas faute de l’y avoir poussé.

Cet enfant doit retourner chez lui.

  Serymar fixa la patte fermée du Dragon. Karel était là, si proche, et pourtant si inaccessible…

— Je sais, répondit-il, résigné.

Ce garçon n’aurait jamais remplacé ta fille.

  Serymar enfonça ses griffes dans sa chair afin de ne pas se laisser déborder par la colère. Il enviait tant aux Mortels leur pouvoir de pleurer pour évacuer la douleur. Lui-même en était physiquement incapable, et sa souffrance s’en retrouvait décuplée. S’il avait pu réclamer un seul souhait aux Dragons, il leur aurait demandé de lui offrir cette capacité. En dépit de ses efforts, son ton se fit aussi glacial que les pires hivers.

— Ainsi, vous saviez. Je me doutais que je ne parviendrais pas à vous dissimuler sa présence. Cela vous rend d’autant plus coupables à mes yeux.

  Illuyankas préféra ignorer la remarque, comme si tout avait été dit entre eux. Serymar était conscient que l’on ne pouvait rien cacher à de tels êtres. Mais il se moquait de ce que le Dragon pouvait bien entendre de ses pensées. Il était certain que des larmes de douleur lui auraient échappé s’il l’avait pu, alors que la disparition d’Aëlys lui revenait en mémoire avec violence.

— Comprends que nous devons malheureusement en arriver là, reprit le Dragon. Depuis que tu es là, Weylor sombre de plus en plus. Ton existence est à l’origine du mal qui nous ronge.

— Ce n’est pas moi qui me suis fait berner par un être avide de pouvoir, riposta Serymar d’une voix venimeuse.

  Le Dragon ne cilla pas. Serymar le soutint sans faillir, tendu et les traits crispés.

— Je ne voulais pas que Karel vive tout ce que j’ai traversé. Ne lui faites pas subir ce que vous m’avez fait.

— Nous ne referons pas la même erreur qu’avec toi. Tu as brisé une famille, nous ferons en sorte qu’elle se reconstruise. L’Enfant de la Prophétie est encore trop jeune pour accomplir son destin. Désormais, nous ferons barrière contre le Traître et les Clans pour lui donner toutes ses chances. Et surtout, loin de toi.

  Serymar fixa encore une fois la patte fermée du Dragon puis se força à s’en détourner.

— C’est peut-être mieux ainsi, en effet.

— Nous nous reverrons.

  Illuyankas déploya ses puissantes ailes et d’un mouvement, il disparut dans le ciel. Serymar dût camper sur ses jambes pour ne pas se laisser emporter par la puissante bourrasque provoquée par le Dragon, qu’il fixa jusqu’à le voir disparaître dans le ciel.

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Suite ===>

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