Chapitre 37 - 1
Il longea le couloir sombre en direction du mystérieux bureau dans lequel le Mage pratiquait toutes sortes d’expériences dont personne n’en connaissait la teneur.
La porte n’était pas scellée, cette fois-ci. Karel s’en approcha et la poussa d’une main, dévoilant un grand espace aménagé avec tout ce qui avait pu être trouvé et sauvé des ravages d’autrefois.
Au fond, un minuscule balcon dont la rambarde était en mauvais état. Le dos tourné, le Mage était à proximité d’une femme.
Karel s’approcha sans aucune crainte. Les adultes le regardèrent. La femme ressemblait beaucoup à Elma, sauf qu’elle avait les cheveux bien plus longs. Ses yeux verts comme l’émeraude le regardaient avec bienveillance.
Karel se sentit sourire, appréciant la simplicité de l’instant. Un fracas le fit sursauter. Ils firent tous volte-face vers la porte.
Dans l’encadrement, une autre femme, dont la beauté n’avait d’égal que la menace qu’elle dégageait. Deux cornes sombres dépassaient de ses longs cheveux flamboyants et encadraient ses yeux ambrés de fauve, et ses bras nus étaient recouverts de tatouages écarlates.
Karel observa le couple et recula. Il était clair qu’il ne pouvait pas grand-chose contre cette ennemie. Un doigt se pointa sur son front. Karel se figea lorsqu’il croisa le regard du Mage. Sa vision se brouilla et son environnement se déforma. Karel voulut rejoindre le Mage, mais une surface dure l’empêcha d’aller plus loin.
Il s’inquiéta lorsqu’il se rendit compte qu’il ne pouvait pas en sortir. Un cristal. Qui s’assombrit de plus en plus. La scène s’estompa peu à peu. Prisonnier, Karel eut beau lutter, il sombra dans les ténèbres.
Karel se réveilla en sursaut et tremblait de tout son corps. Il manqua de succomber à une crise de panique lorsqu’il se rendit compte qu’il ne reconnaissait absolument pas les lieux autour de lui.
Ses derniers souvenirs remontaient à sa chute des Monts de la Mort. Son crâne douloureux lui confirma au moins ce fait. Il avait dû se cogner contre la paroi rocheuse. Karel se demanda pourquoi il n’était pas mort, dans ce cas.
Il se trouvait dans une plaine lumineuse. La moindre couleur était éclatante et chaque élément du décor gorgé de vie. En temps normal, Karel se serait réjoui de découvrir tant de merveilles. Mais son cœur était en pièces et sa peine si grande que tout cela le laissa indifférent. Des larmes de douleur roulèrent sur ses joues lorsqu’il prit conscience qu’il ne sourirait probablement plus jamais de sa vie. Il était seul dans un monde qui lui semblait trop vaste.
Il s’effondra lorsqu’il se souvint que le Mage l’avait trahi. Cet être qu’il avait admiré au point de vouloir lui ressembler. Et cette femme qui s’était tant occupé de lui… l’avait-elle seulement aimé ? L’idée qu’elle aussi ait pu jouer la comédie le brisait.
Au milieu de ses sanglots, il se rappela sa condition véritable. Karel vivait dans un monde où il ne possédait pas le pouvoir de parler, qui semblait commun à chacun. Il était prisonnier de ses pensées, et prendre la mesure de cette réalité le terrifiait. Il avait toujours été seul, manipulé et coupé du monde. Mais dans quel but ?
Karel s’était toujours douté qu’il n’était pas lié au Mage par le sang. Cela ne l’avait jamais gêné outre-mesure, car il avait beaucoup de mal à comprendre le concept de liens familiaux.
Encore ce malaise au creux de ses entrailles. Karel remplit ses poumons pour hurler, mais seule une expiration en sortit.
Ne sachant que faire pour évacuer sa douleur, ses poings s’abattirent sur la terre. Plus basse que ce qu’elle devrait. Karel jeta un œil au sol. Il se trouvait à côté d’une emprunte géante. Karel se releva vivement, le cœur battant. Il osait à peine croire à ce qu’il voyait. Était-ce… était-ce une empreinte de Dragon ?
Il ne put y réfléchir longtemps. Des sons désordonnés attirèrent son attention, et Karel aperçut des remparts au loin, vers lesquels de nombreuses personnes se pressaient. Il se figea. Ainsi, il existait réellement d’autres peuples au-delà des Monts.
Karel dût mobiliser toute sa volonté pour avancer droit devant lui, et davantage pour ne pas retourner en arrière. Devant lui, ces habitations derrière les grands murs. Dans son dos, des bosquets et des plaines.
Aller vers d’autres personnes l’effrayait. Pourtant, Karel avait conscience qu’il ne pouvait pas rester ainsi au milieu de nulle part. Comment devait-il se comporter ? Où devait-il aller ? Que devait-il faire ensuite ? Étrangement, il s’était toujours senti plus à l’aise en compagnie du Mage, et ce malgré sa distance et certaines de ses attitudes pas très encourageantes.
Karel frissonna à ces souvenirs. Il lui était difficile de réaliser que la personne en qui il avait le plus cru était la même à l’origine de son désespoir. Comment savoir désormais si une personne était sincère envers lui ?
Karel s’immobilisa soudain et se dissimula derrière un arbre. Les gens… et s’ils étaient comme les Sans-Pouvoir avec lesquels il avait cohabité ? Le jeune garçon déglutit lorsqu’il se souvint de son agression dans la serre et du mépris dont il avait été victime ces dernières années.
Une sensation désagréable se manifesta au niveau de son ventre. Elle enfla jusqu’à lui comprimer le cœur. Son poing s’écrasa contre un tronc d’arbre, si fort que Karel s’en écorcha les phalanges. Tremblant de rage et de tristesse, l’adolescent ferma les yeux et grimaça lorsqu’il râcla ses blessures contre le tronc pour s’écorcher plus encore. Frustré, il se retira. Même se faire du mal ne suffisait pas à atténuer l’étau autour de son cœur. Son ancienne vie défilait dans sa mémoire, aussitôt brisés par cette terrifiante réalité qu’il avait découvert. Ce qui laissait Karel encore plus confus. Que s’était-il réellement passé aux Monts de la Mort ? Comment était-il arrivé ici ? Il se souvenait seulement d’avoir dégringolé de la montagne. Par logique, il était censé se trouver encore proche des lieux de son enfance.
Karel demeura là pendant de longues minutes à fixer les murs de la ville. Au fond de lui, il ne voulait pas y aller. Mais avait-il d’autres options ? Karel se fit violence pour se remettre à avancer, de plus en plus tendu.
Les silhouettes se précisèrent. Des murs ocres, certains soutenus par des charpentes en bois, le tout surmonté de toits en bien meilleur état que ce à quoi il était habitué. Creusés dans certains murs, il y avait des fenêtres. Ces bâtiments avaient des points communs avec les ruines dans lesquelles il avait eu l’habitude de s’amuser, enfant.
Un brouhaha le tira de ses sombres pensées. Karel leva les yeux vers la source du bruit. Un amas de personnes entrait et sortait par ce qui semblait être une grande arche de pierre surveillée par deux personnes vêtues de métal. Ils scrutaient chaque passant comme pour vérifier quelque chose. Quoi, Karel n’en savait rien, il n’avait même plus envie d’y réfléchir.
Karel resta planté là pendant un bon moment, hésitant. Pourtant, il n’avait qu’à marcher comme ces gens et faire un pas après l’autre jusqu’à les rejoindre. Jamais une action si simple lui parut aussi difficile. Une crainte sourde grandit au creux de son estomac rien qu’à l’idée d’approcher d’autres adultes.
Il effectua un pas. Puis un autre. Et ainsi de suite jusqu’à rejoindre la foule. Le brouhaha se fit plus intense et désagréable pour ses oreilles habituées au silence. Karel se sentit aussitôt envahi par le bruit ambiant, qui semblait résonner dans sa boîte crânienne.
Karel parvint à passer en suivant le mouvement de foule. Personne ne faisait attention à lui, pas même les deux hommes couverts de métal. En tout cas, s’ils l’avaient fait, Karel ne le remarqua pas.
En temps normal, Karel se serait émerveillé de voir ces nombreux bâtiments et toute cette vie qui animait la petite ville. De nombreux visages étaient souriants au milieu de quelques expressions sérieuses.
Son ouïe commençait lentement à s’habituer au vacarme ambiant. Karel continua d’avancer et prit une direction au hasard. Il se sentit très vite submergé. Beaucoup de mouvement et de bruit se concentraient autour de lui, parfois trop proches, cela lui était perturbant.
Karel chercha un coin qu’il espéra un peu plus isolé. Il soupira. Il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire.
Il trouva une rue déserte, étroite et sombre. Voilà qui lui était plus familier. Il s’y engouffra, et inspira en ressentant un semblant de bien-être lorsque le bruit de foule s’atténua. Il se laissa tomber contre un mur et ramena ses genoux contre lui, les entourant de ses bras, le regard vide, droit devant lui. Ses souvenirs refirent surface, il les repoussa. S’il y pensait encore, il allait céder à la tentation de se taper la tête contre le mur dans une tentative désespérée de chasser ces maudites pensées.
Suite ===>
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