Chapitre 37 - 2
Lorsqu’il rouvrit les yeux le lendemain, Karel se sentait engourdi, et un peu gelé, aussi. Il vit une très fine pellicule d’eau sur ses bras. Ses vêtements collaient à sa peau, et avait la désagréable sensation d’avoir le froid incrusté à l’intérieur de ses os. Ses membres étaient raides.
Karel se redressa avec difficulté et constata qu’il avait changé de position pendant son sommeil. Il secoua une main pour se débarrasser de la terre molle et passa son bras sur le visage. Karel leva les yeux au ciel : il semblait avoir dormi toute la nuit, et la journée s’était installée depuis deux heures environ. Le Mage lui avait appris à se repérer dans le temps grâce à la position du soleil et de son ombre. Karel manqua de fondre encore en larmes en repensant à tout ce temps passé à ses côtés. Il inspira : se laisser consumer par sa colère et sa peine ne le mènerait à rien.
Une sensation au niveau de son estomac s’éveilla. Il avait donc faim. Karel se releva, profita de la longueur de la ruelle pour remettre en fonction ses membres engourdis par l’humidité et sa mauvaise posture.
En sortant de la ruelle, il attendit quelques secondes pour laisser ses yeux s’habituer à la clarté des lieux, et son ouïe s’accommoder aux clameurs de la ville. Comment un monde où la vie s’animait pouvait lui sembler aussi hostile ?
Karel finit par sortir. Personne ne faisait attention à lui, et cela l’arrangeait plutôt bien, même s’il se demandait comment un tel prodige pouvait être possible sans se rendre invisible.
Au milieu de la foule, il scruta les environs en quête de nourriture, sans savoir comment s’y prendre. Sa concentration fut perturbée par une succession de bruits forts et répétitifs, accompagnés d’autres sons qui s’enchaînèrent avec plus d’intensité. Le brouhaha semblait se rapprocher. Karel tourna la tête et sursauta en voyant un très grand animal se cabrer en poussant un cri strident. Karel s’écarta aussi vite que son corps meurtri lui permit. Il trébucha sur un pied, se retourna très vite en croisant les bras devant lui en signe de défense.
Il releva les yeux et aperçut un humain mécontent qui lui hurlait des choses incompréhensibles en essayant de calmer la bête attachée à sa cariole. Clairement, cet homme s’adressait à lui, mais Karel ne comprenait rien. Une sensation glaçante le saisit lorsqu’il ressentit le poids de nombreux regards converger vers lui. Des gens aidaient l’homme, d’autres dévisageaient Karel de manière hostile, et d’autres… Il l’ignorait. Tout ce qu’il savait en cet instant, c’était qu’il se sentait comme un animal traqué, sans aucune issue pour s’échapper.
Karel ferma les yeux et se téléporta.
— Et ne t’excuse pas, surtout, maudit garnement ! s’emporta le propriétaire du chariot.
Karel calcula mal sa réapparition et reparut à un mètre derrière la foule. Il trébucha encore et se releva très vite pour prendre les jambes à son cou.
Depuis le coin où il était, Karel prit le temps d’observer la foule, le dos collé contre un mur. Il n’était pas habitué à gérer autant de mouvement autour de lui. Toute cette activité l’embrouillait. Karel se concentra sur son contact avec le mur. Au moins quelque chose qui ne bougeait pas. C’était rassurant. Il avait l’impression d’être redevenu un fantôme.
Des cris, plus loin. Pas de colère, cette fois, cela résonnait plutôt comme des appels. Karel scruta au loin pour voir d’où ça provenait, et il aperçut de nombreux étalages avec une quantité astronomique de nourriture diverses et variées. Les habitants se massaient devant chacun d’eux et se servaient. Karel ne put voir précisément, mais au moins, il avait trouvé de la nourriture. Parfait.
Karel s’approcha, mais cette entreprise se révéla aussi périlleuse que désagréable. Beaucoup de personnes le bousculaient sans le voir, et Karel dût marcher en changeant très souvent de direction. Il ignora les vertiges qui le submergeaient à cause de ce ballet de mouvements difficiles à prévoir et du bruit qui lui donnait l’impression de saturer sa mémoire.
Karel passa une main devant ses yeux, comme pour chasser le léger voile de ténèbres qui l’aveuglait. Pas question de faillir. Il devait s’y habituer. Il le devait, même si c’était insupportable. Comment faisaient toutes ces personnes pour ne pas se sentir envahies par tout ça ?
Enfin, un étalage. Karel n’eut pas le courage d’aller plus loin, ni de faire la fine bouche. Karel ne se mêla pas à la foule massée devant l’étalage, recouvert de pommes de diverses couleurs. Les sons en étaient encore plus insupportables. L’homme derrière l’étalage hélait les gens. Karel marqua un temps d’arrêt pour observer la manière dont il devait se comporter. Les gens se servaient d’eux-mêmes. Si Karel les imitait, il ne devrait pas avoir de problème. Il tendit une main vers le fruit le plus proche et s’apprêta à partir le plus rapidement possible afin de s’éloigner de ce tumulte infernal. Une poigne saisit son épaule et Karel se raidit.
— Eh, P’tit Gars, si tu veux manger, faut payer !
Karel se tourna et maudit sa condition en croisant les yeux du marchand. Il ne parvenait pas à déchiffrer le regard de l’homme. Qu’est-ce qu’il lui voulait ? Qu’est-ce qu’il avait fait de mal, encore ? Ou alors, rien, cette fois ? Comment savoir ?
D’un mouvement, il se dégagea de sa poigne et inclina la tête pour le remercier. Karel frissonna en voyant l’expression de l’homme se durcir.
— Eh, mais c’est qu’il se fiche de moi, en plus ! Allez, rends-moi ça et du balai ! On n’accepte pas les voyous, ici !
La pomme disparut de ses mains et se retrouva dans celle du marchand, sous l’air incrédule de l’adolescent, qui sentit de nouveau le poids de beaucoup trop de regards sur lui. Il recula et disparut dès qu’il put trouver une ruelle sombre.
— Pff, et que font les gardes, pendant ce temps ? maugréa l’homme.
Karel se faufila le plus profondément possible dans l’étroite ruelle qu’il avait trouvée, soulagé de se dérober de toute attention. Mais il avait de plus en plus faim. Tant pis, il ne mangerait pas aujourd’hui.
Il longea les allées entre les rangées de légumes dans le premier sous-sol du château. Sa faim le consumait de seconde en seconde et était de plus en plus difficile à supporter.
Karel décida d’utiliser sa magie pour accélérer la croissance de toutes les plantes autour de lui, mais la situation échappa à son contrôle. Les plantes mutèrent et se transformèrent en monstres végétaux.
Les créatures s’approchèrent. Karel voulut créer un bouclier psychique, mais il constata avec horreur que ses pouvoirs ne fonctionnaient plus. Des lianes s’enroulèrent autour de ses chevilles, englobèrent son corps pour ensuite se serrer, serrer, serrer… jusqu’à ce qu’il s’étouffe et ne voit plus rien.
Suite ===>
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