Chapitre 38 - 1
Lya accompagnait ses parents à Sheyral, située à trois jours de Var. Toute la matinée, elle les aida à préparer les marchandises et à monter l’étalage. Elle ne manquait jamais une occasion de quitter son village. Hors de celui-ci, elle se sentait enfin libre de penser sans se faire pointer du doigt.
Cela fait, elle en profita pour s’éclipser en leur promettant de ne pas sortir de la ville, certes petite, mais dans laquelle on pouvait se perdre si on n’y faisait pas attention. Lya leur assura qu’elle se rendait, comme à chaque fois, au quartier des artisans où se trouvaient les écuries de la ville pour admirer les chevaux, et voir leur ami forgeron, Phaïstos.
Lya rêvait d’être gérante d’un ranch. Aussi adorait-elle s’occuper en essayant d’apprendre toutes les races par cœur, ainsi que tous les métiers liés à ces animaux.
Elle s’y dirigea avec assurance. Comme à chacune de ses visites, elle admira le maître travailler, fascinée.
— Hey, bonjour, Lya ! Comment va la famille depuis le temps ?
— Tout le monde va bien, merci ! répondit-elle avec un large sourire. Dîtes, vous travaillez sur quoi, aujourd’hui ?
— Je dois honorer une commande d’artéfacts à destination de futurs Sorciers. C’est un travail intéressant. Mais viens voir si tu veux ! Tu te souviens des conditions, n’est-ce pas ?
— Oui, rester dans la zone de sécurité, je sais. Mais en ce moment, j’aimerai ne pas trop m’approcher quand même… je préfère rester là où je suis.
Phaïtos lui jeta un regard intrigué. Voilà qui changeait. Habituellement, Lya était toujours la première à vouloir s’approcher le plus possible. Le forgeron avait compris depuis longtemps que Lya était du genre énergique et lui confiait souvent des tâches simples. Ou, à l’inverse, la veille de sa visite mensuelle, il faisait exprès de ne pas ranger son atelier afin de la laisser faire. Ce que Lya faisait toujours avec grand plaisir, et surtout très calmement. Ce qui ne manquait pas d’étonner certaines personnes qui la considéraient comme une enfant intenable. Mais Phaïstos l’avait vue grandir, il avait aussi accueilli ses parents chez lui durant ses premières semaines. Il avait vite compris qu’elle avait besoin de se dépenser et qu’elle aimait se sentir utile.
— Tiens donc ?
Lya afficha une expression gênée et joua nerveusement avec ses doigts.
— C’est que… depuis quelques jours, il se passe des choses bizarres quand je m’approche d’un feu.
Phaïstos sourit, amusé. Il venait de comprendre la situation.
— Laisse-moi deviner : tu as voulu aider ta mère et tu as failli te brûler en provoquant un accident ?
— Non, pas vraiment… je me suis approchée du poêle, je regardais les flammes. Juste ça, je ne voulais vraiment rien faire de plus, je le promets ! Je ne sais pas, le feu, ça me fascine, surtout en pensant à ce que vous êtes capable de faire… puis d’un coup, les flammes sont sorties du poêle et ont brûlé le toit ! C’est pour ça que nous avons besoin d’argent pour le réparer.
— Il n’y a pas eu de blessés, au moins ? s’inquiéta le forgeron.
— Ben c’est justement là que c’est bizarre ! J’ai eu peur, alors j’ai crié pour que ça s’arrête. Ce qui est très bête, parce que ça ne fonctionne pas comme ça, mais bon. Ben là, les flammes, elles ont carrément disparu !
Le forgeron se gratta son menton légèrement barbu.
— Mh…
— C’est marrant, ça n’a pas l’air de vous étonner. Mes parents, ils ont fait une tête bizarre, par contre… Comme s’ils avaient vu un fantôme.
Le forgeron lui sourit.
— Effectivement, je pense qu’il est plus sage que tu restes à l’écart de mon atelier pendant quelques temps, dans ce cas. Ah, et je compte sur toi pour venir me montrer l’artéfact qui t’aura choisie !
Lya le regarda avec de grands yeux.
— Euh… vous voulez dire que…
— Oui, ma petite Lya ! lui sourit le forgeron. Tu sembles être liée à la magie du feu. Tes pouvoirs commencent simplement à se manifester. Il faut absolument que tes parents t’inscrivent à l’Académie de Magie pour que tu apprennes à le canaliser. Sinon, cela risque de devenir dangereux, surtout pour toi.
— Mais ce n’est pas possible ! Mes parents sont des Sans-Pouvoir ! C’est héréditaire, non, ce truc-là ?
— Pas forcément, expliqua le forgeron. Il peut arriver que des enfants comme toi soient sensibles aux éléments alors qu’ils n’ont aucun parent lié à la magie. L’inverse est également vrai !
— Oh, alors c’est pour ça que Maman a pleuré ?
Phaïstos marqua un temps d’arrêt, surpris.
— Papa est devenu très nerveux, aussi, expliqua Lya. Mais ils n’ont rien voulu m’expliquer. On aurait dit que j’avais fait une très grosse bêtise. Ils m’ont demandée de ne surtout pas en parler à qui que ce soit au village, parce que personne n’aime la magie, là-bas. Ils disent que ça attire les monstres qui viennent tuer les enfants qui en sont dotés.
Le visage de l’artisan se tordit d’une grimace de dégoût.
— Comment peut-on dire ça ? Surtout à des enfants ! Je commence à comprendre pourquoi tu traînes toujours avec tes parents. En réalité, tu profites de la moindre occasion pour t’éloigner de Var, n’est-ce pas ?
Lya acquiesça puis la joie peignit son visage. Elle sautilla sur place.
— C’est pour ça que je suis contente ! Si je dois m’inscrire ici, je n’aurais pas besoin de me cacher ! Je vais voir du monde, apprendre plein de nouvelles choses ! Je vais voir la ville plus souvent comme ça ! Et vous aussi !
Le forgeron éclata de rire.
— Oui, et je compte sur toi pour venir me rendre visite ! Ah, et aussi… que tes parents ne se soucient de rien : ma maison est grande, dis-leur que j’apprécierai de t’héberger chez moi tout le temps de ta future formation.
— C’est génial, mais… Ils vont refuser…
Le forgeron réfléchit. Il avait déjà pu rencontrer les parents de Lya, lors de leur passage ici. Et vu la réaction de la fillette, il devina aisément ce qui risquait de les gêner.
— Dans ce cas, si tu travaillais pour moi en échange ? Je pense que cela leur conviendra mieux, comme marché, les connaissant.
Le visage de Lya s’illumina.
— D’accord ! J’ai trop hâte d’apprendre vos talents ! Je vais le leur demander tout de suite !
— Attends, ma petite, attends ! Laisse-moi leur écrire une missive. Tu la leur remettras.
— Je peux le dire moi-même, vous savez…
— Oui, mais tu n’as que onze ans, et je pense que tu as plus de chances de les convaincre avec des mots provenant d’un adulte qu’ils connaissent. Fais-moi confiance, petite impatiente !
Lya jubilait. Désormais sur le chemin du retour, elle serrait fermement une lettre roulée dans sa main. Comme elle avait hâte !
Elle n’en revenait toujours pas : elle allait devenir une Apprentie ! Elle allait apprendre à contrôler la magie ! Et d’autres choses bien utiles pour plus tard ! Pour sûr, ça serait beaucoup plus passionnant que ce qu’on leur enseignait à Var. Lya était heureuse à l’idée de faire de nouvelles rencontres.
De retour dans l’avenue marchande, elle s’arrêta soudain à la vue d’un spectacle dont la tristesse n’avait d’égal que le bonheur qu’elle ressentait.
Un garçon était là, le regard vide, assis entre deux tonneaux. Il était sale, le visage creusé et semblait particulièrement épuisé. Jamais elle n’avait vu quelqu’un dans un état aussi végétatif et résigné.
Suite ===>
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