Chapitre 39 - 2

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  Elma soupira. Cela faisait plusieurs jours qu’elle avait essayé d’en savoir plus sur cette Prophétie et sur le passé de Serymar. Elle n’avait rien trouvé de très concluant depuis deux ans. Il fallait dire que le Mage lui rendait la tâche particulièrement difficile, avec sa façon de dissimuler ses secrets. Tromper sa vigilance était presque impossible.

  Elma s’en voulait pour sa faiblesse. Elle n’avait pas su protéger ce garçon innocent… Serymar ne se donnait pas la peine de lui donner de ses nouvelles. La jeune femme se sentait angoissée à l’idée de ne pas savoir comment allait Karel, ni où il était, ce qu’il faisait, dans quel état il était, et surtout s’il était sain et sauf.

  Mais elle refusait d’abandonner : au contraire, cela lui donnait une excellente raison de continuer la mission qu’elle s’était confiée.

  Elma décida de revoir sa stratégie. Elle devait absolument en savoir plus sur le fonctionnement de la magie mémorielle, mais aussi sur le pacte qui les reliait. Cela lui permettrait de mieux appréhender ses plans pour espérer tromper l’hypervigilance du Mage.

  Elle refusait pourtant de le voir. Depuis la fugue de Karel, chaque fois qu’elle croisait Serymar, elle avait envie d’exploser de colère. Mais pour tenter de sauver Karel, elle devait prendre sur elle. Encore et toujours.

  Elma se rendit au dernier étage, le pas raide. Sans surprise, La porte s’ouvrit par magie à son approche : Serymar l’avait sentie arriver. Qui savait ce qu’il pouvait aussi percevoir par les liens des pactes ? Il était assis derrière son long bureau et effaçait le contenu de la boule de cristal en face de lui. À côté, divers objets insolites, dont il avait sûrement dû se servir pour effectuer des sortilèges à distance. Il ne lui accorda pas un regard.

  Elma inspira. Elle pénétra dans la pièce et resta à une distance respectable. Silence. Il attendait donc qu’elle parle en premier. Parfait.

— J’aimerai en savoir plus sur la nature de notre pacte, déclara-t-elle sans détour, glaciale.

  Serymar ne s’en formalisa pas. Au moins, c’était direct et sans perte de temps.

— Parce que tu ne t’es pas posée la question le jour où tu as décidé d’y adhérer ?

  Elma décida d’ignorer cette condescendance. Elle ne se laisserait pas avoir. Elle avait appris comment s’y prendre, avec lui. Serymar détestait les comportements serviles. Du peu qu’elle en avait appris sur son passé, elle comprenait pourquoi.

— Oh si, mais je n’en savais pas assez pour en deviner toutes les subtilités. Auriez-vous oublié que je n’étais même pas encore une adulte, cette année-là ? Qui plus est, pas instruite. Comment pouvais-je, même après deux semaines de réflexion, me poser réellement les bonnes questions ?

— Eh bien, c’est dommage pour toi, Elma.

— Oh, ne vous méprenez pas, je ne compte pas vous demander de le révoquer. Au contraire, je compte bien l’honorer jusqu’au bout !

  Court silence. Une fugace lueur de curiosité passa dans le regard de Serymar, ce qui confirmait qu’elle avait bien fait de mettre les choses au clair à ce sujet. Voyant qu’il gardait le silence, Elma comprit qu’il attendait qu’elle en dise plus.

— Est-il possible pour la personne créatrice d’un pacte magique de le révoquer, d’ailleurs ?

— Non. Seuls l’accomplissement des termes ou la trahison le peuvent.

  Elma afficha une expression surprise. Même lui, avec tous ses pouvoirs, ne pouvait donc pas s’en défaire comme ça ? Mais elle savait qu’il s’agissait de la vérité : elle se souvint, le jour où Phényxia et sa bande l’avait agressée, Serymar avait reçu une blessure au cœur. Il avait ensuite affirmé que cela ne venait pas de ses adversaires, mais bel et bien de ce contrat qui les reliait. Il avait eu la même blessure l’année où il avait absorbé la maladie de Karel, lorsque Raël s’était fait agresser par Elkor.

  Cela signifiait donc qu’il ne pourrait pas lui faire du mal sans conséquences. Elma devina que celles-ci devaient être plus ou moins fatales en fonction de la gravité de la faute commise. Elle comprenait la colère qu’il ressentait lorsque ses contractants bafouaient leurs engagements. Les risques qu’il prenait chaque fois étaient réels.

  Elma réfléchit soigneusement à sa prochaine question.

— Bien. Je ne souhaite pas entrer dans des détails compliqués. Il y a plusieurs jours, vous avez affirmé que notre pacte vous avait blessé. Comment cela est-il possible, alors que c’est vous-même qui l’avez créé ? J’ai du mal à vous imaginer oublier d’y mettre une clause qui deviendrait un inconvénient pour vous.

— La magie a ses règles, Elma. Croire que l’on puisse la soumettre à notre volonté est une erreur que font beaucoup de Sorciers. C’est principalement pour cela qu’ils ne deviennent jamais des Mages. Les gens pensent souvent à tort que c’est possible, lorsqu’ils voient un élément se modeler comme nous le souhaitons. C’est tout l’inverse : nous devons faire corps avec, comprendre pleinement son fonctionnement, payer le prix avec notre propre énergie, parfois vitale. C’est ce flux que l’on utilise qui permet de guider le sort à notre guise. C’est souvent à cause de cette confusion que de nombreux imbéciles ont vu leurs sorts se retourner contre eux. La moindre action demande un prix. Et créer des pactes magiques demande énormément d’énergie vitale. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit d’un sort interdit.

— Je vois.

  Elle avait donc ses réponses : ce contrat n’obéissait donc pas à sa vérité à lui. Elma n’avait pas payé le prix de ses investigations, ce qui confirmait ses théories : ses actes ne nuisaient pas à Serymar, qu’il en ait conscience ou non.

  Sans en ajouter plus, elle tourna les talons pour quitter la pièce.

— Cela fait plusieurs jours que tu m’adresses à peine la parole, Elma, l’interrompit-il sans bouger. Et soudain, tu viens me demander des détails à propos de notre contrat. J’exige de savoir pourquoi.

  Elle aurait dû s’y attendre. Se doutait-il désormais de quelque chose, par son attitude ? Pourtant, elle avait fait attention. Mais décidément, un rien pouvait le mettre sur la voie. C’en était… agaçant. Cela rendait sa mission d’autant plus périlleuse.

— Juste pour être certaine, se contenta-t-elle de répondre froidement.

  Elle manqua de hurler de peur et de surprise lorsqu’une main saisit le bas de son visage la seconde suivante.

— Mauvaise réponse, Elma.

  Elle rencontra son regard flamboyant à faire froid dans le dos, avec cette lueur menaçante dans ses prunelles orangées sur fond rouge, et ses pupilles verticales. Elma essaya de ne pas trembler. Elle soutint son regard : si jamais elle le déviait, il devinerait aussitôt qu’elle tramait quelque chose. Si ce n’était pas déjà fait. Elle jura en son for intérieur.

— Je tenais à savoir à quel genre de personne j’avais prêté allégeance, répondit-elle d’un ton venimeux.

  Ce qui était une part de la vérité. Au grand soulagement d’Elma, Serymar la relâcha, l’expression déçue.

— Il me semblait, pourtant, que tu l’avais compris depuis bien longtemps.

  Elma ne répondit pas. Bien sûr qu’elle s’en était douté. Ses dernières actions le démontraient. Il ne s’en était jamais caché. Il fallait vraiment être un idiot fini pour croire que la vie serait aisée avec une personne proposant un pacte avec un droit de vie et de mort sur soi. Elle avait accepté en connaissance de cause, surtout qu’il l’avait prévenue qu’il pourrait lui « demander des choses désagréables ». Mais elle garda ses réflexions pour elle. Depuis qu’il avait arraché Karel à sa famille, il semblait prendre note de la déception de la jeune femme. Il n’en ferait sûrement rien. Mais Elma s’en contenterait. Tout ce qu’elle voulait, c’était l’atteindre, d’une quelconque manière. Visiblement, elle semblait y être parvenue.

  Il s’écarta. Son expression se ferma, son visage se para de sa façade glacée, de l’être solitaire conditionné à la loi du plus fort. Un concept qu’il réinventait à sa façon. Il s’entoura de ce mur imaginaire pour rendre son esprit et son cœur inatteignables, afin d’ignorer le moindre de ses sentiments.

— Retourne à tes occupations, Elma. Je n’ai pas de temps à perdre avec toi, lui ordonna-t-il avec un geste impatient de la main.

— Avec grand plaisir.

  Elle ne se fit pas prier pour obéir. Elma s’éloigna la tête haute, refusant de laisser transparaître la moindre appréhension via son langage corporel : elle sentait bien ce regard peser sur elle jusqu’à ce qu’elle disparaisse du couloir.


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