Chapitre 42 - 1

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  Plongé dans le livre de Lya sous les combles de la maison, Karel fut interrompu par des éclats de voix au rez-de-chaussée. Il referma l’ouvrage et le plaça soigneusement de côté de lui. Il rampa discrètement vers le rebord de la petite mezzanine, dans laquelle une seconde couche avait été réalisée pour lui.

  Il fronça le regard lorsqu’il aperçut Lya face à ses parents. Eylen était dépitée, tandis que Sorel et Lya se faisaient face, visiblement contrariés.

— Lya ! On nous rapporte que tu as encore été insolente en classe ! Et tu veux rejoindre cette Académie de magie ? Comment veux-tu que nous te fassions confiance si tu n’es même pas capable de maîtriser tes émotions ?

— Vous avez surtout peur de nous y envoyer !

— Ton frère s’est fait enlever précisément à cause de ses pouvoirs ! tonna Sorel, angoissé. Il est absolument hors de question que cela recommence, d’autant plus avec nos deux enfants, tu entends !

  Le couple se sentait acculé. La réalité était pourtant là : leurs enfants avaient eu le malheur – à leurs yeux – d’être nés porteurs de magie. Et cela posait beaucoup de problèmes : personne dans le village ne pouvait leur apprendre à les contrôler, et ls priver de cette maîtrise les mettrait tous les deux en danger, ainsi que les autres. Ils redoutaient tant de se séparer d’eux après ce qui était arrivé à Karel. Ils avaient tant craint que Lya leur soit aussi enlevée à la naissance. Cette angoisse les avait accompagnés chaque jour de la seconde grossesse d’Eylen. Celle-ci échangea un regard inquiet avec Sorel. Qui savait si leurs enfants seraient en sécurité à Sheyral ?

  Ensuite, il y avait Karel qui ne parlait pas et qui n’était pas accoutumé aux codes sociaux. Son cas était exceptionnel, et ses parents redoutaient les difficultés qu’il allait rencontrer. Si la petite famille s’était mise à la langue des signes, ce n’était pas le cas du reste du monde.

  Eylen et Sorel redoutaient les conséquences d’un éloignement. Leur fils avait douze ans. Il se montrait distant avec les adultes et n’osait s’exprimer qu’avec Lya. Karel faisait des efforts avec eux, mais le lien ne semblait pas s’établir correctement. Leur fils avait été élevé par une autre personne. Ils ne connaissaient pas leur propre enfant. Karel était un étranger sans l’être. Des rumeurs commençaient à courir dans le village à son sujet, l’appelant « le Sans-Voix ». Les gens le soupçonnaient très souvent de faire exprès de ne pas parler et accusaient Karel d’avoir un sérieux problème psychologique. Mais ce n’était rien à côté de ceux qui se souvenaient du jour de sa naissance. De nombreuses rumeurs circulaient à son sujet, son histoire angoissait tous les esprits. Les villageois disaient notamment que Karel était condamné à devenir un monstre car l’être qui l’avait enlevé en était forcément un. Une histoire qui avait toujours eu des séquelles sur leur fille. De ce fait, leur fils considérait la moindre sortie comme une véritable épreuve et les évitait le plus possible.

  Le couple se demandait toujours comment Karel avait pu finir à la rue, et comment il avait été traité durant toutes ces années. Ils ne le sauraient probablement jamais. L’envoyer dans cette Académie ne leur semblait pas être une très bonne idée pour le moment, compte tenu de son handicap et de ses blessures encore trop vives.

— Cette histoire est stupide, en plus ! s’énerva Lya. C’est injuste de m’en vouloir ! Karel a bien plus besoin de cette fichue ardoise que moi !

— Ma chérie, intervint Eylen. Nous sommes très fiers de ton attitude avec ton frère, mais c’est la même histoire que la dernière fois : nous ne te reprochons pas tes actes, seulement ton comportement. Et arriver en classe en justifiant à ton enseignante que tu as fait exprès de ne pas emporter tes affaires en lui ajoutant que tu n’es de toute façon pas intéressée par ses cours… tu aurais dû t’y prendre autrement. Et surtout, tu pourrais compter sur nous. Nous comptions lui acheter le nécessaire pour qu’il puisse s’exprimer avec nous.

  Karel ne saisit que la moitié de la discussion, mais parvint à comprendre quelques mots. Sans savoir pourquoi, il se sentait coupable. Particulièrement quand il entendait son prénom sortir de la conversation. L’idée de causer du tort à ces personnes lui tordait l’estomac.

  Il descendit par l’échelle en bois et s’approcha d’eux en se tordant les mains. Trois regards se tournèrent vers lui dans un silence gênant. Karel se sentit très mal à l’aise.

  Il avança d’un pas et se força à affronter l’expression de chacun, et en particulier celle de Lya. Il lui signa avec nervosité. Lya le fusilla du regard.

— C’est nul, c’est injuste ! explosa-t-elle. Tu n’as même pas à t’excuser pour ça, pauvre abruti, tu n’as rien fait de mal !

— Lya ! s’insurgea Eylen. Je t’interdis de lui parler comme ça, est-ce que c’est clair ?

— J’en ai marre ! cracha Lya en s’éloignant. C’est toujours pareil, les adultes ont toujours raison même quand ils ont tort !

  La porte claqua avec violence.

  Un silence lourd tomba. Karel se sentit encore plus gêné, figé de surprise. Pourquoi Lya l’avait-elle foudroyé du regard comme ça ? Que se passait-il ? Qu’avait-il fait ? À part… être là.

— Karel ? Tu vas bien ? s’inquiéta Eylen.

  Pas de réponse, pas de réaction. Karel ne savait pas ce qu’il devait faire. L’angoisse le saisit. Il craignait à nouveau de faire le moindre pas, par peur de blesser encore son entourage. C’était perturbant d’avoir cette impression de marcher à l’aveuglette, sans savoir si on allait tomber d’une falaise. La moindre petite erreur, et les conséquences en seraient fatales. Mais comment marcher, alors qu’il ne savait absolument pas comment avancer sans faire de mal ?

— Occupe-toi de lui, je vais voir Lya, proposa Sorel en rejoignant la porte.

— Oui. Je vais essayer de lui faire comprendre qu’il n’a pas à se sentir coupable.

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