Chapitre 46 - 2

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  La nervosité gagna Karel. Il n’avait pas réfléchi au fait qu’ici, les adultes étaient beaucoup plus expérimentés. S’ils étaient capables de ressentir le moment où il utilisait la magie, solliciter Lya risquait de devenir difficile. Comment communiquer avec elle discrètement, sans révéler qu’il n’avait pas les moyens physiques de parler ? Il jura. Et s’il se trompait dans sa compréhension ?

  Les premiers futurs apprentis passèrent. Avisant le regard interrogateur de Karel et confrontée aux mêmes réflexions, Lya, toujours sans le regarder, traça quelques lettres invisibles sur le banc entre eux avant de le désigner. Karel y découvrit vite son prénom suivi du nom de leur village. Lya lui désigna rapidement la porte en face d’eux : dès qu’il entendrait son nom, il devrait y aller. Elle aurait bien souhaité lui expliquer plus que ça, mais le temps manquait, et leur petit échange risquait d’attirer l’attention s’il durait trop longtemps. Tant pis, il poserait ses questions plus tard, lorsque l’occasion se présenterait. Lya en faisait déjà beaucoup pour lui, Karel ne voulait pas en rajouter : sa sœur devait aussi se concentrer. Pour la remercier de sa dévotion, Karel ne sut pas quoi faire d’autre que poser sa main sur la sienne en guise de réponse.

  Les autres futurs apprentis commencèrent à discuter. Karel avait beau être entouré de monde, comme à chaque fois, il se sentait très isolé. Non-seulement il était incapable de répondre, mais il ne connaissait rien à leurs mœurs. L’idée de s’épuiser à se faire comprendre lui annihilait toute envie d’essayer. Même s’il souhaitait faire l’effort de s’intégrer, il ferait office de décor, comme si un fossé infranchissable les séparait. Chaque fois qu’il les regardait, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce que ça faisait, de faire partie de quelque chose, d’un groupe. Sa vie était ainsi depuis les Monts de la Mort : l’infiniment simple était devenu infiniment compliqué. Cela l’épuisait.

— Pff, il faut toujours qu’il y en ait pour se faire remarquer, commenta une voix qui le ramena à la réalité.

  Lya se retourna vers un groupe de trois garçons richement vêtus.

— Cherche pas, encore des péquenots sans noms qui ont besoin de bien se faire voir, renchérit son ami, qui semblait venir d’un milieu plus modeste.

  Lya alla riposter, mais Karel lui tira discrètement le bout de sa manche pour lui intimer de ne pas réagir. Cette histoire stupide risquait de mal finir, sans compter que ça ne valait pas le coup. S’il avait besoin d’elle pour l’aider à comprendre ce qui se passait, elle avait besoin de lui pour contrôler son tempétueux caractère.

— Edmond Haute-Rive des Monts d’Or, appela la voix de la Mage qui les avait réprimandés.

  Le premier qui avait parlé se leva. Lorsqu’il passa devant Lya, elle ricana discrètement, mais suffisamment fort pour que le garçon l’entende.

— Roh, ce nom ! C’est sûr que toi, t’as pas besoin de te faire remarquer avec un nom pareil !

  Si Karel lui envoya un regard lourd de reproches, ce ne fut pas le cas de quelques personnes derrière eux qui, encouragés, rirent le plus discrètement possible. Karel remarqua que la majorité d’entre eux provenaient de milieux plus modestes comme eux.

  Le garçon la foudroya du regard, mais Lya le soutint sans ciller et se permit même de lui faire un petit signe de la main.

— Allez, arrête de traîner pour bien te faire voir, nous sommes encore nombreux à attendre derrière. Ton précepteur n’a pas vraiment réussi ton éducation sur les bonnes manières, je crois… Salut !

  Karel demeura estomaqué. Il ne savait plus où se mettre. Lya, elle, ne se départit pas de son attitude provocante, et ce jusqu’à ce que le garçon disparaisse derrière la porte. À ce moment-là, Karel eut envie de la remettre à sa place, de lui exprimer sa façon de penser, mais il se retint : ses gestes ne seraient pas discrets, et il risquait de faire jaser si les autres le voyaient parler avec les mains. Connaissant sa sœur, elle deviendrait inarrêtable, parce que lorsqu’il s’agissait de lui, elle était encore pire. Alors Karel prit sur lui, inspirant pour tenter d’évacuer sa frustration. Ce n’était que partie remise.

— Eh, la péquenot, sache que l’on te fera payer ça, ajouta l’un des deux acolytes.

  Lya se pencha légèrement dans sa direction.

— Pas de problème, les gars, si vous êtes suffisamment bêtes pour vous emporter pour des débilités, je vous répondrai jusqu’à ce que vous compreniez le message. Ah, et promis, j’essaierai d’éviter de griller ce qui vous reste de cerveau, je ne maîtrise pas encore très bien les flammes, vous voyez.

  Le garçon alla riposter, mais quelqu’un d’autre s’interposa.

— En même temps, ton ami méritait la réflexion ! Nous, on n’a peut-être pas de noms, mais au moins, on reste humbles !

  D’autres protestations suivirent. Karel regarda la scène, perdu. Lya semblait avoir donné le courage à d’autres de se défendre, à tel point que les deux autres garçons se turent. Existait-il réellement un tel fossé entre deux classes sociales différentes ? Cela le surprenait au plus haut point. À ses yeux, toutes ces personnes étaient pareilles, dans le sens où chacune avait ses propres problèmes, mais au moins, ils pouvaient se lier les uns aux autres grâce à la parole.

  Une fille aux longs cheveux blancs et aux yeux vairons, violet et bleu, aborda Lya. Deux oreilles animales recouvertes d’une fine fourrure blanche dépassaient de ses cheveux. C’était la première fois que Karel voyait une autre non-humaine que le Mage. Ainsi, il en existait d’autres.

— Franchement, tu as du cran… Je n’aurai jamais osé, personnellement.

— Ben c’est normal, non ? Pourquoi on devrait se laisser insulter ? Je n’ai rien contre les nobles, loin de là, mais c’est nul les jugements de valeur. Puis un nom, c’est quoi, au final ?

— Comment est-ce que tu t’appelles ?

— Lya. Tout court. Et toi ?

— Lyrielle, répondit la future apprentie. Tout court aussi. Ravie de te connaître !

  Lya lui sourit.

— Moi aussi, Lyrielle ! Tu es née avec quelle magie ?

— La glace, comme ma mère. Je viens d’une petite île de l’Archipel des Glaciers, loin au sud de Weylor.

  Lya écarquilla les yeux de surprise.

— Mais tu viens de super loin, en fait ! Ta famille ne va pas te manquer ?

— Je pense, oui. Mais bon, il n’y a qu’une seule Académie, alors il faut bien s’adapter… Puis au moins, je suis loin du Clan des Neiges. Je suis en sécurité, ici. Le directeur est une légende vivante, alors je ne crains rien !

  Lya compatit.

— Oui, c’est vrai, les Clans… Je ne comprends même pas pourquoi ils existent, ces gens. Ils sont vraiment trop méchants.

— Oui… Enfin, nous n’avons pas trop à nous en plaindre ! ajouta Lyrielle. Notre région est encore veillée par Nyrvana, alors ils se tiennent tranquille. Ce n’est pas vraiment le cas des autres régions… J’ai dû traverser les Montagnes Noires d’Onyx et la Forêt du Vent pour venir jusqu’ici, et honnêtement, ce n’était pas très beau à voir. Maintenant, j’attends des nouvelles de ma famille, en espérant qu’il ne leur arrive rien sur le chemin du retour. Eux et deux membres de la Tribu ont eu la générosité de bien vouloir nous accompagner pour nous prêter main forte, juste au cas où. Heureusement que les Tribus sont toutes alliées, elles ont pu nous aider dans notre voyage aussi.

— Tu as les cheveux blancs et un œil violet. Est-ce que tu fais partie de la Tribu des Glaciers ?

  Lyrielle opina.

— À moitié, je suis métissée. Ma mère est humaine et mon père est originaire de la Tribu. Lui, il n’est pas tout à fait humain, c’est de lui dont j’ai hérité des oreilles et de mon œil violet. Et vous, d’où vous venez ? demanda-t-elle avec un sourire.

— Du village de Var. C’est beaucoup moins loin que toi. Beaucoup moins dangereux, aussi. Et… Je n’ai rien de bien intéressant à te dire d’autre, en fait. Ah, si, j’adore tes oreilles et tes yeux, ils sont magnifiques !

  Lyrielle émit un petit rire.

— Merci, tu es gentille. Et toi, comment tu t’appelles ? demanda-t-elle gentiment à Karel.

  Le malaise le saisit. Pas que cette fille curieuse semblait méchante, loin de là, mais…

— Karel, répondit Lya à sa place sans tarder.

  Elle préférait passer pour une personne un peu envahissante que laisser son frère dans l’embarras.

— Nous sommes frère et sœur, ajouta-t-elle pour protéger Karel des questions.

  Son frère la remercia du regard et se contenta de passer pour l’introverti qu’il était. Au moins un point où il ne pouvait mentir. Il répondit toutefois à la poignée de main de leur nouvelle connaissance.

— Karel de Var, annonça la voix de la Mage.

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