Chapitre 47 - 2

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— Karel… Nous t’aimons beaucoup.

  Il accompagna sa phrase des signes adéquats, comme pour bien insister, et surtout démontrer à son fils à quel point chacun faisait de gros efforts.

— J’aimerai bien que tu te dises seulement une chose : même si nos actions envers toi ne te plaisent pas, sache que chacune d’elle n’a qu’un seul but : t’aider à aller mieux et avancer dans la vie. C’est ça, « aimer » quelqu’un.

  Karel n’osait plus réagir, une main posée sur son bras, encore sous le choc d’une telle réaction.

— Alors peut-être que nous faisons mal les choses. Mais si tu ne dis rien, nous commettrons encore des erreurs. Ce n’est pas de ta faute si tu ne peux pas parler. En revanche, Karel, tu es en parti responsable de ce manque de compréhension entre nous tous. Et j’apprécierai que ta sœur apprenne à se préoccuper un peu plus d’elle-même et soit plus concentrée à ses études. Ce qui ne veut pas dire que tu dois mettre de la distance, s’empressa-t-il de rajouter, conscient des problèmes de traduction de Karel. Au contraire, ta mère et moi sommes heureux que vous soyez complices. Mais il faut faire attention à ce qu’elle puisse vous apporter à l’un et à l’autre, et non l’inverse.

  Il s’éloigna et se laissa choir sur le lit. Karel était toujours comme paralysé. Décidément… Sorel se demandait ce que son fils avait pu vivre pour être à ce point perdu sur la façon de réagir dans une situation donnée. Il décida de le guider.

— Tu sais, là, j’aimerai que tu viennes t’asseoir à côté de moi pour que nous trouvions une solution ensemble. Sans nous énerver. Juste en discutant. Laisse-moi devenir ce père que je n’ai jamais été pour toi, Karel, et surtout celui que tu mérites. J’espère sincèrement qu’un jour… Tu parviendras à nous pardonner de t’avoir abandonné. Par les Dragons, c’est atroce…

  L’émotion le saisit avec autant de violence que s’il s’était pris un coup en plein torse. Il posa une main sur ses yeux comme pour dissimuler sa peine.

— Nous sommes tellement désolés, Karel, si tu savais !

  L’adolescent se figea, soudain terrifié par cette émotion qui ne lui appartenait pas qu’il ressentit de plein fouet. Son malaise s’accentua lorsque Sorel le regarda à nouveau.

— Nous… nous t’avons cru mort. Je… nous aurions dû nous en assurer, et nous n’en avons pas eu le courage. Je crois… je crois qu’il était plus facile de te croire mort…

  Il lui offrit un sourire contrit et malheureux.

— Il n’est pas étonnant que tu aies du mal à nous faire confiance. C’est normal que tu aies cru que nous allions t’abandonner, hier. Nous n’avons rien compris. Et faire comme si ton passé était derrière nous est une erreur. Nous complaire dans une illusion ne nous fera pas avancer. Je suis désolé, Karel, tout ça est de notre faute. Si tu as grandi entre les mains d’un monstre, c’est de notre faute. Nous sommes… nous sommes vraiment désolés.

  Un long silence tomba.

— Pardon, Karel.

  Sorel se releva afin de sortir. Karel se sentait coupable et frappa le mur du poing afin d’attirer l’attention de son père. Ce dernier suspendit son geste et se tourna vers lui. Le cœur battant, Karel chercha désespérément un moyen de lui dire ce qu’il pensait. Sorel ne devait pas partir sans savoir, Karel le regretterait. Son regard se posa sur la sacoche dans laquelle se trouvait l’ardoise qui lui avait été offerte. Karel regarda tour à tour son père et le sac et s’assit sur le lit en invitant son père à faire de même. À son grand soulagement, Sorel accéda à sa demande. Karel griffonna quelques mots et montra le message à son père en posant une main sur la sienne.

« Je ne pas vous vouloir jamais. Savoir pas ».

  Sorel lut le message rapidement. Il lui prit la craie et écrivit exactement la même phrase en y apportant les corrections adéquates. Il regarda son fils et observa que Karel se faisait attentif pour la version orale.

— « Je ne vous en ai jamais voulu. Vous ne saviez pas ». Oui, c’est difficile, je reconnais. Et… Merci. J’aimerai que tu dises la même chose à ta mère, ça la rassurerait.

  Karel opina et étudia la phrase afin de se corriger.

— Maintenant, raconte-moi ce qui s’est passé, s’il te plaît. Je veux saisir cette chance de devenir le père que tu mérites, Karel.

  La gêne le gagna. Son père lui offrit une expression rassurante et lui sortit une petite liasse de feuilles reliées entre elles par de petites cordelettes, ainsi qu’un crayon.

— Ta mère et moi avons fait quelques dépenses pour toi pendant votre entretien, lui expliqua-t-il. Je pense que ça sera un peu plus pratique dans un premier temps. J’ai l’espoir qu’un jour, nous n’en auront plus besoin.

  Karel fut surpris et profondément touché. Depuis qu’il avait quitté les Monts, il avait pu noter que le papier et les livres n’étaient pas accessibles à toutes les castes de la population. Constater que ses parents avaient dépensé un peu plus juste pour lui, pour créer une sortie à sa propre prison mentale… Karel en resta sidéré. Ce cadeau, le geste, le sous-entendu, c’était juste… trop…

  Bouleversé par tant d’égard, Karel se jeta à la taille de son père, dissimulant son expression et ses yeux humides. Comment lui exprimer qu’il était à la fois désolé de leur avoir causé du tort sans le savoir, et que ce geste le touchait beaucoup ?

  Sorel l’entoura de ses bras, surpris mais heureux. C’était la première fois que Karel lui témoignait une telle affection. Ce geste, il l’avait désespéré. Il le serra alors un peu plus fort, espérant faire comprendre à ce garçon à quel point il se sentait désolé pour leurs erreurs et à quel point il était aimé.

— Tu n’es plus seul, Karel, cette fois, nous sommes là. Tu vas t’en sortir. Nous ferons tout pour.

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