Chapitre 48 - 2

8 minutes de lecture

  Karel sursauta et lui fit face.

— Tu m’as écouté, tout à l’heure ? Ce n’est pas toi qui choisis, c’est l’objet qui te choisit toi. Tu ne dois pas te laisser influencer par tes goûts personnels. Sinon, tu y seras encore demain.

  Karel ne comprit pas tout, mais il parvint à saisir qu’il s’y prenait mal.

— Tiens, essaie ça, pour voir.

  Le vendeur lui passa un médaillon autour du cou, de la même facture soignée que le reste. Karel le prit dans les mains, mais rien ne se passa.

— Mh.

  Karel lui rendit le bijou et le suivit du regard. Le vendeur fouilla dans le rayon avant de lui présenter un anneau que le garçon essaya. Le résultat ne se fit pas plus concluant que les autres.

— Allons, ça non-plus ? se questionna le vendeur en récupérant l’anneau. C’est vraiment difficile. Tu n’es pas très expressif en plus, ça n’aide pas.

  Tout ce que Karel put lui offrir en guise de réponse fut une expression gênée.

  Le vendeur sembla saisi d’une illumination soudaine et frappa son poing dans sa paume.

— Mais oui ! Evidemment ! Un introverti parle plus par les actes que par la parole ! Ce sont des volcans, prêts à exploser quand on ne s’y attend pas !

  Karel lui jeta un regard étrange et se demanda bien de quoi il parlait, surtout en le voyant réfléchir à voix haute. Le vendeur se dirigea vers la section que Karel avait boudée : les armes. Le vendeur prit une épée toute simple, sur laquelle quelques arabesques couraient à la base de la lame comme des racines. La lame ne brillait pas, arborant une couleur qui rappelait le tronc de certains arbres.

  Karel eut un léger mouvement de recul.

— Ton attitude m’indique que cette fois, ça va fonctionner… Tu l’apprendras à l’Académie, mais bon : chaque objet a une symbolique. Ne t’arrête pas à la fonction première. Vois plus grand. J’ignore ce qui a pu te pousser à te taire au point de craindre de prononcer le moindre mot. Dans tous les cas, c’est toujours un sacré combat intérieur pour les gens comme toi. Tu veux avancer, mais quelque chose t’en empêche. Un blocage, comme beaucoup.

  Karel souhaita riposter que non, que ça n’avait aucun rapport avec ça, qu’il était né ainsi, mais se ravisa. C’était peine perdue, de toute façon. Puis il sentait bien que le vendeur essayait de l’aider.

— L’épée symbolise la dualité. Tu veux mais tu ne peux pas. Tu aimerais être autre chose que ce que tu es, tu voudrais réussir à évoluer, mais tu n’y parviens pas, tes boulets aux pieds sont encore beaucoup trop lourds. Tu as conscience de tout ça. L’épée symbolise cette conscience ainsi que la puissance, comme celle que tu as en toi et qui ne parvient pas à s’exprimer par peur du jugement des autres. Ton chemin sera long, mon petit. Tu en baveras tant que tu ne seras pas en paix avec toi-même. Cet objet est représentatif de ton propre combat. Alors touche-là.

  Karel hésita encore et prit quelques secondes supplémentaires pour comprendre le message. Il finit par se décider, surtout pour ne pas contrarier le vendeur, et enroula ses doigts autour du manche.

  Tout bascula. Karel se figea. Une vive décharge parcourut ses mains et l’envahit tout entier. Mais pas une décharge désagréable. Ce fut tout le contraire. L’épée brilla d’une lueur couleur terre. Karel ferma les yeux un instant pour mieux comprendre ce qui se passait en lui. Un courant traversait ses veines et se propageait dans la moindre parcelle de son corps jusqu’au bout de ses doigts. Cette sensation était merveilleuse. Karel ne sentait plus une arme dans ses mains, plutôt une extension de lui-même. Son âme résonnait avec l’artéfact, qui lui sembla soudain léger. Il sentit son pouvoir s’agiter, comme en réponse à l’appel de l’objet et se lier avec lui. Il ne lui échappa pas et resta contenu sans prendre le dessus sur Karel. Sa magie était prête à jaillir, à lui obéir sans concession. Karel se sentit capable de faire ce qu’il voulait.

  Pris d’une envie qu’il fut incapable de contrôler, Karel exécuta un large arc de cercle autour de lui. Plusieurs objets volèrent, pris dans une vague de télékinésie et des lianes fleuries tracèrent un chemin dans l’allée de la boutique. Comme si de rien n’était, les objets revinrent à leur place et les plantes disparurent, annihilés par un sortilège spécial qui ensorcelait les lieux.

  La sensation s’estompa avec douceur. Karel rouvrit les yeux, mais malgré ça, renouer avec la réalité fut difficile. Le vendeur ajusta ses lunettes, l’expression satisfaite.

— Ah, ça fait toujours quelque chose de voir ça. Tu as donc deux auras de pouvoir. Voilà qui est impressionnant ! Bon. Allons voir comment s’en sort ton énergumène de sœur !

  Ladite sœur, en réalité, était encore plus excitée que d’habitude. Elle montrait déjà fièrement à ses parents un médaillon d’environ dix centimètres de diamètre, représentant un symbole parfaitement équilibré en noir et blanc, ornementé d’un dessin de dragon en argent en plein milieu d’une surface lisse et brillante. Lya leur racontait avec beaucoup d’émotions comment sa propre expérience s’était déroulée, notamment le moment où des flammes l’avaient enveloppée sans la brûler et sans provoquer de dégât dans la boutique. Karel la regarda avec un air amusé. Il commença un décompte dans sa tête, conscient qu’il ne tarderait pas à subir cette tornade ambulante dans moins de quelques secondes.

— Kareeeeel !

  Collision imminente. Elle lui sauta littéralement dessus et manqua de la faire tomber.

— Ça y est, toi aussi ? C’est génial, tu ne trouves pas ? Dis-moi, tu as ressenti quoi ? Tu as ressenti la même chose que moi ? C’était comment pour toi ? Nous allons devenir de vrais Sorciers ! Ton artéfact est magnifique !

  Karel décida qu’il avait subi assez de secousses par les épaules comme ça. Il prit les mains de Lya avec douceur pour se libérer de son emprise. Il la regarda dans les yeux avec un petit sourire. Oui, ils avaient ressenti la même chose. Il ne prit pas la peine de s’exprimer par les signes. Karel savait que Lya le connaissait désormais suffisamment pour savoir traduire presque la moindre expression de son visage. Exactement comme lui-même commençait à bien la connaître, d’où sa capacité à prévoir ses réactions. Le visage de Lya s’illumina davantage et elle se jeta à son cou.

— C’est merveilleux ! s’écria-t-elle, débordant d’émotion.

  Karel la laissa faire avant de la repousser avec douceur. Enfin, il lui prit la main pour rejoindre leurs parents et le vendeur. Autrefois, c’était Lya qui lui tendait la main. Sa petite sœur avait cette tendance à se laisser très facilement déborder par ses émotions et avait du mal à voir clair dans ces moments-là. Autant la guider tout comme elle le faisait quand il était perdu.

  Le vendeur afficha une expression amusée.

— Vos enfants sont attachants, c’est appréciable. Le symbole de l’équilibre et de la prospérité, hein ? C’est juste parfait pour la demoiselle. Elle devra apprendre à trouver le juste milieu dans ses émotions et ses valeurs dans la vie, ce qui n’est pas évident. Ils ont de la chance. Ils ont tous les deux des artéfacts très intéressants.

  Il se dirigea derrière son comptoir.

— Si les artéfacts ne sont pas payants, les réparations et les accessoires le sont. Y aurait-il quelque chose qui vous plairait parmi ce que j’ai à vous proposer ?

  Il sortit un fourreau de cuir décoré très sobrement, attaché à une bandoulière large, ainsi qu’une chaîne en argent sur son comptoir.

— C’est magnifique, complimenta Eylen. Est-ce vous qui faites tout ça ?

— Tout ce qui est vendu et offert ici est conçu et fabriqué par moi-même, même si je dois solliciter quelques intervenants de temps à autre. Je ne rentrerai pas dans les détails de la fabrication d’artéfacts, bien que ça soit un sujet fort passionnant. Nous en aurions pour des heures. Les enfants, n’oubliez pas : ne faites pas l’erreur de voir la fonction première d’un artéfact. Ces derniers ne sont ni bons, ni mauvais : tout dépendra de votre manière de l’utiliser.

  Les deux concernés répondirent par l’affirmative. Leur attention était absorbée sur les deux objets présentés sur le comptoir. Leurs parents s’échangèrent un regard avant de se mettre d’accord. Ils avaient prévu ce jour, ils avaient donc mis une certaine somme d’argent de côté depuis plusieurs semaines, même s’ils n’avaient pas prévu de devoir dépenser pour deux enfants. Mais ils étaient heureux de cet aléa, d’autant plus que leur fils commençait enfin à s’ouvrir à eux.

— Parfait. Nous vous les prendrons tous les deux, indiqua Sorel.

  Lya alla pousser un cri de joie, mais une douce pression de la main de son frère la canalisa. Il lui adressa un petit regard complice, comme pour la rassurer sur le fait qu’il comprenait très bien ce qu’elle ressentait. Lya se contenta alors de s’incliner.

— Merci ! Merci beaucoup !

  Le vendeur afficha un sourire avant de se pencher de nouveau derrière son comptoir pour sortir deux pendentifs en forme de dragon de couleur noir, et précisément de la même forme, chacun sur une chaîne fine de deux longueurs différentes.

— Comme je vous l’ai dit, ne vous fiez pas à l’impression première. Il ne s’agit pas d’une représentation d’Onyx, le Dragon noir. C’est à vous, personnellement, de vous demander quel est le Dragon Fondateur qui se rapproche le plus de vous. Je vous les offre.

  Lya fut gênée.

— Je… Je sais que ce n’est pas très approprié, mais… Je n’aime pas beaucoup les Dragons…

  Le vendeur ne s’en offusqua aucunement. Il sortit de son comptoir et se plaça face à Lya à qui il tendit le médaillon avec la chaîne la plus courte.

— Je vois dans ton regard que quelque chose de terrible a dû te bouleverser profondément. Mais tu es jeune, et manque d’expérience, surtout dans la gestion de tes sentiments. Ma petite, sache une chose : les Sept ne sont pas à blâmer. Quelque chose de terrible leur est arrivé. Si quelqu’un te bouscule, et que tu blesses quelqu’un dans ta chute, est-ce toi qui doit être blâmée ?

— Je ne sais pas…

— La réponse est non. Un mal ronge les Sept depuis deux cent ans. Les trois aînés font tout pour protéger notre pays. Alors quoi qu’il soit arrivé, dirige plutôt ta colère vers le véritable fautif des troubles de Weylor, bien que l’on n’ait jamais su de qui il s’agissait. Et surtout, maîtrise ta colère, ne te laisse jamais contrôler par celle-ci. Tes réflexions me confirment que ce bijou te sera bénéfique. Un jour, lorsque vous serez accomplis, ils prendront la couleur du ou des Dragons qui se rapprochent le plus de vous.

  Lya opina et attacha le collier à son cou.

— Merci infiniment, Monsieur.

— De rien, ma petite.

  Il donna le second à Karel qui le remercia en inclinant le buste, à défaut de pouvoir exprimer ce qu’il ressentait par les mots.

  Cet après-midi dans cette boutique avait été particulièrement enrichissant pour lui. Karel était persuadé que ça l’avait aussi été pour Lya, à cause de sa réticence envers les Dragons. Le vendeur avait su apaiser sa colère avec peu de mots.

  Karel était déjà au courant de ces histoires de symbolique, le Mage le lui avait appris, bien que le jeune Apprenti avait eu beaucoup de mal à en saisir certains sens. Aujourd’hui, il comprenait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0