Chapitre 50 - 1
— Debout, Karel ! Allez, réveille-toi !
Le concerné lâcha un soupir bruyant face aux secousses de sa sœur. Il bougonna : c’était « le » jour.
La veille, leurs parents étaient partis, les laissant à un forgeron qui semblait bien connaître Lya. Du peu que Karel en savait, il avait l’air d’être une bonne personne, mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir un malaise depuis qu’il avait vu ses parents disparaître à l’horizon. Toujours cette crainte de l’abandon. Comme il avait décidé de faire l’effort de leur faire confiance, Karel avait fait taire ses craintes. Il verrait bien dans la semaine si la promesse serait respectée ou non.
— Allez ! C’est notre premier jour, il ne faut pas qu’on se loupe, cette fois ! insista Lya en lui tirant le bras.
Karel se dégagea avec humeur, s’habilla avec des gestes abrupts et attacha ses cheveux rapidement. D’un geste sec de la main, son drap vola pour se reposer parfaitement sur le lit. Karel voulait rester respectueux envers leur hôte. Lya le regarda bouche bée.
— Comment tu arrives à faire ça ?
Karel regarda Lya avec surprise. Ne sachant quoi lui répondre, il haussa seulement les épaules et en profita pour faire de même sur le lit de Lya.
— Merci beaucoup ! Tu sais en faire d’autres, des trucs comme ça ?
Karel répéta son geste. Tous deux sortirent de la chambre afin de descendre dans la pièce principale où les attendait déjà le forgeron. Comme sa sœur, Karel était fasciné par le travail qu’il effectuait. Pendant qu’il mangeait, il ne put détacher son regard de leur hôte travaillant le métal. Comment lui demander de lui apprendre à faire la même chose ?
Un autre problème lui semblait plus urgent pour l’instant. Le jour de leur entretien, les Sorciers de l’Académie ne semblaient pas tolérer qu’il utilise la télépathie avec sa sœur pour lui demander de l’aide. Karel souhaitait se faire le plus discret possible, estimant que, sans rien faire de particulier, il s’était déjà fait suffisamment remarquer.
Alors qu’il réfléchissait, il dessina avec l’index de sa main libre un mot invisible à l’intention de sa sœur.
— « Communication ? »
Lya comprit aussitôt.
— Mh. C’est vrai que ça risque d’être compliqué… écoute, tu peux essayer de noter tout ce qui te semble important, et dès que l’on peut, je te corrige et je t’explique ? Ce n’est pas le mieux, mais bon, on n’a pas trop le choix. En attendant, on devrait peut-être s’entraîner encore à se faire discrets, non ? Parce qu’écrire des mots invisibles, au bout d’un moment, on va se faire griller… euh, pardon, je veux dire « remarquer ».
Karel fit la moue. C’était décidément… compliqué. Lya le regarda avec bienveillance.
— En attendant, on peut continuer à t’entraîner sur le Weylorien, si tu veux. Ensuite, on s’invente de nouveaux codes secrets pour se parler en toute discrétion. Ça te convient ?
Son frère opina et lui prit la main pour activer un lien télépathique.
— Merci.
Lorsqu’ils arrivèrent à l’Académie, Lyrielle les rejoignit. Les filles parlèrent de tout et de rien, et surtout de leurs artéfacts. Lyrielle invita Karel à présenter le sien.
Karel le lui montra, mais resta sur la réserve sur tout le reste. Il répondait de lui-même uniquement lorsque les réponses pouvaient être simples à donner.
— Dis, Lya, ton frère, il est vraiment timide… je ne vais pas te manger, tu sais ?
Lya fut prise d’un rictus nerveux, sachant très bien que son frère n’aimait pas ce genre de réflexion. Elle ignorait surtout combien de temps Karel prendrait sur lui aujourd’hui. Pour la première fois, son frère prit les devants, car s’il y avait une chose qu’il appréciait encore moins que de passer pour ce qu’il n’était pas, c’était que sa sœur fasse les frais de ses problèmes. Lya commençait peut-être à se faire une amie, et voilà qu’elle s’empêchait d’être honnête avec elle ! Tout ça pour… pour le protéger. Karel était prêt à tolérer certaines choses, tant que cela ne nuisait pas à Lya. Il estimait qu’elle en faisait déjà énormément pour lui.
Quitte à passer encore pour quelqu’un de bizarre, il sortit de son sac le cahier offert quelques jours plus tôt par ses parents. Karel ignora le regard étrange que Lyrielle lui lançait, de même que celui, surpris, de Lya. Il écrivit quelques mots avant de le mettre sous les yeux de leur nouvelle connaissance avec une expression sérieuse, légèrement contrariée, aussi.
— « Je ne parle pas parce que je ne peux pas » ? lut à voix haute Lyrielle en lui jetant un regard étonné.
Lya fut toute aussi surprise, mais pas pour les mêmes raisons. La réaction de son frère la toucha. Elle avait pensé qu’il allait se refermer sur lui-même. Lya se sentait heureuse de voir son frère s’affirmer un peu. Une joie la saisit lorsqu’elle vit les mots qu’il avait griffonné. Pour la première fois, il n’y avait aucune faute. Lya était impressionnée de la vitesse avec laquelle Karel apprenait. La ponctuation lui était encore un peu compliquée, mais au moins, le principal commençait à venir. Ce principe de la négation, sa petite famille ne le lui avait expliqué qu’une seule fois.
— Désolée, mais… comment est-ce qu’on ne peut pas faire un truc pareil ? demanda Lyrielle.
Contrairement aux autres, elle ne se montra pas hautaine ou moqueuse, ce qui empêcha Lya de mal réagir. Elle serra l’épaule de son frère pour le rassurer. Elle lui offrit aussi un sourire encourageant pour lui faire comprendre qu’il n’avait fait aucune erreur. Karel lui répondit par une expression reconnaissante. Oser se lancer malgré sa peur d’être encore moqué ne lui avait pas été simple. Lya reporta son attention sur Lyrielle.
— C’est bête ce que je vais dire, mais Lyrielle, toi aussi, tu es différente à ta façon. Tu sais, je n’ai jamais vu personne avec des yeux de deux couleurs différentes. Je sais que chez moi, il n’y a pas beaucoup de monde, mais j’ai vu plein de gens en ville, et tu as toi-même confirmé que ce n’était pas particulier à la Tribu des Glaciers. Tu es née comme ça, c’est tout. J’imagine que plein de personnes ont dû te le faire remarquer, parfois pas de la bonne manière. Ben mon frère, c’est pareil. Sauf que toi, ça ne semble pas affecter ta vue, et c’est une sacrée chance.
— Comment tu as deviné que j’ai pu être pointée du doigt ?
Lya lui sourit.
— À ton attitude le jour des entretiens. Tu étais en retrait, tu n’as osé t’exprimer que lorsque j’avais osé la première et parce que je continuais à tenir tête à l’autre idiot. Et même là, tu ne sembles pas avoir envie de te moquer. Ta question est sincère.
Lyrielle la regarda, impressionnée. Elle ne fut pas la seule. Passé l’étonnement, Karel afficha une expression fière. Dans le fond, il n’avait jamais douté de la vivacité d’esprit de sa sœur. Pour la première fois, elle avait aussi réussi à clarifier la situation sans se laisser déborder par ses sentiments.
— Ouais, bon, c’est quand même bizarre, faut avouer, s’excusa Lyrielle. Il faut s’y habituer. Et tant que j’y suis, Lya, c’est quoi, ta différence ? Autant déjà m’y préparer !
Lya élargit son sourire.
— Moi ? J’ai un frère apparu de nulle part et qui ne ressemble à personne !
Karel fixa Lya avec inquiétude. Que voulait-elle dire ? Était-ce un reproche ? Lya le surprit en l’embrassant sur la joue puis lui donna un petit coup dans l’épaule.
— C’était un compliment, idiot !
Karel lui répondit par un sourire gêné. Il devait vraiment apprendre à faire de nouveau confiance. Il regrettait de ne pouvoir l’exprimer, mais il trouvait que Lya exceptionnelle. Son esprit était ouvert et alerte, peut-être plus réfléchi que la grande généralité. Elle n’avait jamais mis en doute sa mutité avant même de savoir que ça existait. Elle l’avait seulement constaté et accepté comme s’il s’agissait d’une banalité.
— Bon ! conclut Lya. Vous venez ? On va se faire tuer si nous arrivons en retard ! Des « ennuis », quoi ! ajouta-t-elle en se rappelant que Karel ne maîtrisait pas encore très bien certaines expressions.
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