Chapitre 50 - 2

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  Ils se trouvaient tous dans une vaste cour au milieu de laquelle une estrade en bois trônait. L’enseignant passa devant chaque Apprenti.

— Chaque personne dispose de ressources, physiques et spirituelles. Chaque fois que vous utilisez la magie, avec ou contre votre volonté, cela puise dans vos capacités. D’où l’extrême importance de savoir maîtriser la quantité que vous devez utiliser. Certains sorts demandent plus d’énergie que d’autres, ce qui signifie que la plupart d’entre eux sont encore très dangereux à utiliser à votre niveau. En grandissant, vos capacités augmenteront, mais personne n’est égal sur ce plan-là.

  Quelques tournures furent encore un peu compliquées pour Karel. Il ne s’en inquiéta pas, car il se rendit compte qu’en réalité… il savait déjà tout ça. Ses pensées dérivèrent encore vers le Mage, lui procurant un sentiment partagé entre le malaise et la gêne. Embarrassé à l’idée de se demander s’il allait apprendre quelque chose de nouveau, et malaise parce qu’il ignorait si tout ce qu’il avait appris était une bonne chose.

  L’enseignant le toisa d’un regard sévère. Karel sentit un frisson lui parcourir l’échine.

— Jeune homme, je ne saurais tolérer les rêveries pendant mon cours.

  À son grand agacement, Karel entendit un ou deux ricanements discrets derrière lui. Ne pas perdre son calme. Cela n’en valait pas la peine. S’il montrait le moindre signe de contrariété, Lya s’inquiéterait et Karel ignorait comment elle réagirait.

— Premier exercice. Avec votre propre magie, entraînez-vous à écrire votre prénom. Cet exercice est plus difficile qu’il n’y paraît. Cela vous demande de doser votre énergie avec beaucoup de précision, le tout en démontrant que vous savez plier votre élément à votre volonté. Sans utiliser de ressource extérieure. Uniquement la vôtre.

  Karel jeta un discret coup d’œil à Lya, qui garda son attention sur l’enseignant en jouant avec une mèche de ses cheveux. Son frère reporta son attention sur le Mage en replaçant l’une de ses propres mèches derrière une oreille. Dans le même mouvement, il positionna son index verticalement pour signifier qu’il avait compris ce que l’enseignant attendait d’eux, conscient que Lya lui jetait un regard en biais pour recevoir son message codé. Personne ne faisait attention à ces petits gestes anodins, leur permettant ainsi de communiquer sans se faire repérer.

  Chaque élève commença. Karel remarqua très vite les difficultés de sa sœur. Elle fronçait le regard, son artéfact dans la main. Avec effort, une étincelle vive et informe se manifesta sous ses yeux. Son frère vint à sa rescousse. Il l’enjoignit à garder son calme en respirant un bon coup. Un des rares signes utilisés par les gens qui parlaient, cela n’attira donc pas les regards.

— Tu y arrives, toi ? lui demanda-t-elle. Parce que là, c’est désespérant…

  Karel tira son propre artéfact et se lança dans l’exercice. L’épée tenue à deux mains, la lame ne tarda pas à émettre un léger halo, signifiant que la magie opérait. Karel le ressentit aussitôt. Il visualisa d’abord ce qu’il souhaitait, puis apparurent les premières lettres de son prénom. Mal formées et peu visibles. Karel marqua une pause.

« Pas assez de magie. », comprit-il.

  Il manquait aussi de précision, comme depuis des années. Peut-être allait-il apprendre quelque chose, finalement.

  Karel regarda sa sœur et désigna son épée. Il longea la lame d’un doigt et remonta jusqu’à lui-même, pour lui faire comprendre que l’artéfact de Lya était une extension d’elle-même. Pour la question de la précision, il ne sut comment le lui expliquer en toute discrétion. Tant pis, ils verraient ce soir quand ils mettraient leurs notes en commun. Il conclut en désignant son cœur.

— Il faut ressentir, c’est ça ?

  Karel lui répondit par l’affirmative d’un léger mouvement de la tête. Il joignit ses mains devant lui, comme pour lui signifier qu’elle ne devait faire qu’un avec sa magie et se sentir unie à celle-ci. Lya lui sourit.

— Merci, je vais essayer.

  Elle serra son médaillon. Une légère tape sur ses doigts de la part de son frère lui indiqua qu’elle faisait déjà une erreur.

  Karel se plaça ostensiblement face à elle et saisit son propre artéfact de manière à ce que Lya voit bien comment est-ce qu’il s’y prenait pour la saisir, le geste ferme. L’épée brilla encore d’un léger halo. Karel s’arrêta, changea de main et montra celle qu’il avait utilisée à Lya : rien. Pas une blessure, pas une marque, contrairement à sa sœur dont les paumes étaient devenues rouges. La fillette comprit qu’elle n’était donc pas censée avoir mal, et encore moins se blesser.

  Lya fit un nouvel essai. Son médaillon luit d’un léger halo rouge sous le regard satisfait de Karel.

« Bien ! »

  Des lettres de feu commencèrent à apparaître, très hésitantes et encore un peu trop intenses. Leur forme laissait encore à désirer. Lorsque Lya revint à la réalité, Karel lui offrit un petit clin d’œil accompagné d’un sourire complice pour l’encourager. Il retourna à son propre exercice, déterminé.

« Toi capable. »

  Son prochain essai ne fut pas très satisfaisant non-plus. Encore trop peu. Karel retenta, mais cette fois, il fit la même bêtise que Lya et s’arrêta immédiatement, pris d’un essoufflement soudain. Il jeta un coup d’œil à son artéfact : il brillait un peu plus intensément avant de redevenir normal. Karel comprit que son artéfact canalisait le surplus de ressource qu’il utilisait, pour ensuite le lui rendre pour lui éviter le malaise. Karel comprit en cet instant la véritable importance de cet enjeu. Les Sorciers disposaient certes d’un objet leur permettant d’éviter que leurs pouvoirs ne les submergent, mais ils ne pouvaient pas s’en contenter. Il fallait qu’ils sachent maîtriser leur potentiel. La magie était quelque chose de complexe et précise, très peu de gens parvenaient à la perfection. Les Mages étaient sans conteste des gens vraiment particuliers. La puissance ne se résumait pas à la force, mais à son niveau de maîtrise.

  Karel recommença, cette fois en réajustant la quantité de pouvoir à envoyer. Si l’intensité lui parut suffisante, la forme des lettres laissait toujours fortement à désirer. Il se concentra, essayant de se représenter cette forme. Et dire que le Mage faisait ça comme si de rien n’était quand il lui avait appris la langue des signes, en formant des schémas divers et variés pour lui faire comprendre un mot…

  Karel secoua la tête. Non, il ne devait pas y penser. Il devait se concentrer sur le présent. Il regarda son épée pendant quelques secondes, puis la tint à la verticale devant lui. Ses doigts libres se posèrent sur la lame. Il traça dessus une première lettre invisible. La première lettre de son prénom en insufflant de nouveau sa magie, chose qu’il savait faire désormais naturellement, ce qui n’était pas le cas de la majorité des autres élèves. Alors qu’il s’aidait sur la lame, la lettre apparût devant son visage, cette fois d’une manière beaucoup plus claire. Encouragé, Karel traça le A. La lettre flotta sous ses yeux et effaça la précédente. L’Apprenti continua jusqu’à parvenir à dessiner la dernière lettre de son prénom qui disparut presque aussitôt.

  Il ne s’était pas rendu compte que beaucoup de regards s’étaient tournés vers lui. Karel se sentit mal à l’aise. Allons, bon, qu’est-ce qu’il avait mal fait, encore ? Il risqua un œil vers l’enseignant.

— Plutôt pas mal, bien que je ne m’attendais pas à ce résultat avant plusieurs séances. Par contre, le but est plutôt de savoir maintenir toutes les lettres en même temps dans la même intensité jusqu’à la fin et sans utiliser les doigts. Tu es en avance par rapport aux autres. Qui t’a appris comment contrôler tes pouvoirs ?

  Karel afficha une expression gênée. Même s’il pouvait parler, il ignorait s’il aurait pu répondre. Il avait appris la sinistre réputation de son ancien mentor à Var. Cette même réputation qui avait tant porté préjudice à Lya.

— J’attends une réponse.

  Karel se crispa. Bon sang, pourquoi est-ce qu’il y avait droit à chaque fois ? Pour la peine, au risque de passer pour quelqu’un de distrait, il se contenta de hausser les épaules, espérant que ça suffirait. Beaucoup avaient donc pris le parti de ne pas croire en la véracité de sa situation, pensant qu’il faisait un bête blocage psychologique, alors que c’était l’extrême inverse.

— Il ne le sait pas ! intervint Lya.

  L’enseignant lui jeta un œil soupçonneux.

— Tu es sûre, jeune fille ?

— Oui ! Je comprends très bien la langue des signes.

  Le Mage se tourna vers Karel.

— Vous vous moquez de moi, tous les deux. Après toutes ces années, tu dois forcément connaître la personne que tu as fréquentée !

  Karel afficha une moue gênée. Comment crier qu’il s’agissait de la pure vérité ? Le concept d’identité était inexistant. Lui-même ne connaissait la sienne que depuis quelques semaines. Son ancien mentor lui avait aussi menti sur ce qu’il était. Un sombre assassin, et non un père adoptif. Être incapable de le nommer rendait cette personne encore plus effrayante. Karel pouvait entendre parler de quelqu’un dans une conversation sans savoir s’il s’agissait de celle qui hantait son esprit et nourrissait ses angoisses.

  Au moment où Lya allait s’énerver, Lyrielle les rejoignit.

— Monsieur, parfois, on ne connaît pas vraiment les gens… il y a des fous de partout.

— Je vois bien votre petit jeu. Retournez à vos exercices.

  Alors qu’il s’éloignait, Karel ne put s’empêcher de se demander si la situation aurait été la même s’il avait été capable de parler. Il n’aurait jamais cru que son silence imposé puisse le protéger contre des questions… gênantes.

  Lya, de son côté, soupira de soulagement. Elle redoutait ce genre de situation presque autant que son frère.

— Pff, crâneur, cracha une voix. À croire qu’il faut toujours que tu te fasses remarquer en te donnant un genre, pauvre débile !

  Lya fulminait. Elle s’apprêta à envoyer une riposte cinglante à l’auteur de la moquerie accompagné d’un coup de poing, mais Karel retint son poignet avec fermeté. Il lui décocha un regard sévère.

— Je ne vais quand même pas les laisser te…

  Elle se coupa net en voyant l’expression de son frère se renforcer et sa poigne se resserrer. Il fit un simple signe sec de sa main libre pour lui signifier que ça n’en valait pas la peine.

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