Chapitre 52 - 2
Alors que Karel protestait en son for intérieur, Edmond le bouscula et lui lança un regard mauvais.
— C’est parfait, je vais pouvoir te remettre à ta place, le Sans-Voix qui s’y croit !
— Non, mais c’est quoi ton problème ? menaça Lya.
Karel tendit aussitôt le bras pour l’empêcher de se jeter sur Edmond.
— Karel… fais-moi plaisir, donne-lui une bonne leçon, grogna-t-elle.
Son frère ne répondit pas, refusant d’entrer dans ce genre de jeu. Cela lui paraissait tellement puérile…
— On se dépêche ! ordonna l’enseignant.
— On a peur, le péquenot Sans-Voix ? railla Edmond. Tu fais moins le fier, là, hein ? Tu ferais mieux de retourner dans ton village de bouseux ! Il n’y a pas de honte à ça, tu sais…
Karel inspira. Non, étrangement, il n’avait pas peur du tout. Il ressentait plutôt de l’agacement. C’était si facile de lui dire toutes ces choses en sachant qu’il ne pouvait pas répondre pour se défendre ! Si facile de le juger par pur besoin de se sentir supérieur. Karel se surprit à trouver ce garçon pathétique. Quel était l’intérêt d’accorder la moindre attention à ces provocations stupides, sans fondement et aussi vides de sens ?
D’une pression de la main, il fit signe à sa sœur de ne surtout pas réagir. Karel monta sur l’estrade à l’opposé d’Edmond. Les regards autour de lui le gênèrent, aussi essaya-t-il de ne pas s’en préoccuper. Il souhaitait seulement rester discret après s’être fait autant remarquer le jour des admissions.
— Cette estrade dispose d’une barrière pour éviter les coups perdus au-dehors, expliqua l’enseignant. N’ayez donc aucune crainte par rapport à ça. Utilisez uniquement la magie. Veuillez commencer.
— Je vais t’écraser, le débile Sans-Voix !
Karel dégaina son artéfact de son dos. Il n’était pas sûr de lui. Il n’appréciait pas non-plus l’idée que cela passe pour un règlement de compte.
— Tu as peur, que tu ne commences pas à attaquer ? Et après, ça se la raconte !
Karel continua d’attendre une première réaction. Il ne tenait pas à faire du mal à qui que ce soit. Malgré-lui, il se souvint de ses séances d’entraînement avec le Mage et frissonna. L’avait-il vraiment formé pour devenir un assassin ?
— Viens pas pleurer !
Edmond tendit une amulette qui brilla et envoya un rayon de foudre vers Karel. Celui-ci l’évita d’un simple écart sur le côté. Le rayon rebondit sur les parois invisibles de la barrière. Edmond grogna de frustration et enchaîna maladroitement ses attaques. Karel eut un peu plus de mal à esquiver plusieurs salves en même temps. En dépit de son appréhension, il décida de suivre les conseils de son ancien mentor. Visualiser la situation, les options qui s’offraient à lui, et faire en fonction.
Karel esquiva la première salve avec une agilité qui provoqua des exclamations de stupeur. Il bloqua un second rayon d’un mouvement de son épée, mais bougea légèrement trop tard pour le troisième qui effleura son oreille. L’impact électrique le raidit et l’épée tomba à ses pieds dans un fracas métallique. Karel plaqua ses mains sur ses oreilles douloureuses. La déflagration sonore se répandit dans sa boîte crânienne toute entière, causant des bourdonnements sonores dans ses canaux auditifs.
Les réflexes que le Mage lui avait appris lui revinrent très vite. Karel se força à se concentrer en refoulant sa douleur, ce qui lui permit d’esquiver un autre sort d’un bond rapide sur le côté. Edmond avait une manche brûlée par sa propre foudre.
Karel prit conscience qu’il n’entendait plus que d’un côté, l’autre était paralysé par un acouphène interminable.
« Je n’ai rien ! Je n’ai pas mal ! »
Karel se jeta sur son artéfact mais un autre éclair l’en empêcha. Edmond utilisait toujours les mêmes attaques.
« Pas de variations ? »
Karel décida d’utiliser cela à son avantage. Maintenant, il parvenait à prévoir plus ou moins la trajectoire des éclairs. Karel se baissa pour en éviter un autre et tendit vivement sa main vers son artéfact qui bougea, attiré comme un aimant vers sa main tendue. Il la dirigea aussitôt vers le sol dans un grand mouvement ample. L’estrade trembla, une crevasse serpenta de la pointe jusqu’aux pieds d’Edmond qui perdit l’équilibre. Karel acheva le duel en envoyant une onde psychique d’une main vers son adversaire. Edmond tomba dans la crevasse, qui ne faisait pas plus d’un mètre de profondeur.
Un silence s’abattit sur l’assemblée et l’enseignant déclara très vite la fin du duel en jurant sur l’état de l’estrade. Il ne s’était pas du tout attendu à ça de la part d’un Apprenti, particulièrement en moins d’une semaine.
D’un geste, il désactiva la barrière alors qu’Edmond se relevait et toisait Karel avec haine. Celui-ci l’ignora et descendit vite afin de se faire oublier. Il rangea prestement son artéfact dans le fourreau accroché en bandoulière dans son dos.
— Karel ! éclata une voix bien reconnaissable.
À peine son pied atteignit le sol que des bras se jetèrent à son cou pour l’étreindre.
— Karel, espèce de crétin, tu m’as fait peur, imbécile ! lui reprocha Lya, visiblement bouleversée. Il a osé te toucher ! Je vais le…
Karel l’étreignit pour la rassurer. Son acouphène diminuait enfin et ne ressentait plus la douleur depuis longtemps.
— En tout cas, bravo, tu lui as donné une bonne leçon à ce vantard, le complimenta Lyrielle.
Karel se rembrunit. Il sentait que ce n’était malheureusement que le début d’une longue suite de mauvais tours… Pour lui, il n’y avait pas de quoi se réjouir.
Deux heures s’écoulèrent au cours de lesquelles chaque élève passait en duel. L’anxiété gagna Karel lorsque ce fut le tour de Lya, qui fit face à l’un des acolytes d’Edmond. Le garçon brandit sa lance qui envoya une salve de vent qui fit reculer Lya.
« Vas-y. Ressens, puis réponds. »
Le garçon la harcela d’attaques. Agile, Lya parvint cette fois à esquiver sur le côté. Dans le mouvement, elle saisit son médaillon qui émit une lueur rouge. L’estrade s’embrasa. Karel se liquéfia.
L’enseignant agit aussitôt et actionna un dispositif qui téléporta aussitôt les deux enfants hors de l’estrade ignifugée, tous les deux stupéfaits.
Au milieu des murmures, Karel rejoignit aussitôt sa sœur, paniqué, et fut effaré de la voir blême. Pourtant, elle lui afficha un sourire fier alors que Lyrielle arrivait.
— Vous avez vu ? J’ai réussi à le…
Elle n’acheva pas sa phrase. Lya perdit ses couleurs et s’écroula subitement. Karel se glaça mais la rattrapa à temps. Il pesta. Emportée par sa colère, Lya avait mis trop d’intensité dans ses sorts et elle le payait. Karel frissonna au souvenir de son ancien mentor explosant des bougies pour lui montrer ce qui pouvait arriver si on ne respectait pas ses limites. L’inquiétude de Karel grandit et l’angoisse le saisit. Lya était-elle allée trop loin ?
— Le vent décuple l’effet de certains éléments, indiqua l’enseignant. Apprenez, que vous soyez porteur de cette magie ou non, à utiliser cet élément à votre avantage, ou les dégâts pourraient être considérables.
Sur ces mots, il rejoignit les trois enfants et s’approcha de Lya afin de la prendre de ses bras. Karel lui envoya un regard lourd de reproches. Que lui voulait-il ?
— Je vais l’emmener à l’infirmerie, tu n’as pas à t’inquiéter. Tu pourras venir la voir tout à l’heure. Je te prierai de bien vouloir te plier à ce que l’on te demande, jeune homme, ou nous devrons prendre quelques mesures pour corriger ton attitude. Je te conseille vivement de changer de comportement dès maintenant.
Karel voulut protester, mais une main de Lyrielle sur son épaule le coupa dans son élan.
— Tu ferais mieux de l’écouter, lui souffla-t-elle. Ce n’est rien, je te le promets. Elle va vite revenir. Elle est forte, tu sais ? Je l’admire beaucoup. Puis jamais les professeurs ne l’auraient laissée surpasser ses limites. N’oublie pas qu’ils sont là pour nous protéger.
Karel aurait tant voulu avoir le don de la parole ! Il se sentait de plus en plus mal à mesure que sa sœur, dans les bras de l’enseignant, disparaissait de son champ de vision. Si elle savait… lui aussi l’admirait. Il l’aimait. Il avait pris son rôle de frère aîné très au sérieux. Elle lui apportait tant chaque jour ! Sans elle, il était perdu dans ce monde beaucoup trop vaste.
— Elle va bien, lui assura Lyrielle. Ils vont la soigner. À la première occasion, nous irons la voir.
Annotations
Versions