Chapitre 55 - 1

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  Cinq jours s’étaient écoulés, et le soir du cinquième, comme promis, leurs parents arrivèrent. Karel fut envahi d’un soulagement si intense qu’une larme de bonheur roula sur sa joue.

« Ils n’ont pas menti ! »

  Son angoisse de l’abandon s’atténuait enfin. Eylen et Sorel avaient tenu leur promesse. Cela signifiait que tout ce qu’ils avaient pu lui dire étaient vrais aussi. Karel ne put s’empêcher de faire un parallèle avec le Mage, et se rendit compte qu’il se sentait toujours profondément blessé par ce qu’il lui avait fait. Il avait le sentiment que cette plaie ne se refermerait jamais.

  Lya se jeta dans leurs bras à leur arrivée. Karel resta plus distant et leur offrit un sincère sourire de bienvenue. Il avait encore du mal à se sentir proches de ses parents, à son grand regret. Il espérait que le temps lui permettrait de créer ce même lien qui les reliait à Lya. Était-ce pareil à celui qu’il avait pu avoir avec cette femme aux yeux verts ? Un voile d’ombre passa sur l’expression de Karel. Non, comme le Mage, elle avait fait semblant. Ce lien, il l’enviait. Il désirait le ressentir, au point de s’être parfois forcé, sans résultat. L’adolescent s’efforça de chasser sa sombre humeur afin de ne pas gâcher ces retrouvailles.

  La main de Sorel se posa sur son épaule.

— Tu vas bien, mon grand ?

  Karel chassa ses larmes et hocha la tête avec un sourire sincère.

« Comme jamais », pensa-t-il en même temps qu’il signa un « merci » avec émotion. « Merci d’avoir tenu votre promesse. »

  Sorel le prit dans ses bras.

— Nous te l’avons dit. Ta vie change et nous ferons tout pour mériter ta confiance.

  Pour toute réponse, Karel lui rendit son étreinte. Lui aussi redoublerait d’efforts afin de s’adapter à cette nouvelle vie, maintenant qu’il savait qu’il pouvait se fier à sa famille.

— Comment s’est passée la semaine ? demanda Eylen.

— Superbe ! s’exclama Lya. Nous avons une nouvelle amie ! Elle s’appelle Lyrielle et elle vient de l’Archipel des Glaciers, tu te rends compte ? Ça veut dire qu’elle a dû traverser la région de la Forêt du Vent pour venir ! Heureusement qu’il y avait les Tribus pour la protéger !

— Nous avons reçu une convocation de l’Académie, expliqua Sorel. Nous allons devoir retarder un peu notre départ.

  Lya se liquéfia.

— Mais Papa ! Je te jure que cette fois, je me suis bien comportée ! Enfin… sauf hier quand j’ai donné un coup de pied dans l’entrejambe d’Edmond, parce qu’il nous a beaucoup embêté !

— Lya ! s’écria Eylen.

— Oh, ne t’en fais pas, il n’a rien dit, il a eu trop honte. Mais c’était mérité, Maman !

— Ce n’est pas une raison, raisonna Sorel.

  Karel intervint cette fois sans hésiter et se plaça ostensiblement devant sa sœur dans un geste protecteur, et plongea un regard sérieux dans celui de leurs parents. Les deux adultes continrent un soupir.

— De toute manière, ce n’est pas pour ça que l’Académie nous convoque, conclut Eylen. Apparemment, ils veulent vous séparer… nous allons essayer d’arranger ça.

— Magnifique prétexte, oui ! grogna Sorel. Je suis ravi à l’idée de perdre mon temps !

  Lya et Karel les interrogèrent du regard. Eylen soupira. Afin de protéger sa fille, elle lui avait caché l’existence de Karel, un stratagème qui avait eu des séquelles désastreuses sur elle, notamment ses problèmes d’attention et ses colères difficiles à gérer. Eylen se refusait de recommencer, d’autant plus avec ses deux enfants, cette fois. Elle regarda son fils.

— Ils veulent en savoir plus sur toi, mon chéri.

  Karel se figea et l’expression de Lya s’assombrit.

— Personne ne pourrait le laisser tranquille ? s’écria-t-elle avec colère en prenant le bras de son frère.

— Ne vous inquiétez pas, rassura Eylen avec un sourire. Nous allons régler ça. De toute façon, nous ne savons rien sur ce qui t’es arrivé, Karel. Que veux-tu que l’on dise de plus ? C’est pour ça que Papa est énervé. Parce que nous savons d’avance que cette discussion ne mènera à rien. Mais elle aura au moins le mérite d’éclaircir certaines choses. Restez encore un peu avec Phaïstos. Nous revenons vite vous chercher.

  Sur ces mots, ils s’éloignèrent de la forge.

— Merci.

  Karel se tourna vers sa sœur, qui lui offrait une expression reconnaissante.

— Merci, pour m’avoir soutenue. Je t’adore, tu le sais, ça ?

  Son frère remarqua la lueur inquiète dans le fond de son regard. Il commençait à bien la connaître. Même quand elle se sentait mal, Lya faisait en sorte de masquer ses tourments. Karel se fit insistant et forma le mot « confiance ». Il lui prit la main et l’emmena s’asseoir sur un banc posé contre le bâtiment de la forge.

« Parle-moi. »

  Lya fixa le banc.

— Ce… c’est que… c’est que, tu sais, Maman et Papa sont restés bien marqués par ta naissance. Je me dis que cette discussion va leur rappeler des mauvais souvenirs. Ils risquent donc d’avoir encore mal… et je déteste quand on leur fait du mal.

  Karel ne fut pas étonné. Il tenait à l’aider et insista encore pour qu’elle se confie pleinement. Pour tout ce qu’elle avait fait pour lui, il estimait avoir une dette éternelle à son encontre. Lya lui offrit une expression gênée et tordit ses mains.

— Ben… à ce qui paraît, quand Maman était enceinte de moi, Phaïstos m’a raconté qu’ils étaient super angoissés, et que rien que pour ça, Maman a été bien malade pendant toute sa grossesse… quand elle m’a mise au monde, elle et Papa étaient terrifiés. Aussitôt après ma naissance, ils sont venus ici pendant quelques semaines, pour s’éloigner du village qui leur rappelait trop ces souvenirs. S’occuper de moi leur était très difficile. Phaïstos m’a dit qu’ils étaient devenus paranoïaques les premières semaines… ils ne sont revenus à Var que lorsqu’ils ont arrêté de vivre dans la peur de me perdre à chaque instant et qu’ils ont été capables de profiter de leur parentalité avec moi.

  Le cœur de Karel se serra. S’il avait eu un aperçu des effets de son absence sur Lya, il se rendait compte qu’il avait sous-estimé celui de ses parents. Sa peine et sa propre culpabilité grandirent à l’idée de ne pas éprouver autant d’affection que ce qu’il devrait, et qu’il souhaitait pourtant de façon sincère. Il ignorait si ce lien coupé par le Mage était réparable.

  Afin de passer le temps, tous les deux aidèrent avec ardeur Phaïstos dans ses ouvrages. La forge fut un excellent terrain d’entraînement pour Lya, qui parvint à assister le forgeron avec dextérité, lui permettant de gagner un temps précieux dans les commandes. Phaïstos eut tant d’avance que tous les trois rangeaient déjà l’atelier en milieu d’après-midi. Après cette activité éprouvante, Phaïstos porta un plateau avec trois grands verres d’eau fraiche en invitant les enfants à se servir.

— Ah ! J’ai beau savoir que vous allez revenir, vous allez quand même me manquer, tous les deux ! fit-il après avoir vidé son verre. Ma forge sera bien vide sans vous !

  Karel signa. Phaïstos en avait appris quelques-uns avec l’aide de Lya. Il raccrocha son tablier et afficha un sourire mélancolique.

— Oui, j’ai eu deux enfants, mais ils sont grands, maintenant. Une fille Sans-Pouvoir comme moi, et un fils Sorcier. Ils ont fait leur vie, tu sais. C’est pour ça que j’ai trois chambres ici, donc tu vois, j’avais largement la place de t’accueillir ! Et même sans ça, la question ne se posait même pas. Tu sais, je me suis senti tellement heureux quand j’ai su que tu étais le fils perdu d’Eylen et Sorel ! C’est un miracle digne des Dragons, ça, je te le dis, mon petit ! En parlant de joie, je vais sûrement devenir grand-père, aussi. J’ai hâte de le voir jouer par ici, cette ou ce petit !

— Félicitations, Phaïstos ! s’écria Lya en se jetant à sa taille.

  Phaïstos rit en lui ébouriffant les cheveux. Karel étira un sourire, attendri. Il s’était surpris à apprécier le forgeron. Il lui apparaissait être un bon ami pour sa famille, et il n’avait pas fait grand cas de son handicap.

  En fin de journée, ils furent déjà loin de Sheyral, sur les routes. Karel fut soulagé de voir cette ville devenir de plus en plus petite à mesure que le chariot s’éloignait. Ces derniers jours avaient été éreintants.

  À l’intérieur, Lya s’assit en face de lui à même le plancher.

— Je sais que je te l’ai déjà dit, mais… merci encore pour m’avoir ramené ça, lui fit-elle en désignant son artéfact.

« Ce n’est rien », signa Karel.

— Non, sérieusement ! Sans ça, je n’aurai plus pu utiliser la magie, pire, elle aurait peut-être fini par me consumer ! Ces crétins n’ont vraiment aucune conscience de ça. Puis d’après ce qui s’est dit, il paraît que tu leur as flanqué une bonne leçon ! Bien joué !

  Regard interrogateur de son frère. Lya se corrigea en exécutant le signe adéquat.

— « Flanquer », « donner », quoi. Faut vraiment t’initier, toi !

  Karel lui fit comprendre que malgré ce manque de compréhension, il avait quand même saisi où elle avait voulu en venir.

— Sérieusement, comment as-tu appris tout ça ? lui demanda-t-elle, curieuse.

  Karel hésita. Il connaissait l’aversion de Lya pour le Mage. Elle supportait difficilement tout ce qui lui était lié. Karel ne se voyait donc pas encore lui dire la vérité à ce sujet, bien qu’il fût certain qu’elle finirait par s’en douter, en grandissant. Karel préféra hausser les épaules, comme pour dire qu’il n’en savait rien. Ce qui était en partie vrai : lui-même faisait cela naturellement. Il avait encore quelques difficultés, mais il s’agissait seulement de corrections à faire.

  Lya parut déçue de ne pas avoir de réponse claire, mais au soulagement de son frère, elle décida de s’en contenter… pour l’instant. Karel n’était pas dupe : Lya était intelligente, elle n’en pensait jamais moins derrière ses grands airs. Un jour, elle reviendrait à la charge, et il serait alors bien obligé de lui dire les choses. Lya l’embrassa sur la joue avant de lui offrir un petit sourire malicieux bien à elle.

— Tu es le meilleur grand frère du monde, Karel. Je t’aime.

  Son frère lui répondit par une expression bienveillante, bien qu’il ne comprenait pas ce qu’il avait d’exceptionnel pour mériter un tel compliment. Il se promit de continuer à faire de son mieux pour mériter ce statut. Lya avait tant supporté. Il était temps de l’alléger du poids qu’elle portait sur ses épaules depuis sa naissance. Lya se lova dans ses bras, et Karel l’enlaça d’un geste protecteur. Cette seule proximité suffisait à le combler de bonheur. Enfin apaisé et serein, il se laissa bercer par le cahot du chariot.

Suite ===>

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