Chapitre 9

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  Le centre de la Cryosphère ressemblait à un dôme…

  … À ça prêt qu’en son centre il se complétait par une alcôve de forme rectangulaire. De l’extérieur, le complexe n’était pas bien impressionnant, chose étonnante lorsqu’on savait qu’il ne regroupait pas moins d’un millier de patients.

  Cette tendance fut une lubie lorsque les premières théories de glaciations furent évoquées par certains scientifiques. Les habitants du monde souhaitaient se présager du grand froid jusqu’à ce que celui-ci arrive pour de bon.

  L’entrée des visiteurs était surveillée par une hôtesse, assise derrière un long comptoir en bois brut. Celle-ci salua Cleve à son arrivée, et prévenu aussitôt le chef des lieux lorsque l’agent demanda à le rencontrer.

  Howard Dun était un homme grand à l’allure soignée. Des cheveux coiffés en brosse dévoilaient par endroit des zones parsemées de blanc. Il salua l’agent à son arrivée, d’un sourire sincère, puis lui empoigna une main ferme et particulièrement chaleureuse.

  — Je suis surpris que votre Division s’intéresse à mon entreprise, déclara le directeur. J’espère que je pourrais néanmoins faciliter votre enquête, quel qu’elle soit.

  — Pour parler franchement, ma Division n’est en rien dans cette affaire. Mais ma venue sera brève, rassurez-vous.

  — Très bien. Mais laissez-moi, dans un premier temps vous faire une visite des lieux. J’insiste. Je parierais que vous n’êtes encore jamais venus dans un complexe aussi important auparavant.

  — J'accepte, répondit l'agent.

  Le directeur sourit brièvement avant de convier son hôte à le suivre vers un ascenseur.

  Profitant de la descente, Howard fit étalage de ce qu’il semblait chérir au plus profond de son être, et se sentait presque obligé de vanter son complexe :

  — Le bâtiment a été construit à partir d’un ancien hangar militaire. L’ossature est munie d’une protection renforcée en cas d’attaque nucléaire, ou de missiles. Un avion pourrait s’écraser sur la toiture que vous ne sentiriez qu’un léger tremblement.

  Les parois en verre de l’ascenseur permettaient une vue d’ensemble sur chacun des étages qui constituait les niveaux en sous-sol. Et tandis que l’ascenseur poursuivait sa descente, Howard continuait :

  — À la fin du siècle dernier, notre clientèle était uniquement faite de personnalités, les tarifs constituant un frein pour le petit peuple. Il fallut attendre nombre d’années avant que cela ne devienne bien plus abordable. Et c’est à ce moment-là que les affaires furent fleurissantes, et les locaux durent s’agrandir.

  L’ascenseur atteignit le niveau zéro.

  — Nous dûment creuser suffisamment profond afin d’accueillir tous les demandeurs. Les travaux mirent plusieurs années pour que tout soit parfaitement en place, mais ce fut propice pour mon père qui chérissait son entreprise. Et voyez aujourd’hui ce que cela a donné.

  Les portes s’ouvrirent et Cleve découvrit plusieurs machines de forme ovoïdales, toutes reliées à un serveur central qui communiquait avec les niveaux supérieurs. Howard observait le complexe d’un regard admiratif, jetant un bref coup d’œil à son invité, espérant le voir s’émerveiller à son tour.

  La visite de l’endroit fut courte, puis ils poursuivirent en prenant un second ascenseur.

  La partie inférieure abritait les patients les plus anciens. En entrant, Cleve sentit ses poils s’hérisser, comme si la froideur des corps avait eu un impact sur son organisme. Et il se raidit en constatant la présence d’un individu dans l’un des silos. C’était bien moins abstrait que dans son imagination, ce qu’il éprouva avec une légère difficulté . Le savoir était une chose. Le voir lui sembla plus compliqué à assimiler.

  Un homme flottait, inconscient, baigné dans un liquide bleuté. Un masque recouvrait son visage, duquel un long et large tuyau venait s’échapper pour rejoindre les circuits d’oxygène.

  — Et voilà le berceau ! détona fièrement le directeur, levant les mains au ciel.

  L’endroit était effectivement impressionnant et ne laissait percevoir l’horizon que par un lointain mirage infranchissable.

  Puis Cleve aperçut d’autres corps, eux aussi logés dans des hublots cylindriques dont chaque paroi en verre – renforcée par un alliage proche de l’inox – révélaient leur présence, plongée dans un bain somnolent. Les tubes pendaient par de longues tiges en acier, eux-mêmes suspendus à des barres transversales. Les patients demeuraient ainsi, pendus comme du linge sur une tringle. Ils semblaient alors plongés dans un sommeil sans rêve.

  — Les réveils sont fréquents ? demanda Cleve sans parvenir à quitter les silos des yeux.

  — On n’en a hélas pas très souvent. Je ne suis pas de la bonne génération.

  — Je ne saisis pas bien.

  — Nous ne sommes pas dans une période propice à une vie plaisante. Les astres ne nous prédisaient pas une nouvelle ère, et nos patients font confiance aux étoiles.

  — Et récemment ? Aucun d’eux n’a émergé de vos souterrains blindés ?

  — Pas depuis quelques mois. Je n’ai plus la date exacte, mais….

  L’homme respira profondément, comme pour réfléchir, puis expira sa réponse dans un soufflement faible :

  — Il y a trois ou quatre mois je dirai… pas plus.

  — Le produit que vous leur injectez… le…

  — Le tasiote, reprit Howard. C’est pour cela que vous êtes venu, inspecteur ?

  — Il provoque une coloration de l’iris, c’est bien ça ?

  — Tout à fait. Mais cela n’a rien de nocif. Cette substance permet le maintien des systèmes cérébraux. Pour les plus longues durées, le produit peut s’avérer plus que nécessaire, des risques de lésions irréversibles pourraient alors être à déplorer une fois le patient réveillé. Pour ce qui est des durées plus courtes, c’est en signe de prévention.

  — La durée peut jouer sur la résistance de la coloration de l’iris ?

  Le directeur eut un rire dissimulé.

  — Absolument pas. La période de congélation n’a aucune incidence. Le produit inoculé durant vingt-quatre heures mettra autant de temps à disparaître que s’il avait été contenu dans votre organisme pendant plus d’un siècle.

  — Au bout de combien de temps l'effet peut disparaître ?

  — Une quinzaine de jours. Tout au plus je dirai. Mais j’ai dû mal à comprendre la corrélation entre le tasiote et votre enquête, inspecteur Dunston.

  Un court silence demeura figé au milieu des corps inertes, comme intangible.

  — Jusqu’à présent, reprit Howard, mon entreprise n’a enfreint aucune loi, me semble-t-il. Et si ça avait été le cas, j’en aurais aussitôt été informé. Je vous l’assure.

  — Je ne fais que naviguer entre toutes les supputations qui finiront par me mener au terme de cette enquête. Je l’espère…

  Howard Dunn eut un regard incrédule et presque distant.

  Finalement, Cleve se tourna pour se rendre compte qu’il ignorait par où ils étaient entrés. Seul, il se retrouverait comme Jack Nicholson au milieu du labyrinthe de glace, préférant la folie à une mort consciente.

  — Je vous raccompagne, dit alors le maître des lieux.

  Cleve se demanda si l’homme venait de lire en lui. Ceci étant, l’inquiétude qui dépeignait son visage l’aurait trahi auprès de n’importe qui.

  Les deux hommes se quittèrent au milieu du hall d’entrée. Une fois sorti du dôme, Cleve se sentit comme délivré de cette forteresse glacée.

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