Chapitre 6

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Elle crie, elle pleure, les visages se mélangent, l’ombre la tire par les cheveux, la jette sur un lit, elle se débat, mais rien n’y fait. Elle a peur, toujours peur, elle ne sait pas comment se défendre, comment arrêter les coups. Elle crie plus fort, mais personne ne l’entend. Personne ne vient jamais. Elle ne sait plus qui est son agresseur, les traits se confondent, créant une passerelle entre le passé et le présent.

- Eva, Eva, réveillez-vous !

Elle sursauta, ouvrit péniblement les yeux. L'ombre d'un homme se penchait sur elle. Elle le frappa de toutes ses forces. Un râle de souffrance lui répondit alors que la forme ténébreuse lui attrapait les mains. Elle mit du temps à comprendre où elle se trouvait, ce qu’elle faisait là, ce qu’il faisait là. Elle se recroquevilla sur le montant du lit, les yeux hagards, désorientée.

- C’est un cauchemar Eva, vous êtes chez vous en sécurité. Il massait sa joue, endolorie par le coup.

Ses nerfs lâchèrent, elle se mit à pleurer, la tête dans ses genoux. German impuissant face à sa détresse, aurait voulu voir Marlon Horton en pièce. Il s’assit à côté d’elle et lui caressa doucement les cheveux. Elle leva ses magnifiques yeux vers lui. Subjugué par ce regard, il savait d’instinct qu’il pourrait y rester plongé pendant des heures. Avec précaution, il s’approcha d’elle et la serra dans ses bras pour la réconforter. Elle se crispa d’abord puis se détendit dans le creux de son épaule. Elle laissa aller son chagrin silencieux.

- Tout va bien, Eva, je suis là, il ne peut rien vous arriver.

Au bout de quelques minutes, sa respiration se ralentit, devint régulière. Il comprit qu’elle s’était endormie. Il la bascula délicatement sur l’oreiller et laissa la porte de la chambre ouverte en sortant.

Le crépitement du beurre dans la casserole et sa douce odeur de cuisson vinrent la sortir de son sommeil. Son cauchemar, clément, n'était pas revenu la tourmenter et elle se sentait revigorée. Elle émergea du lit et se dirigea dans la cuisine vêtue de son pyjama chemise trop grand pour elle.

German, toujours en costume, devant la cuisinière, mitonnait des œufs et du bacon. Entendant son pas sur le parquet craquelant, il se retourna et lui sourit.

- J’espère que vous avez faim, allez installez-vous Eva.

Eva s’assit sur la table de la cuisine et German lui mit une copieuse assiette sous le nez. Il lui versa aussi une grosse tasse de café. Elle lui sourit, ses yeux n’était plus terrifiés, mais encore bleuis des méandres de sa nuit.

- Je vais devoir y aller, Eva, mais je repasserais en fin de journée et nous prendrons le temps de discuter de cette histoire.

- D’accord, dit-elle en prenant une première bouchée. Hum, c’est bon.

German sourit de sa remarque.

- Œuf brouillé au bacon, c’est ma spécialité. Mangez tout et reprenez des forces Eva.

Sur ces mots, il passa la porte sans se retourner. À peine sorti, on frappa et Peter, son voisin, entra sans attendre de réponse comme à son habitude :

- Qui est ce beau gosse que je viens de voir sortir de chez toi au petit matin ?

- Mon patron

- M. Abusif ?

- Hum, hum dit-elle finissant d’engloutir son assiette.

Peter remarqua soudain la joue violacée d’Eva.

- Que t’est-il arrivé ma chérie ? J’espère que ce n’est pas ce connard d’Abusif qui t’a fait ça. dit-il en lui prenant le menton entre le pouce et l’index pour observer la blessure

- Non et heureusement qu’il était là.

- Raconte-moi. dit Peter en s’installant sur le canapé.

- Tu ne dois pas aller travailler ?

- Pas question, pas avant que tu m’aies tout dit.

Il tapotait la place à côté de lui, invitant Eva à venir s’asseoir. Eva s'exécuta et posa la tête sur l’épaule de Peter.

- Marlon Horton m’a agressé hier soir.

- M. Baladeuse ?

- Oui, il a voulu… Elle prit une grande inspiration. Il a voulu... M. Baxter est arrivé juste à temps.

- Mon Dieu, ma chérie, dit-il en la serrant dans ses bras. Je ne comprendrais jamais ces hommes vraiment, je donnerais cher pour lui mettre ma main dans la figure à celui-là.

- M. Abusif s’en ai chargé.

- Oh, je crois que j’aime de plus en plus ce M. Abusif ou M. Beau comme un dieu et tu me l’avais caché. dit Peter en lui pinçant la cuisse. Tu veux que je reste avec toi aujourd’hui ? dit-il reprenant son sérieux.

- Oh non, je ne voudrais pas te faire manquer le travail.

- Au diable le travail Eva, tu es mon amie, c’est bien plus important.

La journée défila sans qu’elle ne s'en rende compte, Peter l’emmena se promener à Central Park, ils mangèrent des hot-dogs, regardèrent un film, firent une séance de sport intensive. En fin de journée Peter qui avait échangé ses horaires avec un collègue de la salle de sport où il travaillait dû la laisser. Quelques minutes après le départ de Peter, on frappa à la porte.

Quand elle ouvrit, elle se trouva nez à nez avec German Baxter. Elle avait oublié qu’il devait revenir ce soir et elle ne portait qu'un legging et une brassière de sport.

- Oh, j’avais oublié que vous deviez passer.

German ne put s’empêcher de poser ses yeux sur ses seins, ses hanches, en fait sur elle entièrement car c’est la première fois qu’il la voyait sans ces vêtements difformes. Elle était féminine. Elle était même belle. Il ressentit une bouffée de désir, de la prendre dans ses bras et de… Quoi l’embrasser ? Que lui arrivait-il d’un coup ? Il se sermonna mentalement, il venait pour consoler une fille qui hier soir avait failli se faire violer alors ses pensées érotiques n’avaient pas lieu d’être. Surtout, surtout pas avec sa propre assistante.

- Ne restez pas sur le palier, entrez dit Eva sur un sourire.

Elle se décala pour le laisser passer et une fois German entré, elle prit sa grosse veste en laine sur le canapé qu’elle enfila rapidement. Il la regarda, se demandant pourquoi elle mettait tant d’énergie à se cacher, dissimuler son joli corps dans des vêtements trop grands, camoufler ses magnifiques yeux sous d’horribles lunettes.

- Je vous débarrasse. dit Eva en tendant la main vers la bouteille et la sacoche qu’il portait

- Euh, oui, je me suis souvenu que vous aimiez le vin rouge, le bordeaux, je crois ?

- Je ne saurais faire mentir mes origines. Oh un Lalande de pomerol !

Eva se dirigea vers la cuisine, posa la bouteille sur le plan de travail et se mit sur la pointe des pieds pour attraper des verres à vin dans le placard du haut.

- Vous êtes connaisseuse à ce que je vois.

- Disons que je connais mes classiques. dit-elle en servant le nectar rouge après avoir ouvert la bouteille.

- Vous parliez de vos origines….

- Oui, je suis française.

- Oh ! Avec votre nom, j’aurais pensé à quelque chose de plus latin.

Elle lui tendit un verre.

- Bon Eva, Marlon a posé sa démission ce matin et il sera parti vendredi. Pour le moment, vous pouvez rester chez vous jusqu’à ce qu’il ne soit plus dans nos locaux et revenir lundi.

- Merci M. Baxter, c’est très gentil à vous.

- Je voulais aussi vous dire que si vous souhaitez porter plainte, Je me porterai témoin.

- Je ne crois pas que cela soit nécessaire, je préfère que personne ne soit au courant.

- Il n’y a pas de honte à avoir Eva, c’est lui qui doit avoir honte et pas vous.

- Peut-être, mais…

Comme il sentait le stress monter dans sa voix, il préféra ne pas insister pour l’instant. Il but une gorgée.

- Très bien comme vous voulez Eva.

- Merci M. Baxter, si vous n’étiez pas arrivé….

- German…

- Comment ?

- German, je m’appelle German. dit-il en souriant.

- Oh, eh bien merci German.

- Je vous ai amené votre ordinateur. dit-il en désignant la sacoche qu’Eva avait posée sur la table.

Elle le regarda interloquée.

- Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais que vous puissiez travailler sur la présentation de notre réunion d’équipe de mardi.

- D’accord

- Il faut que nous calions au plus vite l'organisation de la Fashion Week à Paris en mars prochain.

- C’est très ambitieux comme projet à court terme, vous savez. répondit Eva après un bref silence.

- Oui, mais un excellent moyen de nous faire connaître outre atlantique.

Eva reconnaissait bien le German qu'elle commençait à appréhender.

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