V
Vivian avait encore l’épée levée et regardait le Gunman d’un air penaud. Tous purent voir ses yeux horrifiés par la découverte du corps de sa femme. Plus personne n’osa parler.
L’homme était un revenant réanimé par la haine. Des voleurs avaient échangé la vie de sa femme contre trois misérables sous. Il avait été tué peu de temps après en essayant de la venger. Mais il était impensable qu’il s’en aille en laissant ces brutes impunies. Il avait parcouru sans compter des miles dans le désert pour retrouver leur trace. Il les avait traqués un par un. Tous, étaient morts rapidement. Après avoir éliminé le dernier membre de la bande, il pensait que tout était fini. La colère qui l’avait porté durant son périple s’était tue. Il ne lui restait que la tristesse, insuffisante pour combler le vide qu’elle avait laissé. Il croyait ne plus jamais ressentir pareille douleur.
Mais en voyant ce monstre la décapiter, il réalisa qu’il l’avait à nouveau perdu. Celle qui à ses yeux, représentait tant de choses : une ville joyeuse dans sa vie désertique, une oasis infinie de bonheur, une indomptable jument, plus forte que le plus corsé des alcools et d’une beauté à faire rougir les saints. Pourquoi le destin s’acharnait-il sur une si douce fleur ? Il contempla la mâchoire brutalement arrachée de cette bouche, qui n’apaiserait plus jamais son cœur de sa voix d’ange. Son regard descendit le long de son corps, où les balles pernicieuses qui l’infectaient ne faisaient aucun cas de sa dignité. Personne n’avait le droit de lui infliger ça !
La cloche se remit à produire son sinistre battement. Le tumulte de la rivière repris avec plus de violence que la première fois. Le Gunman dégaina ses revolvers.
Vivian tenta tant bien que mal de se justifier. Il posa son épée en signe de bonne foi et dit sur un ton prudent : « Écoutez. Ce n’est pas ce que vous croyez. Laissez-moi vous raconter une histoire... »
Le récit débuta par des tirs enragés. Vivian se jeta derrière la pierre tombale. Le Gunman lança son cheval au galop vers son adversaire. Julia arrosa le cavalier qui poursuivit sa course comme si de rien n’était. Naguini partit en souriant en direction des gradins pour savourer le spectacle. Le cow-boy arrivé au niveau de la tombe, sauta par-dessus en visant Vivian. Ce dernier se leva pour porter un coup de taille au Gunman. Mais son adversaire s’accrocha au flan gauche de son cheval et tira sur l’épéiste. Vivian laissa tomber son arme et hurla de douleur. La balle lui avait transpercé l’épaule. Le Gunman descendit de sa monture et s’approcha froidement de son adversaire, faisant fi des balles qui lui avaient troué le flanc gauche. Vivian regarda droit dans les yeux la mort à venir.
Pendant ce temps, Julia demanda à l’orchestre de jouer la version originale du Gunman. Elle chanta sans se préoccuper des cris de joie de l’assemblée face au pentacle qui déversait sa fumée. Elle espérait que son plan fonctionnerait. La musique surprit le Gunman qui oublia un instant Vivian. Julia tira sur la pierre tombale de la défunte et regarda son mari d’un air provocateur.
Le Gunman visa Julia qui se jeta derrière le canoë rouge. Le cow-boy avança vers l’embarcation d’un pas prudent, prêt à tirer au moindre mouvement. La coque se souleva légèrement, avant de revenir à sa position initiale. Le cow-boy devina sans mal que son adversaire tentait de se dissimuler. Sans perdre un instant, il mit sa main sous le bois pour débusquer Julia. Cette dernière bondit de derrière le canoë, épée dégainée. Une roulade de dernière seconde lui permit de l’éviter et de se remettre sur pied. Tandis que le Gunman se tournait vers elle, Julia se jeta sur lui sans perdre un instant. L’homme attrapa son bras armé et le retourna d’un geste expert. La chanteuse lâcha son épée en retenant un cri. Le Gunman braqua son arme sur elle. Mais Julia la frappa d’un coup de micro qui l’envoya à l’autre bout de la scène. Son adversaire la relâcha pour récupérer la lame tombée. Julia en profita pour actionner un bouton caché sur son micro. Une scie sauteuse jaillit en sa base et se mit à siffler. Elle tenta un estoc que son adversaire évita d’un habile pas de côté. Le cow-boy donna un coup horizontal au niveau de la gorge que Julia bloqua avec son micro.
Chaque attaque déjouée décuplait sa colère. Elle martelait de plus en plus fort, ne demandant qu’à le submerger.
Sans crier gare, elle explosa par tous les conduits de son corps. L’homme déchargea alors sans arrêt, des ballasts désordonnés de poing et d’épée. Son foyer, alimenté par des wagons de haine, battait d’une cadence infernale. Ses yeux déversaient d’insoutenables vapeurs brûlantes en direction de Julia. Elle ne pouvait les fixer bien longtemps sous peine d’être écrasée par la peur. Elle combattait une machine déraillée, résolument aiguillée par sa rancœur. Elle bloquait avec peine ses attaques brutales et irréfléchies, surgissant de voies inconnues. Il ne visait jamais la même destination, mais privilégiait les zones létales. Il n’avait de cesse de se déplacer, aussi vite qu’un serpent. Lorsque Julia bloquait une attaque frontale, il virait subitement sur ses flancs ou dans son dos. Elle devait sans cesse se retourner pour ne pas le perdre de vue.
Face à cette pression permanente, Julia continuait de résister, mais montrait des signes de fatigue. Des gouttes de sueur s’étaient formées sur son front, sa défense se faisait moins convaincante et ses jambes semblaient sur le point de lâcher.
C’est alors que le Gunman porta une frappe horizontale que Julia parvint à bloquer. Mais pendant qu’elle était concentrée sur sa lame, l’homme la renversa d’un puissant coup d’épaule. Ses jambes ne la soutenaient plus. Julia bascula en arrière. Le Gunman était sur le point de la faucher durant sa chute, quand la chanteuse lui lança le micro. La scie sauteuse s’enfonça dans le cœur du cow-boy, qui s’arrêta, étonné. Le corps de Julia rencontra brutalement la scène. Bien qu’elle fût épuisée par son combat, elle continuait de chanter en chuchotant la chanson du Gunman. La scie sauteuse était ressortie de l’autre côté. L’homme n’eut aucune réaction. Il se remit en marche sans tarder pour en finir avec elle. Il frappa sans hésitation en direction de sa gorge.
Avant que Vivian ne le pousse dans le courant tumultueux. Le Gunman heurta les pierres dressées sur son chemin. Il finit par planter son épée au bord de la rive. Il remonta, excédé par ce nouveau contre temps. Il courut jusqu’à Vivian qui s’était mis devant Julia pour la protéger, en tenant son épée de son bras valide. Une tache de sang s’était formée au niveau de son épaule blessée. Julia continuait de chanter en pleurant pour cet homme courageux, sur le point d’être écrasé par l’impitoyable cheval de fer. Mais ce dernier fut stoppé par une voix douce et mélodieuse.
Le Gunman se retourna d’un air troublé. À côté du zombie sans tête, il vit sa femme, tout juste sortie de terre par la chanson de Julia. Elle était vêtue comme dans un western et observait son homme en souriant. Sa peau était aussi sèche que celle de son mari. Son visage creusé affichait une pâleur maladive. Ses vêtements étaient bien trop grands pour elle, signe que la terre lui avait déjà ôté une part de sa vitalité. Elle possédait deux trous dans la poitrine, résultat de sa rencontre avec ses assassins. La musique du Gunman fit place à While Your Lips Are Still Red du groupe Nightwish.
Lorsque son regard croisa celui de son mari, elle déborda de joie. Elle courut en ignorant toutes les personnes présentes sur scène. Le Gunman lâcha l’épée qu’il tenait. Ses yeux trahissaient l’amour qu’il lui portait. Elle sauta dans ses bras. Il toucha lentement son visage, surpris qu’elle soit réelle. Sa présence retrouva sa place dans le grand vide de son âme et son sourire, éteignit sans effort les flammes de sa haine. Il se sentit complet et apaisé, dénué de tout sentiment de vengeance. Il n’avait plus de temps pour ça. Il voulait reprendre le cours de sa vie là où elle s’était arrêtée, avec elle à ses côtés.
Les mots étaient superflus lorsque deux cœurs conversaient. Ils s’embrassèrent avec une intensité, qu’ils espéraient capable de rattraper le temps perdu. Le son de la cloche résonna joyeusement. Le torrent sanglant fit place à une paisible rivière aux eaux limpides. De la mousse poussa sur les roches nues, tandis que des roses blanches s’épanouissaient sur le socle des statues. Ces dernières étaient tombées en ruine dans le long fleuve tranquille.
Ils restèrent un moment là, à se contempler, étroitement accrochés et bien décidés à ne plus se quitter. La peau blafarde et asséchée de sa bien-aimée, parue retrouver une part de sa vitalité antérieure. Une étrange fatigue gagna lentement les membres de son mari. Il eut envie de se coucher dans le sable et ne plus jamais se relever. Le Gunman vit alors le sourire de sa femme remplacé par une moue d’inquiétude. Il découvrit son origine au niveau de ses mains. Son corps se parcheminait de rides, tandis que ses cheveux secs blanchissaient à vue d’œil. Il dépérissait tandis que sa compagne reprenait vie. Sa monture n’était pas en meilleur état. L’étalon avait retrouvé une peau ordinaire, mais était d’une maigreur extrême.
Il comprit ce qu’il adviendrait. La soif de vengeance qui l’avait ramené d’entre les morts s’était tue. Il n’avait plus de raison d’exister. L’étrange chanteuse qu’il avait combattue avait ramené sa femme. Mais les champs de la peine exigeaient une vie en échange de celle qu’ils avaient perdue. C’était la dernière fois qu’il la tenait dans ses bras. Ils se croisaient brièvement dans cet outre monde, où les êtres ne sont ni vraiment vivants, ni tout à fait morts.
Le Gunman relâcha son étreinte. Il se tourna vers Julia qui s’était remise debout pour les observer. Il lui adressa un hochement de tête reconnaissant. Elle lui répondit d’un sourire. Ensuite, il regarda en direction de l’endroit qui avait assisté au retour de sa bien-aimée. Celle-ci pleura, comprenant ce qui allait se produire. Il la tint au creux de son torse pour la consoler. Sa main caressa lentement sa tête.
Lorsqu’elle se sentit mieux, ils se rendirent ensemble main dans la main vers le lieu fatidique. Pendant tout le trajet, leurs regards étaient tournés vers l’autre, ignorants des pas à venir. Ils s’échangeaient de brefs baisers, de tendres caresses et se taquinaient gentiment. Leurs rires résonnaient dans toute la salle. Le Gunman s’affaiblissait, mais gardait le sourire, tout comme sa compagne. Lorsque ses jambes n’eurent plus assez de force, sa femme eut le réflexe de le rattraper. Ils en rirent comme d’une simple maladresse. Elle le soutint sur la dernière partie du trajet. Lorsqu’ils atteignirent la dernière demeure du Gunman, l’atmosphère prit une tout autre forme.
La cloche se tut. Plus personne ne parlait. Devant la pierre, le Gunman caressa en souriant son cheval qui s’effondra, l’air apaisé. Le cow-boy se tourna vers sa femme. Il prit sa tête entre ses mains en la regardant tendrement. Il essuya lentement une larme qui coulait sur la joue de sa compagne. Il regarda ensuite son futur tombeau. Sa femme s’agrippa à ce corps squelettique qui menaçait à tout instant de se rompre. Il lui rendit son étreinte en y mettant ses dernières forces. Après quoi, sa femme l’aida à s’étendre au sol. Lorsqu’il fut allongé dans le sable, l’homme ferma les yeux en adressant un dernier regard à sa bien-aimée.
Les candidats ainsi que le public, se recueillaient en même temps que la veuve, devant le mystérieux cow-boy. Tous comprenaient sa peine d’avoir perdu l’amour de sa vie, après de si brèves retrouvailles. Tous, excepté le Dungman, qui se relevait lentement, le corps marqué par de profondes marques de sabots.
« C’est pas fini » ,crâna-t-il. Mais personne ne l’écoutait. Le monde n’avait d’yeux que pour le Gunman et sa femme. Le Dungman s’approcha de Julia et dégaina un revolver. Pas de réactions. Il mit l’arme sur sa tempe en disant d’un ton sinistre : « Attention, je vais tirer. » Toujours rien. Il alla gifler Vivian qui ne réagit pas. Entre-temps, la femme du Gunman avait quitté la scène, voûtée par le poids du chagrin.
Le Dungman eut alors la bonne idée de tirer au plafond. Il ne reçut pour seule réaction qu’une avalanche de sacs en laine de verre. Le bruit fit se retourner l’assemblée. Le Dungman avait disparu sous la montagne de paquets éventrés. Machin descendit en atterrissant sur un genou. L’orchestre, présentant quelque chose, joua Rain of Fury du groupe Rhapsody Of Fire. Machin observait les métalleux d’un air meurtrier. Il portait une armure faite de laine isolante. Sur son dos, se tenait une imposante souffleuse. Il dit en détachant chaque mot : « On ne tire pas au plafond ! »
Il alluma sa machine qui projeta une déferlante d’isolant. Julia se jeta derrière le navire rouge du Dungman pour se protéger. Vivian avança héroïquement dans la tempête, un pas après l’autre en direction de l’ouvrier. Il se protégeait les yeux de son bras blessé en serrant les dents. La laine commençait à lui écorcher la peau.
Julia voulait tirer, mais elle ne voyait pas son adversaire dans cette tempête. Vivian continuait d’approcher. Lorsqu’il fut trop près, Machin souffla la laine vers le haut, créant un cyclone qui le dissimulait. Vivian entra dans l’ouragan en courant. Il déboucha dans une zone vide, au centre de laquelle l’attendait Machin. Il fonça sur lui. Il n’avait pas fait trois pas qu’un objet lourd l’atteignit au crâne. Il tomba en arrière. L’échelle descendue du plafond alla se planter au sol, bloquant sa gorge. Vivian pouvait tout juste respirer. Machin projeta une déferlante de laine qui alla se coller sur la prison métallique du maestro. Il essaya de la soulever, tandis que Machin se rapprochait de lui. Il s’écorcha la main avec l’isolant et ne parvint même pas à la faire bouger. Il prit son épée et frappa de toutes ses forces. La lame rebondit dans un tintement métallique. La tempête s’étant calmée, Julia courut en direction de l’écran de laine. L’artisan observa Vivian d’un visage triomphant.
« La vache ! s’exclama le maestro. C’est quoi cette laine ?
— Alors le sataniste, qu’est-ce que ça fait d’être... Isolé ?
— Vous voulez pas me tuer tout de suite ? Je suis pas fan de ce genre de blagues.
— Ben quoi ? C’est quand même plus drôle que... »
Il poursuivit sur une parodie de la voix de Naguini : « Je tire au plafond, le type il est tombé et peut-être qu’il est mort. Lol ! »
Vivian fut pris d’un fou rire sincère devant cette magnifique imitation du présentateur. Machin ne sembla pas apprécier sa réaction. Il prit un air encore plus colérique qu’à l’accoutumée avant d’interrompre son interlocuteur.
« Très bien ! Je vais te tuer de suite ! Y a pas d’humour subtil apparemment chez vous ! On dirait qu’on n’arrivera jamais à se comprendre. Remarque, c’est peut-être un problème... D’échelle ! »
Le silence de Vivian le décida à mettre ses menaces à exécution. Le tuyau de sa souffleuse changea de position. Vivian l’interrompit en pleine manœuvre pour lui demander :
« Attendez. Vous comptez quand même pas me tuer en me bombardant de laine de verre ?
— Et alors y a un problème avec mon isolant ? Tu penses que c’est moins classe que de décapiter son adversaire avec une épée à deux mains, soulevée avec une seule et aussi légère qu’un bâton de twirling ? Ça prendra le temps qu’il faudra, mais tu finiras par succomber.
— Eh ! Je me suis durement entraîné pour maîtriser mon arme.
— Si je puis me permettre, intervint Naguini depuis l’autre côté de l’ouragan, vous pourriez l’ensevelir et il mourrait d’étouffement. Et avec un peu de chance, vous aurez assez de laine pour vous occuper de toute la salle.
— C’est pas con ça. Pour une fois que vous proposez quelque chose d’intéressant.
— Tu fais chier Naguini ! rétorqua Julia qui venait de franchir le barrage d’isolant. »
Machin se tourna vers elle et reçut un tir dans son armure sans effet notable. Julia regarda avec surprise la zone que sa balle aurait dû percer.
« Laissez tomber. Vous ne pouvez pas me tuer. La laine de verre me protège.
— Et tes yeux alors ?
— Ben oui vas-y. Vise les yeux. Vous n’êtes que des brutes sanguinaires de toute façon. »
Julia le fixa un instant. Elle était immobile, le canon braqué sur machin, en pleine introspection. Elle leva finalement son arme en l’air et tira au plafond.
Annotations
Versions