IV
« Mais pourquoi t’as dit ça Naguini ! l’apostropha Julia.
— Pardon, je suis désolé, s’excusa le présentateur, en levant les mains devant l’homme en signe d’apaisement. J’ai été un peu dur avec toi, Dungman. Je ne voulais pas te vexer. »
L’intéressé sembla s’apaiser. Un sourire suscité par la crainte qu’il inspirait en cet instant, lui traversait le visage. Pendant ce temps, Naguini retournait de l’autre côté de la rivière en passant par les statuts. Il alla jusqu’à la bombe et colla son canon scié contre la coque métallique. Il posa un pied au niveau de la crosse, recula le bout de son arme jusqu’à son pied, avant de déplacer ce dernier à l’autre bout de son fusil. Il répéta la manœuvre jusqu’à reculer au bord de la rivière. Il retraversa le torrent sous le regard ahuri du Dungman et du reste de la salle. Il se plaça au bord, en face de l’endroit où il se trouvait précédemment. Il posa son fusil et réitéra son étrange rituel, qui le fit reculer jusqu’à la jambe du Dungman.
Naguini se releva en le regardant droit dans les yeux, toujours d’un air navré. « Encore une fois je m’excuse, déclara-t-il en lui posant une main sur l’épaule. J’ai commis une grave erreur sur ce coup-là. J’ai dit que tu ne serais pas capable de viser une bombe au napalm à un mètre cinquante. Mais en réalité, elle est à un mètre quarante-neuf ! » s’esclaffa Naguini.
Le Dungman poussa un cri de rage. Naguini s’écarta lentement de lui et d’un geste ample, lui désigna la bombe en souriant. Le cow-boy allait tirer quand Vivian l’interrompit d’une voix tonitruante.
« Attends ! Avant de faire une bêtise, il faut que je te raconte une histoire. » Le Dungman le regarda d’une mine surprise. Vivian se rapprocha de quelques pas et planta son épée dans le sol. Il s’appuya sur la garde et croisa les bras. Il observa le Dungman d’un regard apaisant. Il se mit à parler d’une voix douce et rassurante de compteur, s’adressant à un enfant de sept printemps.
« L’histoire que je vais compter se nomme : Petit ours brun et la compote. Petit ours brun était content. Il allait faire une délicieuse compote de pomme, avec sa maman et son papa. Ses parents lui demandèrent d’aller en cueillir dans le jardin. Petit ours brun s’y rendit sans tarder. Mais près du pommier, Petit ours brun trouva une énorme pomme de pin. Petit ours brun s’en approcha. Elle était bien plus grosse que le tronc du pommier et plus grande que son papa. En plus elle était bizarre, toute grise et aussi lisse qu’une pomme. »
« Petit ours brun voulut l’examiner de plus près. Il toucha la surface glacée de la pomme de pin. Soudain, sa main enfonça un bouton secret et la pomme s’ouvrit en deux devant lui. Des profondeurs obscures de la pomme, des créatures hideuses avec une peau flasque et trois yeux globuleux avancèrent lentement vers Petit ours de brun. Paniqué, il courut vers la maison. Voilà pourquoi Petit ours brun n’aurait jamais dû jouer avec la pomme de pin. »
Le Dungman se mit à trembler en fixant la bombe. Il baissa son arme. Le public soupira de soulagement.
« Une fois rentré chez lui, reprit Vivian, Petit ours brun dit tout à ses parents. Ils prirent chacun une kalachnikov verte à pois rouge avec des rubans roses et sortirent dans le jardin. Ils criblèrent de balles la pomme de pin et les créatures qui étaient encore devant. Elles s’effondrèrent, vaincues par l’offensive des parents de Petit ours brun. »
La dernière phrase donna courage au Dungman, qui braqua ses deux revolvers sur l’explosif.
« Putain Vivian ! vociféra Julia.
— Euh... Cependant, poursuivit Vivian en cherchant une fin improvisée, les tirs avaient éveillé la colère du mal qui sommeillait au sein de la pomme de pin. Une explosion titanesque jaillit des entrailles de la chose et engloutit le jardin, la maison, Petit ours brun, ainsi que ses parents. Voilà pourquoi Petit ours brun aurait dû laisser la drôle de pomme tranquille. »
Le Dungman avait les larmes aux yeux. Il rangea ses armes. Vivian regardait le sol, attristé. C’est alors qu’il déclama d’un air décidé :
« Non. Je ne peux pas finir comme ça. C’est trop triste ! sanglota le colosse. Alors voilà, au final Petit ours brun et ses parents survécurent, car ceux qui touchent la pomme de pin ou tirent dessus avec une kalachnikov verte à pois rouge avec des rubans roses survivent. Petit ours brun et sa famille parcoururent le monde à la recherche des pommes de pin pour les détruire et sauver le monde de ces affreuses créatures. Voilà, là c’est beau ! »
Le Dungman contrairement à ce que l’on s’imaginait, ne ressortit pas ses revolvers. Il partit vers la rivière sanglante qui coulait toujours. Il mit les mains au fond et fouilla la vase. Après un moment, il en sortit une kalachnikov bien entretenue, identique à l’arme décrite par le maestro dans son histoire et couverte de sang. Naguini se retenait de rire devant la catastrophe à venir, tandis que le cow-boy visait la bombe. Au moment où Julia allait tirer sur le Dungman, le présentateur cria en montrant le fond de la scène : « Attention un zombie ! »
Vivian, Julia et le Dungman se tournèrent. Ils virent effectivement une femme portant une tenue de western, qui finissait de sortir du sol devant la pierre tombale. Elle arracha sa mâchoire dont le craquement suscita une moue dégoutée de la part de Vivian.
Pris de panique, le Dungman poussa un cri aigu. Il vida son chargeur sur la créature les yeux fermés. Son arme tirait dans tous les sens, sans aucun contrôle. Tout le monde se jeta à terre pour éviter une balle perdue. Le fusil d’assaut le fit tourner sur lui-même. L’arme arrosa copieusement tous les coins de la salle. Deux nouveaux pavés se détachèrent au fond du studio, écrasant de nouvelles victimes. Le Dungman fut ramené dans sa position de départ, au moment où le chargeur fut épuisé. Le corps du zombie était criblé de balles, ainsi que l’ensemble des murs de la scène. Tout le monde se releva, soulagé d’être encore en vie.
« Idiot, râla Vivian. Il faut viser la tête. »
Il prit son épée et s’avança vers la créature. Pendant ce temps, Julia réfléchissait à voix haute. « Attends, c’était quoi le deuxième couplet déjà ? When hight babies hide at noon. I shew tinfoil by her tombstone. And from the earth she’ll rise to pass her jawbone to you. »
« Vivian attends ! Elle est pas dangereuse ! Elle veut juste te donner sa... »
Le colosse venait juste de la décapiter. Le corps s’effondra en soulevant un nuage de poussière. Le crâne roula quelques mètres plus loin.
« Quel dommage ! s’exclama l’animateur d’un ton sarcastique. C’était la femme du Gunman, ce serait dommage s’il venait juste à ce mo... »
La remarque fut interrompue par des sabots écrasant les os du Dungman. Il reposait inanimé sous un cheval des plus étranges. L’étalon avait des yeux vides dans lesquels brûlaient des flammes fantomatiques. Sa surface était un mélange de peau asséchée par la chaleur de l’Ouest et d’ossements fendus. Son cavalier au vu de sa tenue de western, devait être le véritable Gunman. Il portait un simple chapeau de cuir haut de forme et des gants de la même matière. Son sombre manteau descendait jusqu’à ses chevilles. Un foulard rouge dissimulait partiellement son visage, ravagé par le sable dans lequel on l’avait abandonné. Il observait les candidats d'un regard hanté d’une peine profonde.
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